Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée
613
614
HERMÉNEUTIQUE


causes ordinaires de difficulté qui nuisent à l’intelligence de presque tous les livres anciens, il en est certaines qui se rencontrent spécialement dans les livres sacrés. Car le Saint-Esprit a renfermé sous leurs paroles beaucoup de choses très supérieures a la force et au regard de la raison humaine, savoir : les mystères divins et beaucoup d’autres vérités connexes ; et cela parfois avec un sens plus ample et plus caché que la lettre ne semble l’exprimer et que les lois de l’herméneutique ne paraissent l’indiquer ; de plus, le sens littéral luimême appelle certainement d’autres sens qui se superposent à lui, soit pour éclairer les dogmes, soit pour recommander les préceptes de conduite. » C’est donc à tort que les chefs de la Réforme protestante avaient posé en principe l’intelligibilité de la Bible pour tout homme de bon sens, livré à ses seules lumières ou aidé du secours du Saint-Esprit. On ne peut douter que les Livres Saints ne soient enveloppés d’une certaine obscurité qu’il est nécessaire de dissiper. C’est à quoi sert la science des règles d’interprétation ou l’herméneutique. Si elle ne fait pas à elle seule le bon exégète, pas plus que la connaissance des lois de l'éloquence ne rend orateur, elle doit être acquise par quiconque veut s’exercer à l’art délicat et difficile de l’exégèse sacrée. Avec saint Augustin, De doctrina Christiana, i, 1, n. 1, t. xxxiv, Col. 19, on donne ordinairement à l’herméneutique un double but et un double objet : elle doit fournir à l’exégète les moyens de découvrir et d’exposer exactement le véritable sens des Livres Saints. Mais les diverses manières d’exposer le texte sacré, versions, paraphrases, gloses, scholies, postilles, questions, chaînes, homélies, commentaires, sont traitées dans des articles spéciaux de ce Dictionnaire. Nous n’avons donc ici qu'à exposer les règles qui aident à découvrir les sens scripturaires. I. Règles d’interprétation. — La Bible est un livre à la fois humain et divin. Elle a été rédigée par des hommes qui, sous l’inspiration du Saint-Esprit, - ont donné à la pensée divine qni leur était communiquée, une expression qui était nécessairement en rapport avec leur intelligence, leur caractère et leur milieu historique. Au point de vue de la langue et des circonstances de sa composition, elle participe donc à la nature de toute œuvre littéraire et elle doit être étudiée à ce titre, d’après les règles ordinaires d’interprétation des textes anciens. Mais elle a, de plus, Une origine divine. Le Saint-Esprit, qui a inspiré les écrivains humains, n’a pas seulement garanti de toute erreur les pensées exprimées, il les a faites siennes et leur a donné parfois une signification plus étendue que celle des mots employés. Pour saisir exactement la pensée divine, pour découvrir en particulier les sens plus cachés, il faut d’autres principes et d’autres règles que ceux de l’herméneutique ordinaire ; il faut tenir compte des explications que le Saint-Esprit, auteur principal de l'Écriture, a données de sa pensée, soit par lui-même, soit par ses organes attitrés. Il suit de là que l’herméneutique impose aux exégètes deux sortes de règles : les unes qu’on peut appeler générales, conviennent aux Livres Saints, en tant qu’ils sont des œuvres humaines et en ce qu’ils ont de commun avec tous les livres anciens ; les autres, qui sont spéciales à l'Écriture sainte, la concernent et l’envisagent comme livre inspiré et divin. On a justement nommé les premières, les lois rationnelles, et les secondes, les lois chrétiennes et catholiques de l’interprétation biblique, parce que celles-ci, considérant la Bible en tant qu’elle est un produit de l’esprit humain, se fondent sur les principes ordinaires d’interprétation de toute œuvre littéraire, et celles-là, la considérant en tant que livre inspiré et divin, s’appuient sur les enseignements de la foi et de la théologie. Les unes et les autres sont nécessaires et l’exégète qui en négligerait quelqu’une, n’embrasserait pas l'Écriture dans toute sa réelle compréhension et se priverait volontairement d’une

lumière utile ou nécessaire pour en saisir exactement le sens véritable et total.

1. RÈGLES GÉNÉRALES OU RATIOHHBLLBS.

Suivant le

conseil de Léon XIII, encyclique Proindenlissimm Deus, t. i, p. xx, l’exégète catholique devra connaître et « observer avec d’autant plus de soin et de vigilance les règles d’interprétation communément reçues que nos adversaires mettent à nous attaquer la plus grande énergie et la plus grande obstination », et le Souverain Pontife, résumant brièvement ces règles, ajoute : « C’est pourquoi il faut d’abord peser avec soin la valeur des mots eux-mêmes, considérer l’enchaînement des pensées, comparer les endroits parallèles et autres choses de ce genre. » Ces règles, dit-il ailleurs, t. i, p. xxx, seront surtout d’un grand secours pour l’interprétation des passages scripturaires dont le véritable sens reste douteux.

i" règle : L’exégète doit expliquer le texte sacré d’après les lois ordinaires du langage. — Voulant communiquer aux hommes ses pensées et ses volontés, Dieu a dû nécessairement se mettre à la portée de l’intelligence humaine et se servir, pour la composition des Livres Saints, du langage parlé par les écrivains qu’il inspirait et compris de leurs contemporains. Il ne pouvait pas employer une langue inconnue, ni recourir à des caractères indéchiffrables, mais il lui fallait adopter un idiome parlé et se conformer aux règles de sa grammaire autant qu’aux mots de son dictionnaire. S. Hilaire, Explanat. in Ps. CXXVI, n. 6, t. ix, col. 695 ; S.Augustin, De Trinitate, I, xii, 33, t. xlii, col. 837 ; S. Chrysostomè, Hom. xiii in Genesim, n. 4, t. un, col. 109. De fait, les livres sacrés ont été rédigés en trois langues : l’hébreu, le chaldéen et le grec. Or, la connaissance de ces langues, dites saintes, est nécessaire à l’exégète de profession. Saint Jérôme, Epist. lxxi, ad Lucinum, 5, t. xxii, col. 671-672 et Saint Augustin, De doctrina Christ., n, 11, t. xxxiv, col. 42, la recommandaient. Au xme siècle, Roger Bacon, Opus tertium, édit. Brewer, in-8°, Londres, 1840, p. 434, insistait davantage. Au concile de Vienne, tenu en 1311, Clément V a ordonné la création, de chaires d’hébreu, d’arabe et de chaldéen à Rome et dans les universités de Paris, d’Oxford, de Bologne et de Salamanquè. Corpus juris, Clément., t. V, tit. i, c. i, Lyon, 1624, t. iii, p. 258-259. Plusieurs évêques de France demandèrent au concile du Vatican l'établissement, dans les grands séminaires, de cours d’hébreu et de grecvcto et décréta concilii Vaticani, dans la Collectio Laceneis, t. vii, in-4°, Eribourg-en-Brisgau, 1892, p. 833. Dans l’encyclique Providentissimus Deus, t. i, p. xxvii, Léon XIII a affirmé qu’il est « nécessaire aux professeurs d'Écriture sainte et convenable aux théologiens de connaître les langues dans lesquelles les hagiographes ont primitivement rédigé les livres canoniques, et qu’il est excellent qu’elles soient cultivées par les élèves ecclésiastiques, surtout par ceux qui aspirent aux grades académiques en théologie ». D’après le même pontife, t. i, p. xx et xxvii, le recours aux textes originaux et aux anciennes versions de la Bible est utile pour comprendre et commenter la Vulgate latine, au moins dans les passages ambigus ou mal traduits, et il doit y avoir dans toutes les universités catholiques des cours d’autres langues anciennes, principalement des langues sémitiques, à l’avantage de ceux qui sont destinés à l’enseignement des lettres sacrées. Cf. Melchior Cano, De loris theologicis, ii, 15, in-4°, 1704, p. 90-97.

L’application de cette règle précède toutes les autres et doit être d’un usage constant. L’interprétation d’un livre est avant tout grammaticale : « D faut d’abord peser avec soin la valeur des mots eux-mêmes, » dit Léon XIII. Les versions les plus parfaites ne rendent jamais complètement la force de l’original ; il y a même des nuances de la pensée qu’elles sont incapables d’exprimer. S. Augustin, De doctrina Christ., ii, 12 et 13, t. xxxiv, col. 43-