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HÉBREUX (ÉPÎTRE AUX)


vèrent les hérésies ariennes dans l'Église, l’influence orientale se fit sentir en Occident et nous voyons dans les écrivains latins cet état d’indécision au sujet de l'Épître aux Hébreux se résoudre au Ve siècle par son admission parmi les Épîtres de saint Paul. Saint Jérôme nous dit quelle était au rve siècle l’opinion de l'Église latine. Comm. in Matth., xxvi, 8, t. xxvi, col. 192 : Nam et Paulus in Epistola sua quæ inscribitur ad Hebrseos licet de eamulti Latinorutn dubitent. Et Ep. cxxix, ad Dixrdan., t. xxii, col. 1103 : Quod si eam Latinorum consuetudo non recipit inter canonicas Scripturas et tamen nos utramque suscepimus nequaquam hujus temporis consuetudinem, sed veteram Scriptorum auctoritatem sequentes. Il semble donc que, sur ce point, saint Jérôme se sépare de la tradition latine pour suivre une autre tradition ancienne, probablement celle d’Alexandrie. Mais il n’y a pas, dans ses écrits, unité de vues sur la question. Il parle de l'Épître comme étant de saint Paul, sans faire aucune réserve, In Is., v, 24, vii, 14, t. xxiv, col. 202 ; puis il dit : « l’apôtre Paul ou qui que Ce soit qui a écrit PÉpltre, » ou bien : beaucoup de Latins doutent. In Matth., 26, t. xxvi, col. 199. Cependant l'Épître est utilisée comme paulinienne par saint Hilaire de Poitiers, De Trin., iv, 11, t. x, col. 104 ; Lucifer, De non conveniendo cwnx hssreticis, t. xiii, col. 782 ; Victorinus Afer, Pacianus, Faustinus, De Trin., 2, t. xiii, col. 61 ; Ambroise, De fuga ssec., 16, t. XIV, col. 557 ; Pelage ; Rufin, Symbol. Apost., 37, t. xxi, col. 374, etc. On ne la trouve pas commentée dans YAnibrosiaster. Philastre, évêque de Brescia, à la fin du IVe siècle, dit qu’elle n'était pas lue dans les églises ; Hser., 88, t. xii, col. 1199, ou du moins qu’elle ne l'était que dans quelques églises seulement. Ibid., 89, t. xii, col. 1200. En somme, il hésite ; il ne sait pas à qui il doit attribuer cette Épître : Sunt alii quoque qui Epistolam Pauli ad Hebrseos non asserunt esse ipsius, sed dicunt Barnabx apostoli aut démentis de Urbe Episcopi. Alii autem Lucse Evangelistse. La liste du Codex Mommseianus, écrit en Afrique, à la fin du IVe siècle, mentionne seulement treize Epîtres de Paul. Saint Augustin était aussi assez incertain sur l’auteur de l'Épître aux Hébreux. Dans son Inchoatio Exposit. Ep. ad Romanos, p. 11, t. xxxv, col. 2103, il laisse incertaine la question de canonicité. Il savait bien qu’elle n'était pas reçue en Occident, mais il accepte l’autorité des Églises orientales : ilagis me movet auctoritas Ecclesiarum orientalium quæ hanc Epistolam etiam in canonicis habent. De pecc. meritis et remis., i, 27, 50, ^. xli, col. 500. Ordinairement, il s’en sert comme d’une Épître de saint Paul. Cette indécision sur l’auteur de l’Epître se montre clairement dans les décrets des conciles d’Afrique de cette époque, et l’on voit la transition se faire entre une opinion et l’autre, probablement à la suite de discussions entre les membres du concile. Dans les conciles d’Hippone, en 393, et de Carthage en 397, sont déclarées canoniques : Pauli Apostoli Epistolse tredecim ; ejusdem ad Hebrseos una. Le deuxième de Carthage, 419, n’hésite plus et dit : Epistolse Pauli apostoli quatuordecim. Mansi, Concil., t. iii, p. 891 ; t. iv, p. 430. En février 405, le pape Innocent I er, écrivant à Exupère, évêque de Toulouse (Pair, lat., t. xx, col. 502), qui lui demandait quels livres il fallait tenir pour canoniques, dresse le canon du Nouveau Testament et y mentionne quatorze' Épitresde Paul. Le décret du pape Gélase est conforme à cette lettre, t. xlix, col. 158. C'était donc à ce moment la règle pour l'Église latine. En 360-370, l’authenticité paulinienne avait été officiellement décrétée au concile de Laodicée. Par suite des rapports plus fréquents entre les Eglises d’Orient et d’Occident, le mélange des traditions s’est donc opéré et, au commencement du ve siècle, tous acceptaient sans réserve la canonicité et l’authenticité paulinienne de l'Épître aux Hébreux. Au moyen âge, personne n’hésite sur ces deux questions. C’est au

xvie siècle gue les doutes renaissent avec le cardinal Cajetan et Érasme. Ce dernier en émet sur l’auteur et sur l’attribution à saint Paul. Cajetan, Comm. in Epist. Pauli, ad Hebrseos, Lyon, 1639, t. v, p. 349, cite saint Jérôme et conclut que l'Épître aux Hébreux ne peut être de Paul. Il va plus loin et affirme que le doute sur l’authenticité entraîne le doute sur son autorité canonique. Nisi Pauli esset Epistola non perspicuam esse ejus canonicitatem. C’est une erreur, car la canonicité n’est pas liée à l’authenticité. En effet, la canonicité de l'Épître aux Hébreux a été formellement reconnue par le concile de Trente, lorsqu’il déclare dans le canon des livres qu’il faut tenir pour sacrés et canoniques quatorze Épîtres de Paul apôtre, aux Romains…, aux Hébreux, etc. Remarquons que ce décret porte directement sur la canonicité seule. L’origine paulinienne de l'Épître n’est pas définie, quoique le décret porte : quatorze Épîtres de Paul, parmi lesquelles l'Épître aux Hébreux. Que les Pères du concile aient cru que cette Épître était de saint Paul, cela est certain ; ils n’ont pas même eu sur ce point les doutes qu’ils ont eus sur l’origine davidique des Psaumes et qu’ils ont exprimés par la formule plus générale de Psalterium Davidicum au lieu de Psalmi David. Aussi Melchior Cano a-t-il pu dire, De lotis theolog., ii, 11 : Quam hæreticum sit eam Epistolam a Scripturis sacris excludere, certe temerarium est (ne quid amplius dicamus) de ejus auctore dubitare quem Paulum fuisse certissimis testimoniis constat. Toutefois, comme les définitions de l'Église ne doivent pas être interprétées, mais acceptées dans leur sens strict, nous devons conclure que la question d’auteur reste ouverte à un certain degré. Le terme- « auteur » peut, d’ailleurs, être entendu dans un sens large ou restreint.

Les réformateurs, Luther en tête, rejetèrent l’origine paulinienne ; cependant, au xvii » et au xviiie siècles les protestants la reconnurent de nouveau. De nos jours, tous les rationalistes et la très grande majorité des protestants ne l’acceptent plus, Biesenthal et Kay exceptés. Les critiques catholiques croient en majorité qu’elle a eu Paul pour auteur, mais donnent à ce terme un sens plus ou moins large, depuis ceux qui tiennent l'Épître pour une traduction d’un original hébreu écrit par saint Paul, ou qui attribuent à un secrétaire seulement la forme du langage, jusqu'à ceux qui l’attribuent à un disciple de culture alexandrine, reproduisant librement les pensées de son maître. C’est à peu près l’opinion de M. Batiffol, Littérature grecque, in-12, Paris, 1897, p. 10. On dira plus loin à quel écrivain chacun attribue cette Épître.

il. caractéristiques internes. — La tradition primitive est, on vient de le voir, ou muette ou indécise sur le nom de l’auteur de l'Épître aux Hébreux. Quelques noms ont été mis en avant, plutôt comme des conjectures critiques que comme transmis par la tradition ; enfin saint Paul a fini par être déclaré l’auteur de cette Épître. Toutefois, on peut croire que c’est dans un sens large que l'Épître lui a été attribuée. L'étude des caractères internes va nous montrer à quel degré on peut maintenir cette tradition postérieure. Après avoir étudié la langue, les particularités historiques et la doctrine de l'Épître, surtout en comparaison avec saint Paul. les rapports de notre Épître avec les autres écrits du Nouveau Testament et l’Alexandrin Philon, nous résumerons les caractères que doit présenter l'écrivain et nous dirons quelques mots sur les auteurs proposés.

1° Langue de l'Épître. — Avant d’aborder l'étude de la langue, il faut d’abord nous demander si le texte grec, que nous avons, est l’original, ou s’il n’est qu’une traduction d’un original hébreu. Nous avons déjà vu que Clément d’Alexandrie, frappé de la différence de langue entre l'Épître aux Hébreux et les autres Épîtres de saint Paul, affirmait que l’Apôtre l’avait écrite aux