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hébraïque (langue)


éloignées que les remarques relatives aux voyelles et aux désinences. Mais toutes ces indications tendent à mettre en relief que l’hébreu biblique, tel qu’il se présente à nous, est un idiome déjà altéré, partiellement usé et vieilli ; elles nous font entrevoir, avant la période biblique, un autre âge dans lequel l’hébreu avait une bien plus grande richesse de phonétique et de morphologie.

Les périodes de l’hébreu biblique.

L’un des traits

caractéristiques de la langue hébraïque durant la période biblique est sa grande fixité. Sans doute il faut tenir compte des corrections qui ont pu ramener à des formes grammaticales plus récentes les plus vieux documents de l’Ancien Testament ; on peut dire toutefois que, durant les longs siècles auxquels correspond la série des écrits de la Bible hébraïque, la langue sacrée demeure sensiblement dans le même état ; on ne remarque pas les nombreux changements que l’on constate dans les langues indo-européennes pour une durée aussi considérable. — Néanmoins la captivité de Babylone est une date qui compte pour la langue hébraïque ; elle marque le moment où cet idiome arrivé à son apogée au temps d’Ézéchias entre décidément dans une période, de rapide décadence et elle en divise l’histoire en deux parties bien distinctes. Encore cette division de l’histoire de l’hébreu en deux périodes doit-elle être acceptée avec certaines réserves : il est en effet facile de constater que des morceaux (par exemple des psaumes) postérieurs à la captivité sont rédigés avec autant d’art que les plus belles compositions littéraires du temps d’Ézéchias ; quand l’hébreu cessa d’être une langue parlée, il demeura langue littéraire et il se trouva des écrivains assez heureux pour égaler, à des époques rapprochées de l’ère chrétienne, ceux de leurs prédécesseurs qui avaient écrit à l’âge d’or de la littérature hébraïque.

a) La période antérieure à la captivité ou l’âge d’or de la langue hébraïque. — La langue hébraïque garde, pendant toute cette période et avec une étonnante fixité, sa pureté et sa vigueur ; elle se fait remarquer, dans la prose, par la vivacité de ses tableaux, l’entrain de ses mises en scène, le naturel presque naïf de ses récits ; dans la poésie, par la régularité de son parallélisme, la hardiesse de ses images et la concision de ses compositions. C’est l’âge de l’hébreu sans mélange, c’est l’époque classique. Dans cette longue période, la fixité générale de la langue n’exclut pas la variété du style selon les auteurs et selon les diverses époques. On peut s’en rendre compte si l’on compare entre elles des compositions comme : le cantique de Débora (Jud., v) qui est rédigé dans un hébreu très pur et qui, en dehors du w relatif attribuable peut-être à une influence dialectale (il se retrouve dans le Cantique des Cantiques), ne renferme qu’un nombre restreint de particularités grammaticales et lexicographiques ; les oracles d’Amos, d’Osée, d’Isaïe et de leurs contemporains du VIIIe siècle, dont la langue est si harmonieuse, si concise, si énergique, si étudiée et pourtant si simple ; les écrits de Jérémie (vu » siècle), à la phrase plus longue, au style plus calme mais aussi plus lâche, au rythme plus doux. — Dans ces dernières époques, l’art et l’étude que l’on remarque dans les compositions bibliques laissent entrevoir qu’une distinction commence déjà à s’établir entre la langue littéraire et la langue du peuple.

i>) La langue hébraïque à partir de la captivité. — Depuis lors, tandis que les lettrés sauront demeurer fidèles au type ancien de la littérature hébraïque, la langue du vulgaire s’acheminera de plus en plus vers la décadence. Les écrivains bibliques n’échappent pas tous à cette influence. Elle se manifeste déjà en plusieurs endroits de Jérémie,-par deux de ses traits les plus caractéristiques, la prolixité et le pastiche : dans plus d’un oracle, le prophète met en prose et délaye les oeuvres de ses prédécesseurs. Cf. Is., xv-xvi ; Jer.,

XLvni. Dans Ézéchiel s’accuse un autre caractère qui ira s’accentuant de plus en plus, l’emploi des aramaïsmes. C’est à l’époque de la captivité en effet que s’opère peu à peu la substitution de l’araméen à l’hébreu dans l’usage vulgaire. Cette substitution n’a pas été l’œuvre d’un jour, mais s’est faite d’une manière progressive, à la suite des relations des Israélites avec les peuples qui parlaient araméen. Ces relations semblent avoir eu deux centres : la Palestine, où il paraît bien qu’on parlait l’araméen ou du moins un hébreu très aramaïsé à la fin de la captivité ; la Babylonie, où, malgré l’esprit de corps qui groupait les exilés en communautés assez fermées sous la direction de l’aristocratie sacerdotale, on ne sut pas entièrement se soustraire à l’influence étrangère. Toujours est-il qu’à partir du retour de l’exil le peuple parlait araméen et ne comprenait guère plus l’hébreu, II Esd., lia, 23-24 ; et, malgré l’essai de réaction tenté par Néhémie, II Esd., xiii, 25, l’usage de l’araméen alla se généralisant de plus en plus. L’hébreu ne demeura que comme langue littéraire et liturgique. Il perdit plus de terrain encore dans l’ancien royaume du Nord, dans le pays de Samarie, où on lui substitua, même dans l’usage littéraire, le dialecte samaritain qui se rattache nettement aux idiomes araméens. — Dans Daniel et dans Esdras se trouvent des passages entièrement rédigés en araméen. Sans présenter cette particularité dont l’origine certaine est encore à déterminer, les livres des Paralipomènes, de Néhémie, d’Aggée et de Malachie sont des livres de décadence. Pour l’Ecclésiastique, voir Ecclésiastique, t. ii, col. 1547.

5° L’oeuvre des Massorètés, ou la vocalisation dés textes sacrés. — À mesure que l’hébreu cessait d’être la langue parlée, à mesure aussi que le canon des Écritures se formait et que croissait le respect religieux dont on entourait les Livres Saints, deux préoccupations se faisaient jour et s’accentuaient de plus en plus. — Le peuple ne comprenait plus l’hébreu classique et était incapable de suivre les lectures liturgiques de la synagogue. Il fallut lui traduire la parole de Dieu et la lui expliquer ; de là la version grecque de l’Ancien Testament en faveur des juiveries alexandrines ; de là les interprétations paraphrastiques des Targums composés en chaldéen pour les communautés juives de Palestine et de Babylonie ; de là enfin les gloses et explications, conservées d’abord par la tradition orale, plus tard consignées par écrit et renfermées dans le Talmud avec son double élément : la mischna (me siècle ap. J.-C.) et la ghemara (ghemara de Jérusalem, au IVe siècle ; ghemara de Babylone au VIe siècle). — Un autre besoin se faisait aussi sentir : celui de la fixation du texte sacré. Les procédés de transcription étaient par eux-mêmes assez défectueux : l’incurie des scribes était parfois très grande, et leur audace allait souvent jusqu’à substituer sciemment des corrections arbitraires aux leçons anciennes. D’autre part, les changements qui s’introduisaient graduellement dans l’écriture favorisaient toute espèce de méprises et de bévues. Il en résultait de grandes différences entre les multiples copies de l’Ancien Testament qui circulaient dans les synagogues et chez les particuliers : la comparaison du texte hébreu massorétique avec la version des Septante permet de constater que ces altérations, tout en portant sur des détails, allaient parfois assez loin. La vénération croissante pour le texte sacré ne pouvait laisser subsister pendant longtemps ces divergences ; dès le deuxième siècle et peut-être dès le troisième avant notre ère, on surveillait avec beaucoup de soin la transcription des manuscrits, de ceux de la Loi en particulier ; au second siècle de l’ère chrétienne on était parvenu à une telle unité dans la transcription des textes sacrés qu’entre les divers manuscrits qui sont postérieurs à cette époque, qu’entre le texte massorétique et celui que suppose la version de saint Jérôme, on ne saurait relever des différences assez caractéristiques pour répartir ces