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GOÊL

d’étendre « son aile » sur elle, « puisqu’il est son gôêl. » (Septante : ἀγχιστεύς ; Vulgate : propinquus.) Ruth, iii, 9. Booz lui répond, ꝟ. 12-13 : « Il est vrai que je suis gôêl, mais il y a un gôêl plus proche que moi… Demain, s’il veut exercer son droit sur toi (ig’âlêk), qu’il l’exerce (ig’âl), mais s’il ne veut pas l’exercer (lego’ôlêk), alors je serai ton gôêl (ge’altik). » Le lendemain donc, s’étant rendu à la porte de la ville, lorsque le gôêl le plus proche (hag-gô’êl) de Noémi vint à passer, Booz lui dit, après avoir pris dix anciens comme témoins : « La pièce de terre qui était à notre frère Élimélech, Noémi l’a vendue à son retour des champs de Moab. Et moi, je me suis dit que je t’en informerais et je te dis : Acquiers-la devant ceux qui sont assis ici et devant les anciens de mon peuple ; si tu veux la racheter comme gôêl, rachète-la, et si tu ne veux pas la racheter comme gôêl, déclare-le moi, car il n’y a personne qui soit gôêl avant toi, et moi, je viens après toi. — Et il répondit : Je la rachèterai comme gôêl. — Alors Booz dit : Au jour où tu acquerras le champ de la main de Noémi, tu l’acquerras aussi de la main de Ruth la Moabite, femme du défunt, (et tu l’épouseras) pour relever le nom du défunt dans son héritage. — Et le gôêl répondit : Je ne puis pas le racheter (lig’ol), car je craindrais de perdre mon héritage, sois le gôêl, car je ne puis l’être. » C’est ainsi que Booz racheta le champ de Noémi et épousa Ruth la Moabite. Ruth, iv, 1-10. — Nous trouvons un autre exemple de ge’ullâh ou droit de rachat d’un champ dans Jérémie. Pendant que Nabuchodonosôr assiégeait Jérusalem et que le prophète lui-même était enfermé en prison, la 10e année du règne de Sédécias, le Seigneur dit à Jérémie : « Voici que Hanaméel, fils de Sellum, ton oncle, vient vers toi pour te dire : Achète-moi mon champ, qui est à Anathoth, parce que tu as le droit de rachat (mišpat hag-ge’ullâh) pour l’acquérir. — Hanaméel, fils de mon oncle, vint donc vers moi, selon la parole du Seigneur, dans la cour de la prison, et il me dit : Achète, je te prie, mon champ, qui est à Anathoth, dans la terre de Benjamin, parce que tu as le droit d’acquisition, à toi est le rachat (ge’ul’lâh) ; achète-le donc. — Alors je reconnus que c’était la parole de Jéhovah et j’achetai le champ d’Hanaméel, fils de mon oncle, et je lui pesai l’argent, dix-sept sicles d’argent. » Jer., xxxii, 7-9. Voir Héritage.

III. OBLIGATION POUR LE GÔÊL D’ÉPOUSER LA VEUVE DE SON PARENT MORT SANS ENFANTS

Lorsqu’un homme meurt en laissant sa femme veuve sans enfants, son parent, en qualité de gôêl, doit la prendre pour épouse, comme nous l’avons vu par l’exemple de Booz et de Ruth. Ruth, iii, 13. Voir aussi Tobie, iii, 17 (texte grec), où il est dit que le jeune Tobie « devait épouser sa cousine », Sara, fille de Raguël, dont les sept premiers maris avaient été tués par le démon : διότι Τωβία ἑπιβάλλει κληρονομῆσαι αὐτήν.

IV. GÔÊL VENGEUR DE SANG

1° Le devoir le plus grave et le plus strict du gôêl était celui qui l’obligeait à venger par lui-même le sang de ses proches en faisant périr à son tour celui qui leur avait ôté la vie. Num., xxxv, 19. L’Écriture l’appelle alors gô’êl haddâm, « vengeur du sang. » Num., xxxv, 19, 21, 24, 25, 27 (avec omission de had-dâm, ꝟ. 12) ; Deut., xix, 6, 12 ; Jos., xx, 3, 5, 9 ; II Sam. (Reg.), xiv, 11. L’obligation de venger le sang est fondée sur le respect même de la vie humaine. Gen., ix, 5 ; Lev., xxiv, 17 ; cf. Ps. ix, 13. Le sang versé crie vengeance à Dieu, Gen., iv, 10 ; Is., xxvi, 21 ; cf. Ezech., xxiv, 7, et il faut que justice soit faite. Cet usage a été commun dans l’antiquité. Voir Iliad., xxiii, 8i, 88 ; xxiv, 480, 482 ; Odyss., xv, 270, 276, et les nombreux exemples rapportés par A. G. Hoffmann, Blutrache, dans Ersch et Gruber, Allgemeine Encyklopädie, t. xi, 1823, p. 89-93 ; par Mac Clintock et J. Strong, Cyclopœdia of Biblical Literature, t. i, 1891, p. 569-837. Il est encore aujourd’hui subsistant chez un En cours grand nombre de peuples du nouveau monde comme de l’ancien (cf. la vendetta corse), A. H. Post, Studien zur Entwicklungsgeschichte des Familienreehts, in-8°, Oldenbourg, 1890, p. 113-129 (bibliographie générale, p. 113) ; chez les Arabes, en particulier, dont les coutumes se rapprochent beaucoup de celles des anciens Hébreux, il est en vigueur dans toute l’étendue du désert, et depuis les rives du Nil jusqu’au Sennaar. Burckhardt, Notes on the Bédouins, t. i, p. 312-313. Le thar est regardé par tous et comme un droit et comme un devoir rigoureux. Un proverbe arabe dit : « Le feu de l’enfer devrait-il être mon lot, je n’abandonnerais pas le thar.  » Ibid., p. 314-315. Cf. P. J. Baldensperger, Morals of the Fellahîn, dans le Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement, 1897, p. 128-132. Mahomet, dans le Koran, sanctionne expressément la vengeance du sang. « croyants, dit-il, ii, 173, 175, la peine du talion vous est prescrite pour le meurtre. Un homme libre pour un homme libre, un esclave pour un esclave, et une femme pour une femme… Dans la loi du talion est votre vie, ô hommes doués d’intelligence. » Traduction Kasimirski, in-12, Paris, 1840, p. 26. En vertu de cette coutume générale chez les tribus nomades, le sang du père doit être vengé par le fils, du frère par le frère, ou, à leur défaut, par les autres plus proches parents. Cf. II Sam. (II Reg.), xiv, 7. Celui qui manquerait à ce devoir rigoureux serait l’objet du mépris public et répudié de tous les siens.

Le « vengeur du sang » dans l’Écriture.

Moïse trouva « la vengeance du sang » établie parmi son peuple, comme le suppose le ch. xxxiv de la Genèse, où nous voyons les fils de Jacob massacrer les habitants de Sichem pour « venger » l’honneur de leur sœur Dina, qui ne leur était pas moins cher que la vie. Le législateur sanctionna expressément cette coutume : « Le gôêl du sang tuera l’homicide ; dès qu’il le rencontrera, il le fera mourir. » Num., xxxv, 19. — Nous avons dans l’Écriture plusieurs exemples de l’application de la loi.

— 1. C’est en vertu de cet usage que Gédéon, après avoir pris Zébée et Salmana, fait mourir ces deux chefs des Madianites, parce que, dans une de leurs incursions contre Israël, ils avaient tué sur le mont Thabor ses propres frères, « fils de sa mère. » Jud., vii, 19. « Si vous aviez conservé la vie à mes frères, leur dit-il, je ne vous tuerais point. » Jud., viii, 19. Mais comme gôêl de ses frères, le juge d’Israël ne pouvait épargner leurs meurtriers. — 2. C’est aussi comme vengeur du sang de son frère Asaël, frappé mortellement à Gabaon par Abner, que Joab, au commencement du règne de David, tua l’ancien général de Saûl. Celui-ci, prévoyant le danger auquel il s’exposait, avait dit par deux fois à Asaël, avant de lui porter le coup fatal, de s’éloigner de lui : « Retire-toi, lui avait-il dit la seconde fois, afin que je ne sois pas obligé de te frapper et de t’abattre à terre, car alors je ne pourrais plus lever mon visage devant Joab ton frère. » II Sam. (Reg.), ii, 22. Il devait payer cette mort de son sang comme il l’avait redouté. Joab, dit à deux reprises le texte sacré, tua Abner à Hébron, « à cause du sang d’Asaël, son frère… Ainsi Joab et Abisaï, son frère, tuèrent Abner, parce qu’il avait donné la mort à Asaël leur frère, à Gabaon, dans le combat. » II Sam. (Reg.), iii, 27, 30. — 3. Quelques années plus tard, ce fut aussi comme gôêl de l’honneur de sa sœur Thamar, outragée par son demi-frère Amnon, qu’Absalom fit massacrer le coupable. II Reg., xiii, 22, 28-29, 32. Les fils de Jacob avaient vengé plus cruellement encore l’outrage fait à Dina leur sœur. Gen., xxxiv. — 4. Après l’établissement du royaume d’Israël, Zambri, lorsqu’il se fut emparé du trône après avoir tué le roi Baasa, extermina tous les gôêls de son prédécesseur, III Reg., xvi, 11 (Vulgate : propinqui), surtout sans doute pour se mettre à l’abri de leur vengeance.

Motifs qui justifient la « vengeance du sang » .