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EMMAUS


la Bible des Septante. — 6° Si les auteurs sacrés eussent connu deux Emmaûs voisins l’un de l’autre dans une même province, ils les eussent distingués. L’étymologie de Qobeibéh et de Naqùba’, outre son peu de probabilité, est contredite par l’histoire, qui place certainement Nicopolis ailleurs. Les Pères et les historiens anciens connaissent un seul Ernmaùs. Les pèlerins se fussent ralliés autour d’un nom, à soixante stades, ayant quelque ressemblance avec Ernmaùs, s’il y en eût eu un. Gamur-Tini a attribué à sainte Sylvie une citation de Pierre Diacre, empruntée aux exemplaires de la Vulgate en cours au xil" siècle. Bède et tous les commentateurs que l’on peut nommer ont fait de même ; nul d’entre eux ne cite la tradition locale, que la plupart ne connaissent pas. "Le seul nom en Terre Sainte incontestablement identique à Ernmaùs, c’est’Amo’às. La localité qu’il désigne est la seule que les anciens et les indigènes aient indiquée pour l’Emmaùs de saint Luc, depuis le IVe siècle jusqu’au xue. Les documents sont clairs, formels et unanimes. Voir Emmaûs 1. Au XIIe siècle, les chrétiens de la Palestine ne connaissaient pas encore d’autre Ernmaùs, leurs évangéliaires en font foi. Plus tard, lorsque les pèlerins sont seuls avec les guides du pays, ils trouvent toujours Ernmaùs à l’extrémité de la plaine de Ramléh, près de Lafrùn ; mais ils le trouvent dans les montagnes, quand ils sont avec des guides occidentaux. Comparer le Voyage (anonyme) de la saincte cité de Hierusalem fait l’an 1480, édit. Schefer, in-8°, Paris, 1882, p. 68 et 98 ; Christ. Fùrrer von Haimendorf (15651567), Itinerarium JEgypti, Arabise, Palestine, Syrise, in-4°, Nuremberg, 1621, p. 50 et 88. Au xvii « siècle encore, le P. Michel Nau, S. J., venant de Ramléh à’Amu’às et visitant son église, constate que les « chrétiens du pays croient que c’est là Emails, et que cette église est le lieu où les deux disciples reçurent le Sauveur le jour de la résurrection » ; puis il cherche à persuader que c’est une erreur provenant de ce que Ernmaùs est traduit dans l’Évangile arabe par Amoas, nom de ce village, et que la distance de soixante stades, indiquée dans ce même Evangile, devrait les désabuser, s’ils savaient ce que c’est qu’un stade. Le voyage nouveau de la Terre Sainte, in-12, Paris, 1679, p. 45-46. Le raisonnement du P. Nau a dû être celui des croisés. En arrivant, ils acceptèrent simplement la tradition des chrétiens du pays ; les récits d’Albert d’Aix et de Guillaume de Tyr l’insinuent. Les relations de l’higoumène russe (1106) et de Phocas (1185) montrent que la tradition n’avait point changé. Après quelque temps, les clercs, ceux que l’abbé de Nogent Guibert, dans Bongars, p. 532, appelle scientiores curiosioresque locorum, et qui identifient Ramléh avec Ramoth de Galaad, lisant « soixante stades » dans les exemplaires de leur évangile et voyant’Amo’as à une distance beaucoup plus grande, rejetèrent celui-ci et voulurent trouver un Emmaûs à la distance correspondant à la seule leçon connue d’eux. Ne trouvant point de tradition ni de nom omophone, guidés seulement par le souvenir de la fontaine miraculeuse et des eaux d’Emmaùs, ils firent choix de Qariat, qui a une source abondante et dont la distauce n’est pas bien éloignée de soixante stades. Les croisés partis, le souvenir de leur Emmaûs disparut avec eux. Ceux qui vinrent ensuite durent chercher de nouveau. Les Occidentaux ne faisant que passer et se renouvelant sans cesse, chaque nouveau venu avait à recommencer. De là toutes les variations constatées dans les relations. Qobeibéh fut choisi aussi, comme aurait pu l’être toute localité répondant à peu près à la distance voulue. Son église et toutes les ruines qui l’entourent sont l’œuvre des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean ; les signes des tâcherons que portent les pierres et la double croix dont est marquée une pierre sépulcrale le déclarent. La construction enclavée dans l’église est une chapelle de forme grecque, où se reconnaissent le sanctuaire, la place de l’autel et celle de l’iconostase. Cet oratoire rappelait-il quelque souvenir ? Les

BICT. DE LA BIBLE.

croisés paraissent l’avoir cru ; mais aucun document connu ne le dit, ni n’indique lequel parmi les nombreux souvenirs de la Terre Sainte il pouvait être. En tout cela on constate la préoccupation d’accommoder l’histoire à la leçon connue. — Il n’existe aucun motif de soupçonner la tradition d" Amo’às d’avoir été au principe une identification fondée sur la similitude du nom, après la disparition du véritable Emmaûs. Aucune tradition n’est affirmée plus catégoriquement comme telle. Lorsque saint Jérôme parle d’Emmaùs dans sa Lettre à Eustochium, c’est comme un lieu saint qu’il a vénéré avec sainte Paule et avec tous les chrétiens du pays. Peut-être tous se sont-ils laissé induire en erreur par Eusèbe, qui n’avait proposé d’abord qu’une conjecture. Ce n’est pas Eusèbe qui a désigné les lieux saints aux fidèles, lui les a pris d’eux. Lorsque, dans son Onomasticon, il les désigne comme tels, c’est que déjà le peuple y va prier. Il l’atteste lorsqu’il indique le lieu de l’agonie du Sauveur à Gethsémani, celui de son baptême à Béthabara, de la résidence de Job à Astaroth-Carnaïm, du puits de Jacob à Sichetn. Il ne le dit pas positivement au mot Emmaûs ; Sozomène s’en chargera dans son Histoire ecclésiastique, loc. cit. Peut-être a-t-il confondu à ce sujet, et le peuple avec lui, deux faits bien différents : le passage du Seigneur avec ses disciples à une des fontaines d’Emmaùs, et le fait de l’apparition à Cléophas le jour de la résurrection ? Les détails de la tradition, l’église construite devant et à distance de la ville, près du trivium, dans un endroit peu favorable, au milieu de tombeaux très probablement judaïques, où l’on montrait une maison que l’on disait celle de Cléophas, où il avait été mis à mort par les Juifs en haine du Christ, disent qu’il y avait là plus qu’un vague souvenir d’un passage du Sauveur. Ces détails sont attestés d’une manière un peu mystérieuse par saint Jérôme, par Virgilius, par Théodosius, par saint Adon et la plupart des martyrologes. L’église d’'Amo’às a-des caractères tout particuliers d’antiquité. Les hommes les plus compétents la tiennent pour antérieure aux constructions constantiniennes, et l’on ne voit pas qui aurait pu l’élever, sinon Jules Africain, lorsqu’il construisit Nicopolis. Il fallait donc que lui-même, pour la bâtir dans la situation où elle est, fût persuadé que là fut réellement le lieu où vint le Seigneur. Il ne pouvait y avoir alors d’autre Emmaûs connu pour celui de l’Évangile. S’il n’y en avait pas alors, au commencement du uie siècle, il n’y en avait jamais eu. Le passage de Jésus à Emmaûs, le jour de la résurrection, était assurément un fait mémorable entre tous ; la place que saint Luc lui fait dans son Évangile prouve qu’il était bien considéré comme tel. Gardé par Cléophas, un des principaux d’entre les disciples, par Siméon son fils, lui-même peut-être un des deux témoins et l’auteur du récit (le silence sur le nom du second disciple et la couleur hébraïque de la narration permettent de le conjecturer), comment le souvenir du lieu témoin de cet événement auraitil pu être effacé si vite, tandis que d’autres bien moins grands et bien plus loin du centre de l’Église primitive se sont conservés à travers les temps ? Parmi toutes les traditions de Terre Sainte, déjà elles-mêmes d’une nature à part entre toutes les traditions historiques locales pour la sécurité, la tradition d’Emmaùs a encore pour elle des gages particuliers de véracité et d’authenticité. Si cette tradition est authentique, elle est le témoignage des disciples témoins du fait et acteurs ; saint Luc n’a pu puiser son récit à une autre source ni le donner différent : il n’a pu désigner qu" Amo’às, et, s’il l’a eu en vue, il a écrit cent soixante stades et non soixante. Manuscrits, récits évangéliques et histoire s’accordent pour le proclamer. IV. Bibliographie. — A. Mrs. Finn, Emmaûs identified, dans Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement, 1883, p. 53-64 ; Henderson, On the Site of Emmaûs, ibid., 1879, p. 105-107 ; Arch. Henderson et R. F. Hutchinson, Emmaûs, ibid., 1884, p. 243-248 ;

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