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EMMAUS


cattus. Le manuscrit syriaque de Cureton, les manuscrits de l’Italique du ve au vie siècle, de la Vulgate du VIIe au VIIIe, de la Peschito du VIe au IXe, des versions égyptiennes, dont les plus anciennes, pour le passage de saint Luc, sont du xiie siècle, du XVe ou du xviie seulement pour la sahidique, et du xviie pour l’éthiopienne, ne peuvent être appelés, alors qu’ils n’existaient pas, comme témoins de l’état de ces versions au IVe siècle ni garantir que telle était la leçon primitive. Le codex du Sinaï et la leçon « cent soixante » ont avec eux Tite de Bosra, vers 360, cité par la Chaîne d’Oxford ( Tischendorf, p. 731) ; Kusèbe de Césarée, lorsqu’il indique Emmaûs à Nicopolis, qui est à cent soixante stades, et saint Jérôme de même à dix reprises différentes. Si le Fuldensis, le plus ancien manuscrit de la Vulgate ayant le passage en question, ne garantit pas que telle était la traduction de ce Père, appuyé de ses témoignages en faveur de Nicopolis et des trois manuscrits cités dans l’édition de Wordsworth, il est du moins le motif d’une forte présomption pour la leçon « cent soixante ». Au Ve siècle, l’Alexandrin, le syriaque de Cureton et trois ou quatre manuscrits de l’Italique sont favorables à « soixante ». Le Pétropolitain est pour « cent soixante » ; il a avec lui les témoignages externes d’Hésychius, t. xciii, col. 1444, florissant, selon Théophane, en 412 ; de Sozomène et de Virgilius, cités Emmaûs 1. C’est le témoignage de l’Église de Jérusalem. Ce témoignage confirme la leçon « cent soixante » pour la version syriaque hiérosolymitaine, très probablement en usage au ive siècle, certainement avant 600. Gregory, Prolegomena, p. 812-813. Les "formes aramaïques de la langue de cette version, voisine de la langue des Targums, permettent de croire qu’elle est, sinon la traduction primitive de l’Eglise judaïcochrétienne du I er siècle, du moins une recension de cette version. La plus haute ancienneté témoigne évidemment, soit par les documents, soit par les témoignages des Pères, en faveur de « cent soixante ». — Cette leçon réclame aussi pour elle l’universalité à cette époque. L’origine des manuscrits N, I, N, est indiquée par les « formes alexandrines qui les caractérisent ». La note marginale du manuscrit arabe de Jérusalem atteste que la leçon a été fort répandue en Egypte. Le codex K constate sa présence en Chypre, et le texte de Constantinople qu’il reproduit, le lieu d’où la leçon est venue en cette île. Le texte n est également le Constantinopolitain, semblable à celui des onciaux E, F, G, II, K, M, S, U, V, T, À ; le manuscrit est sorti de l’Asie Mineure et de Smyrne. Les cursifs du mont Athos confirment sa diffusion à travers l’empire de Byzance. Avec Tite de Bosra, cité par la Chaîne d’Oxford, on trouve la leçon dans le Hauran et dans l’Arabie. Les manuscrits de Bar-Saliba, les notes des Codex Assemani et Barberini, la montrent couvrant par la version philoxénienne ou héracléenne la Syrie supérieure et la Mésopotamie ; par la version arménienne du Ve siècle, elle occupe les régions orientales les plus extrêmes du monde chrétien. Le Fuldensis, les autres manuscrits de la Vulgate et le Sangertnanensis témoignent qu’elle n’était pas ignorée en Occident. La leçon « cent soixante » était donc partout. — « Cent soixante » semble la seule leçon connue des Pères ; ils désignent Emmaûs à cette distance sans paraître se douter de l’existence de la leçon ce soixante ». Si elle eût été en leur connaissance et commune, la contradiction était trop évidente, et le silence de saint Jérôme serait bien étrange ; celui d’Hésychius, dans l’exposé de ses Difficultés, lac. cit., serait plus inexplicable encore. Ils avaient cependant entre les mains des manuscrits nombreux du texte et des versions, et la lecture reçue dans les diverses Églises ne pouvait leur être cachée. En ce même temps, le Vaticanus devait être exécuté en Egypte et probablement à Alexandrie, d’une des mains qui avaient achevé le Sinaïtique. C’est de ià que sort le codex Alexandrin, comme son nom l’indique ; c’est en Egypte qu’a été trouvé le codex syriaque de Cureton. Le manuscrit de l’Italique

de Verceil existait en Occident. Il n’était peut-être pas l’unique où la variante se rencontrait. Les relations étaient fréquentes entre l’Italie et Alexandrie, et l’influence réciproque se manifeste dans une multitude de formes communes entre les manuscrits alexandrins et occidentaux. « Les formes dites alexandrines abondent plus dans le manuscrit D que dans les autres, » et la version latine qui l’accompagne indique qu’il fut fait par l’ordre d’une personne du monde latin et pour son usage privé. Le même motif, la destination particulière de ces manuscrits, doit sans doute expliquer pourquoi eux et leur leçon sont ignorés des Pères. « Cent soixante » apparaît ainsi, aux IVe et Ve siècles, comme la seule leçon généralement connue et officiellement adoptée pour Tusage des Églises, tandis que « soixante » semble une leçon égarée dans quatre ou cinq manuscrits réservés à l’usage de quelques personnes privées, probablement d’origine occidentale. Dans les siècles suivants, il est vrai, la situation respective des deux leçons se modifie. « Soixante, » qui à travers tout le VIe siècle, parmi les manuscrits grecs, ne trouve encore pour lui que le seul oncial D (la correction de N est postérieure), commence, aux VIIe et vin » siècles, à compter plusieurs évangéliaires, qui se multiplient au IXe et au Xe, et auxquels s’ajoutent, à partir du Xe, un grand nombre de manuscrits cursifs des Évangiles et plusieurs onciaux. Les versions italique et syriaque peschilo avaient commencé à lui donner la prépondérance numérique dès le vie siècle. Au xme, « soixante » est généralement adopté ; seules les notes marginales protestent que d’innombrables manuscrits, les meilleurs et les plus anciens, ont « cent soixante ». Aux XVe et xvi 6 siècles, cette leçon est seule admise partout, excepté dans l’Église arménienne, qui jusqu’aujourd’hui, chez les catholiques comme chez les grégoriens, continue à recevoir seulement la leçon « cent soixante ». Voir Gregory, Prolegomena, p. 359, 360, 369, 809, etc. La majorité des documents plus récents est pour « soixante », mais la majorité ancienne et primitive des témoins est pour « cent soixante » ; quoique numériquement moins considérable, la deuxième offre incontestablement une garantie plus grande. — Toutefois le plus grand nombre n’est pas le critérium suprême pour reconnaître l’authenticité d’une leçon ou d’un chiffre. Il peut varier et se tourner vers l’erreur. Plus d’un chiffre, dans la Bible, a pour lui le grand nombre, quelquefois l’unanimité absolue des manuscrits, des versions, des recensions, des éditions, qui est généralement reconnu de tous pour erroné. La valeur intrinsèque des témoignages et l’autorité des témoins doivent être appréciées plus que le nombre. À ce titre, la leçon « cent soixante » se recommande indubitablement plus que « soixante ». Le premier et principal témoin en faveur de « soixante », le Vaticanus, se distingue par des erreurs et des omissions très nombreuses de mots entiers, et doit être tenu pour suspect d’avoir omis parmi eux le chiffre « cent ». Elles ne sont pas rares dans le codex de Bèze, D, et, ce qui est plus grave, son auteur ne s’est point fait scrupule de modifier son texte en y introduisant de fréquentes interpolations. L’Alexandrin, soupçonné par Hort et Ceriani d’avoir été exécuté à Rome, à cause des influences occidentales qu’il accuse avoir subies, ne doit pas être moins suspect que la version Italique. Cette version, après le Vaticanus le plus ancien et le plus important témoin pour « soixante », pullule d’erreurs les plus grossières en tout genre. Saint Jérôme l’atteste, Epist. xxru, ad Marcellam, t. xxii, col. 431-432, et ad Damasum, t. xxix, col. 525-530, et son témoignage est trop confirmé par l’examen du codex de Verceil, le plus ancien document de cette version, et par les autres. C’est ce qui obligea le pape Damase à recourir au saint docteur pour lui demander une recension plus exacte. Tels sont les plus anciens et les plus solides fondements de la leçon « soixante ». Les manuscrits ayant « cent soixante », sans être exempts d’erreurs, sont certainement plus exacts. Le