Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/720

Cette page n’a pas encore été corrigée
1375
1376
DÉMONIAQUES


doute Notre - Seigneur parle de démons et semble les chasser ; mais « il se conforme à la manière de parler de son temps, et guérit ces infortunés sans partager l’erreur populaire ». Winer, BMisches Realwôrterbuch, Leipzig, -1833, 1. 1, p. 191. — 1. Il est vrai que plusieurs des symptômes signalés chez les démoniaques de l’Évangile, se rencontrent chez certains malades. Ceci prouve seulement ou que le démon a la puissance de produire dans les corps des maladies connues, comme il l’a fait pour Job, ii, 7, ou qu’il peut profiter soit d’une maladie préexistante, soit d’une prédisposition morbide qu’il développe, pour s’introduire dans un corps. — 2. Quand on dit de quelqu’un qui déraisonne qu’il a un démon, cette expression n’implique pas toujours le fait de la possession. Nous disons en français d’un homme vif et impétueux : « Il a le diable au corps. » Racine, Plaideurs, II, XI. Cette locution et beaucoup d’autres analogues, qui sont dans le langage courant, ne supposent nullement qu’un homme bouillant, emporté, déraisonnable, soit un possédé. Mais il ne suit nullement de là que les évangélistes ne veuillent parler que de maladifs quand ils attribuent à la présence du démon l’état de certains hommes. Ils distinguent, au contraire, très bien entre ceux qui sont simplement malades ou infirmes, Matth., viii, 14-17 ; xii, 9-14, etc., et ceux qui sont possédés. Quelquefois, dans la même circonstance, ils notent les guérisons distinctes des malades atteints de diverses affections et des malheureux tourmentés par les démons. Matth., iv, 24 ; Marc, iii, 10, 11 ; Luc, vi, 18, etc. Ils ne confondent donc pas les uns avec les autres. S’ils disent que Jésus guérissait les démoniaques, Matth., xv, 28 ; Luc, ix, 43, c’est parce que la maladie concomitante à la possession ou produite par elle réclamait une guérison, et que cette guérison était l’effet le plus sensible de la sortie du démon. — 3. Les Apôtres constataient chez les démoniaques des effets qu’on ne peut classer parmi ceux que produit une simple maladie. Il n’y a pas de maladie qui, au moment de sa disparition, jette violemment à terre le malheureux qu’elle abandonne, Luc, iv, 35, ou Je laisse pour mort sur le sol, Marc, ix, 25 ; qui puisse passer du corps d’un homme dans le corps des animaux. Matth., vili, 31, 32, etc. — 4. On ne saurait admettre que Notre-Seigneur se soit prêté à une feinte, en semblant chasser des démons là où il n’y avait que des maladies. Si la croyance aux possessions diaboliques eût été une illusion populaire, le divin Maître l’eût contredite et rectifiée, plutôt que de laisser l’esprit de ses contemporains s’égarer sur une question aussi grave. C’est ce qu’il fit à propos de l’aveugle-né. Se conformant à la croyance populaire, ses disciples jugèrent que cet aveugle devait son infirmité soit à des péchés commis avant sa naissance, soit aux péchés de ses parents. Notre-Seigneur rectifia ce jugement erroné, provenant d’une opinion qui avait cours chez les Juifs. Joa., ix, 2, 3. Il eût certainement agi de même si la croyance aux possessions diaboliques eût été une illusion. — 5. Enfin le divin Maître ne se contente pas de guérir ceux qui passent pour être possédés du démon. Il adresse à ses disciples des instructions expresses sur les possessions diaboliques, Matth., xii, 43-45 ; xvii, 17-20 ; Marc, ix, 27, 28 ; Luc, x, 17-20 ; xi, 24-26, et il leur confère le pouvoir de chasser les démons. Matth., x, 1 ; Marc, vi, 7 ; xvi, 17 ; Luc, ix, 1. Non seulement donc il tolère la croyance à la réalité des possessions diaboliques, mais encore il l’accrédite lui-même par ses actes et par ses paroles.

2° Si les cas de possession étaient réels, on en trouverait des exemples nombreux dans toute l’Écriture. Or c’est à peine s’il s’en rencontre un seul dans l’Ancien Testament. Quant aux démoniaques dont parle l’Évangile, ils vivent presque tous en Galilée, et en tout cas hors de Judée, et leurs guérisons ne sont racontées que par les synoptiques, tandis que saint Jean les passe sous silence. — 1. Si la possession était un phénomène d’ordre

purement naturel, on pourrait s’attendre à la constater d’une manière régulière à certaines époques et dans certains pays, comme la lèpre, par exemple, ou les diverses maladies avec lesquelles on a chercné à identifier la possession elle-même. Mais s’il y a là une action diabolique, il faut bien admettre que cette action s’exercera dans des conditions exceptionnelles, déterminées à la fois par la volonté perverse de Satan et par la permission que Dieu lui accorde. Aussi, remarque Frz. Œlitzsch, System der biblischen Psychologie, Leipzig, 1861, p. 305, « la manière dont Satan fait valoir sa domination sur l’humanité varie réellement suivant les temps et les circonstances. Dans l’Ancien Testament, c’est par l’idolâtrie, dont le fond véritable est l’adoration des dénions (sêdîm ; Septante : 8at(i, 6vea), c’est par les différentes pratiques jointes à l’idolâtrie, magie, nécromancie, divination, que Satan tenait en servitude tous les peuples, y compris Israël infidèle à Jéhovah avant l’exil. Exerçant ainsi sa domination sur les grandes masses, il n’avait pas besoin de montrer son pouvoir sur les individus, puisqu’il était là dans son propre domaine. Mais lorsque le châtiment salutaire de l’exil eut porté pour toujours le coup fatal à l’idolâtrie dans Israël, le pouvoir qu’a le royaume des ténèbres de nuire aux âmes et aux corps humains prit une autre forme. Des phénomènes sporadiques de possession corporelle ou plutôt à la fois spirituelle et corporelle commencèrent à s’y joindre. Si au temps de Jésus-Christ ils avaient crû en intensité et en nombre d’une si effroyable manière, c’est que le royaume des ténèbres mettait sur pied toutes ses forces, pour tenir tête à son vainqueur qui venait d’entrer dans l’histoire, et pour susciter contre lui l’hostilité des hommes qu’il rachetait. Mais Dieu avait son plan : faire reconnaître, à son triomphe éclatant sur les démons, la venue du royaume de Dieu dans le Christ et avec le Christ. Luc, xi, 20. » Dans la pensée de Dieu, ces possessions multiples dewaient servir à manifester sa gloire, comme l’infirmité de l’aveugle-né, Joa., ix, 3 ; la mort de Lazare, Joa., xi, 4, etc. Notre-Seigneur semble le dire au démoniaque de Gadara, qui veut le suivre après sa délivrance. Marc, v, 19. — 2. On comprend dès lors que les possessions diaboliques se soient produites de préférence en Galilée, où régnait un courant sympathique à la personne et à l’œuvre du Sauveur, tandis qu’en Judée l’orgueil des scribes, des pharisiens et des princes des prêtres entretenait contre le divin Maître une opposition qui pouvait satisfaire pleinement les vues de Satan, et qui aboutit à la condamnation finale de Jésus. Les synoptiques racontent les guérisons de possédés qui se produisaient fréquemment en Galilée ; saint Jean ne parle pas de démoniaques, parce qu’il ne s’en rencontrait guère à Jérusalem et en Judée, où se passent les événements auxquels il borne à peu près exclusivement ses récits. Toutefois il ne tait pas ce qui se disait à ce sujet à Jérusalem même, où quelques-uns accusaient Notre-Seigneur d’avoir un démon et d’être atteint de folie, tandis que les autres répondaient avec une parfaite raison : s Ces paroles ne sont pas d’un homme ayant un démon ; un démon peut-il donc ouvrir les yeux des aveugles ? » Joa., x, 20, 21. — 3. Les faits de possession diabolique ne se bornent nullement à ceux que rapportent les évangélistes. Les Pères relatent un grand nombre de faits de même nature, ayant un caractère public et inexplicable autrement que par l’intervention diabolique. Us tirent hardiment contre les dieux du paganisme un argument basé sur le pouvoir qu’ont les chrétiens de chasser les démons. Tertullien, Apologet., xxiii, t. i, col. 410 ; Minutius Félix, Octav., xxvii, t. iii, col. 323 ; S. Jérôme, Adv. Vigilant., 10, t. xxiii, col. 348, etc. Saint Justin, originaire de Sichem, en Palestine, qui se trompe en disant que les démoniaques sont tout simplement des hommes tourmentés par les âmes des morts, Apolog., i, 18, t. vi, col. 356, apporte en faveur de la divinité de Jésus-Christ cette raison qu’en son nom on soumet tout démon, ce