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DÉMON

nom propre ; ils se servent alors de διάβολος. Σατᾶν ne se trouve que pour rendre le mot hébreu en tant que nom commun. III Reg., xi, 14, 24. La Vulgate traduit alors par adversarius. —

2. Δαίμων, dæmon, et δαιμόνιον, dæmonium. Le mot δαίμων, qui vient probablement comme δαήμων, « savant, » d’un radical δάω, « enseigner, » et au passif « connaître », ou encore de δαίω, « diviser » et « allumer », désigne dans les auteurs grecs les dieux, le destin, les divinités inférieures, les âmes des morts et les génies, bons ou mauvais, attachés à un homme, à une cité, etc. Le mot δαιμόνιον est donné par les mêmes auteurs quelquefois aux divinités, Act., xvii, 18 ; plus souvent aux êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes et aux génies. Dans certains textes, « Démon » est réellement un génie malfaisant. Plutarque, Cæs., 69 (fig. 491). Les deux mots grecs ne prennent le sens précis de « démon » que dans les Septante et le Nouveau Testament. Il y a donc là adaptation d’un mot ancien à une idée nouvelle. Cf. Bailly-Egger, Dictionnaire grec-français, Paris, 1895, p. 425, 434. Les versions traduisent par ce nom différents mots du texte hébreu dont le sens est moins déterminé : še‘îrîm, « boucs, » idoles ayant la forme de ces animaux, Lev., xvii, 7 ; II Par., xi, 15, et parfois boucs sauvages vivant au désert, Is., xiii, 21 ; xxxiv, 14 ; voir t. i, col. 1871 ; — šēdîm, « puissants, » idoles analogues aux be‘âlîm, « seigneurs » ou dieux, Deut., xxxii, 17 ; Ps. cvi (cv), 37 ; — ĕlilim, « des néants, » autre nom donné aux idoles, Ps. xcvi (xcv), 5 ; — ṣiyyîm, « bêtes sauvages » habitant le désert, Is., xxxiv, 14 ; — yâšûd, « ce qui dévaste, » dans ce texte du Ps. xcxi (xcx), 6 :

La peste qui se glisse dans les ténèbres,
La ruine qui dévaste en plein midi.

Les Septante mentionnent ici un « démon du midi », par suite du rapport qu’ils supposent entre yâsûd et Sêdîm, « puissants, » et d’après eux c démons », les deux mots venant du même radical sud, « être puissant » et « dévaster ». Les versions de Baruch, iv, 7, 35, emploient les mots δαιμόνια, dæmonia. — 3. Διάβολος, diabolus, de διάβαλλω, « diviser, attaquer, calomnier. » Chez les auteurs grecs, διάβολος est le nom de l’homme qui inspire la haine ou l’envie, Pindare, Fragm. 270 ; Aristophane, Equit., 45, et du calomniateur. Aristote, Topic., 4, 5, 9, 11. L’Écriture se sert de ce nom pour désigner le démon. Les Septante rendent par διάβολος le šâtân hébreu dans les deux premiers chapitres de Job, I Par., xxi, 1, et Zach., iii, 1, 2, où la Vulgate traduit par Satan. — Au Ps. cix (cviii), 6, où David souhaite que l’accusateur (šâtân employé comme nom commun) se tienne à la droite du traître, on lit διάβολος, diabolus dans les versions. Voir Diable. — Dans le texte de III Reg., xxi, 13, des hommes de belîya‘al, c’est-à-dire des vauriens, sont appelés par les Septante hommes de « transgressions » et d’« apostasie », et par la Vulgate filii diaboli et viri diabolici. — Les versions du psaume lxxvii (lxxviii), 49, parlent d’ « anges mauvais », ἀγγέλοι πονηροί, angeli mali. En hébreu, les mal’âkê rà‘îm sont seulement des « anges de malheurs », probablement de bons anges envoyés par Dieu, comme l’ange exterminateur, pour châtier les coupables.

3ᵒ Dans le Nouveau Testament.


1. Σατανᾶς, Satanas, et jamais l’indéclinable Satan. Ce mot désigne ordinairement le prince des démons. —
2. Διάβολος, diabolus, avec le même sens. —
3. Δαίμον, δαιμόνιον, dæmon, dæmonium, nom donné aux anges qui obéissent à Satan. —
4. Béelzébub. Voir t. i, col. 1547. —
5. Le « dragon » ou « serpent antique » du paradis terrestre. Apoc, xii, 3, 9 ; xiii, 2 ; xvi, 13 ; xx, 2. —
6. Le « tentateur », ὁ πειράζων, tentator. Matth., iv, 3. —
7. Le « mauvais », πονηρός, malignus, nequam. Act., xix, 12 ; I Joa., ii, 13. —
8. L’ « adversaire », ὁ ἀντίδικος, qualificatif du diable. I Petr., v, 8. —
9. L’ « esprit immonde », τὸ ἀκάθαρτον πνεῦμα, spiritus immundus. Matth., xii, 43, etc. Ce nom est donné à Satan et à tous les démons. —
10. Dans saint Paul, Ephes., vi, 12, « princes et puissances, » « gouverneurs de ce monde de ténèbres, » κοσμοκράτορες τοῦ σκότους τούτου, mundi redores tenebrarum harum, cf. Luc, xxii, 53, « esprits de malice, » πνευματικὰ τῆς πονηρίας, spiritualia nequitise. —
11. Belial. Voir t. i, col. 1561. —
On ne peut présenter comme des noms du démon, ainsi que quelques Pères l’ont fait, les mots Behemoth, qui désigne l’hippopotame, voir 1. 1, col. 1551, et Leviathan, qui désigne le crocodile, voir t. ii, col. 1120. Le nom de « Lucifer » lui-même n’apparaît dans la Sainte Écriture que pour signifier l’aurore ou une brillante étoile, ἑωσφόρος, hêylêl. Dans le passage où Isaïe, xiv, 12, écrit : « Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer ! » il s’adresse à Babylone, dont il prédit la chute retentissante. Le nom de Lucifer, comme du reste tout le passage d’Isaïe, xiv, 12-15, ne peuvent donc s’appliquer à Satan que dans le sens figuré. Voir Petau, De angelis, III, ii, 21.

II. La notion du démon dans l’Écriture. —

1ᵒ De Moïse à Salomon.

Ainsi que nous l’avons constaté à propos des noms du démon, l’idée de l’ange déchu semble avoir été à dessein laissée dans l’ombre à travers les plus anciens livres de l’Écriture. Dans le récit de la chute, il n’est question que d’un serpent ; mais ce serpent cache une personnalité spirituelle et invisible qui n’est pas nommée. La tromperie dont la femme est victime est attribuée, non pas à l’esprit qui se dissimule dans le serpent, mais au serpent lui-même, et c’est ce dernier seul que semble frapper la sentence divine. Gen., ii, 13-15. L’intention formelle du narrateur sacré est donc de ne pas nommer Satan. Le motif de ce silence se comprend. Le but de Moïse était d’établir inébranlablement dans l’esprit de son peuple l’idée du Dieu invisible, mais unique, tout-puissant, maître absolu de toutes choses en ce monde, particulièrement du bien et du mal. S’il eût nommé dès la première page de la Genèse un être invisible, assez puissant pour contrecarrer par sa malice les volontés de Dieu et faire avorter ses plans , les Hébreux grossiers n’auraient sans doute pas manqué de faire dé cet être une divinité du mal, analogue à la divinité du bien , et de détourner vers elle la plus grande partie de leurs hommages inspirés par la crainte. C’est ainsi que les Égyptiens honoraient à la fois Râ et les dieux du bien, Set et les dieux du mal. Chez les Chaldéens, la plupart des dieux étaient malfaisants, et le culte consistait principalement à conjurer leurs attaques. Cf. Maspero, Histoire ancienne de l’Orient classique, Paris, 1895, t. i, p. 157, 630-636. Il n’en pouvait être ainsi chez les Hébreux. Aussi le législateur inspiré et, à son exemple, les écrivains sacrés qui le suivent, n’attribuent-ils au génie du mal qu’un rôle tout subalterne.

2ᵒ Dans le livre de Job et après la captivité de Babylone.

Pour la première fois le nom de Satan apparaît dans le livre de Job. Le démon s’y montre envieux, malfaisant, cruel envers l’homme vertueux, dont il semble se faire un ennemi personnel. Mais son action est étroitement subordonnée à la permission de Dieu. Job, I, 12 ; ii, 6. Cette subordination est même si accusée, qu’Herder a cru pouvoir ne reconnaître dans le Satan de Job qu’un g ange entièrement soumis à Dieu, dont il n’est que le messager… ; l’ange justicier de Dieu, qui l’envoie pour découvrir et punir le mal ». Histoire de la poésie chez les Hébreux, trad. Carlowitz, Paris, 1851, p. 102. Cette idée n’est point juste, car Satan manifeste des sentiments de haine qui ne sauraient convenir à un ange fidèle. Job, i, 9-11 ; ii, 5. Il ne serait pas exact non plus d’affirmer, comme l’ont fait quelques auteurs, que la notion distincte du démon n’est parvenue aux Hébreux qu’à la suite de leur contact avec les Perses, durant la captivité, et qu’en conséquence le Satan de Job ne désignerait qu’un « adversaire » indéterminé. Le silence de l’Ecriture ne prouve