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DANIEL (LE LIVRE DE)


associé au trône par son père. Cette opinion est fondée sur les inscriptions. On sait, par une tablette d’argile, que Nabonide étant à Téva ou Ténia, les septième, neuvième, dixième et onzième années de son règne, « le fils du roi, les officiers et les soldats étaient [ dans les forteresses du pays d’] Accad. » lig. 5, 10, 19, 23 (T. Pinches, Transactions, t. vii, p. 139-176) ; cette expression de la tablette : « le fils du roi, » abal sarru, doit se traduire, selon le P. Delattre (Salomon, Assurbanipal, Baltassar, Bruxelles, 1883), par « le fils-roi », ou mieux « le roi associé », ce qui prouve que Nabonide s’associa dans le gouvernement son fils. Il est naturel que ce fils associé ait été son premierné. Or son premier-né, « le rejeton de son cœur, » s’appelait Bel-sar-usur (Baltassar), suivant un des quatre cylindres trouvés à Mughéir ( Western Asiatic Inscriptions, t. i, p. 68 ; voir J. Menant, Babylonie et Chaldée, Paris, 1875, p. 258, col. ii, lig. 24, 25, 26), et plusieurs autres documents cunéiformes. Il est donc fort croyable qu’un contemporain ait pu parler de lui comme d’un roi.

— L’association de Baltassar au trône se justifie en outre par d’autres faits analogues, et surtout par Dan., v, 16 : « Tu seras le troisième dans mon royaume. » Pourquoi le troisième, et pas le second ? Parce que le second était Baltassar lui-même, le corégent. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes, t. iv, p. 464. — Nabuchodonosor est appelé son père, dans le texte, à plusieurs reprises, et c’est avec raison. Le mot « père », ’ab, a, en assyrien comme en hébreu, un sens large. Il signifie aussi « prédécesseur », comme des exemples le prouvent. Il veut dire sans doute ici « grand-père » ou s aïeul ». Baltassar était en réalité le petit-fils de Nabuchodonosor, son père Nabonide ayant épousé, pour s’affermir sur un trône usurpé, l’une des filles de ce glorieux monarque, peut-être la veuve de Nergal-sar-usur. Le fait est qu’il eut après Baltassar un autre fils portant ce grand nom, puisque dans l’inscription dite de Behistun, on lit que la Babylonie fut soulevée successivement par deux aventuriers « criant faussement : Je suis Nabuchodonosor, le fils de Nabonide ». La preuve, sans être péremptoire, n’est pas sans valeur.

— 6. On ne sait pas encore avec certitude à quel personnage historique répond Darius le Mède, vi. Il existe à cet égard sept ou huit hypothèses (voir G. Brunengo, L’impero, p. 452 et suiv. ; A. Hebbelynck, De auctoritate, p. 191) que nous n’avons pas à discuter ici. Voir Darius le Mède. — La création des cent vingt satrapies, dont il est parlé vi, 1, n’est pas incroyable, pourvu que l’on entende ces satrapies de simples districts, et ces satrapes de simples gouverneurs assez semblables aux pihat assyriens. Y voir une copie de l’organisation faite par Darius Hystaspe, plus tard, c’est forcer le texte. Nous pensons, au contraire, que les divisions administratives du Mède furent comme le germe de ce qui se fit postérieurement, avec extension. Voir J. M. Fuller, Holy Bible, t. VI, p. 315. Rien d’ailleurs, dans vi, 23, ne nous oblige à croire que sa juridiction fût universelle et sans limite ; et il n’est pas à craindre, ce semble, que les inscriptions à découvrir ou à déchiffrer ne viennent donner raison à M. Driver. — 7. Le mot bas-sefarim, « par les livres, » Dan., ix, 2, ne signifie pas nécessairement une collection de livres saints. Il signifie simplement les livres, des livres déterminés, peut-être les seuls écrits de Jérémie, qui certes existaient avant Daniel. J. M. Fuller, op. cit., p. 352. Cf. J. Knabenbauer, In Daniel., p. 224. — 8. Il n’est pas improbable que Daniel ait pris rang parmi les « mages », et que ceux-ci lui aient fait place parmi eux. Moïse a été instruit par les prêtres égyptiens, Act., vii, 22 ; pourquoi Daniel ne l’auraitil pas été par les chaldéens ? Il a très bien pu s’initier aux secrets de leur science sans professer leurs doctrines. Il est vrai que les Perses n’instruisaient jamais de non-Perses, à moins d’un ordre du roi. Et on doit en dire autant des Babyloniens, par analogie. Mais cet ordre, les mages ici l’avaient explicite et formel. Cf. i, 3, 4. On sait par les textes cunéiformes que

les Assyriens faisaient élever à leur cour de jeunes étrangers, dont ils se servaient ensuite pour le gouvernement des pays conquis. — 9. La folie de Nabuchodonosor était une lvcanthropie. Le texte, Dan., iv, 22, rend la chose indubitable. Voir E. B. Pusey, op. cit., p. 428-440. Cf. F. Vigouroux, Les Livres Saints, t. iv, p. 331 et suiv. ; A. Hebbelynck, De auctoritate, p. 159-169. La difficulté, à proprement parler, n’est donc pas là. La. difficulté est plutôt historique. Il n’est parlé nulle part de cette longue folie. Donc elle n’a pas existé, c’est une légende. Notons d’abord que sa durée n’est pas définie. Le texte annonce « sept temps », ce qui peut être, selon nous, trois ans et demi ; moins encore, suivant d’autres. Puis, du silence des contemporains on ne saurait conclure à l’inexistence du fait. Le silence est explicable. Parmi ceux qui pouvaient écrire ou écrivirent de Nabuchodonosor, plusieurs, comme Jérémie et Ézéchiel, étaient morts sans doute ; du reste rien ne les amenait à traiter ce sujet ; d’autres vinrent plus tard, comme Esdras et Néhémie, assez longtemps après ; d’autres ne nous ont laissé que de simples fragments ou se sont bornés à une partie du règne, comme l’auteur des Annales des Phéniciens et Philostrate. Mais encore n’est-il pas absolument vrai qu’il n’y a aunune trace du fait. On s’accorde généralement à le reconnaître, quelque peu défiguré, dans un texte d’Abydène. (Voir Eusèbe, Prsep. Ev., ix, 41, t. xxi, col. 760 ; Chron. arm., édit. Aucher, t. i, p. 59.) De plus, ne pourrait-on pas voir, avec des assyriologues de renom, une allusion à cette folie dans la Standard Inscription of Nebuchadnezzar, rapportée par les Western Asiatic Inscriptions, t. i, tabl. 56-64, col. vin. Cf. G. Brunengo, L’impero, p. 251 et suiv. et p. 340, 341. On ne s’attend pas d’ailleurs à la voir rappelée par les successeurs ; car c’est une loi des rois d’Assyrie et de Babylonie de taire tout ce qui peut, à certains égards, obscurcir leur gloire ou celle de la dynastie. Et enfin, cet accident singulier n’a pas dû laisser de trace bien sensible, parce qu’il dura peu, et qu’il est censé n’avoir été connu dans l’immense empire que très discrètement, les affaires continuant d’être dirigées fermement, comme d’habitude, ou par la femme favorite, ou par le rab-mag Bel-labar-iskun, ou même, a - 1 - on dit, par un conseil ayant Daniel à sa tête. L’édit qui annonce aux peuples, en style de curie, cet étrange événement, pour irrégulière qu’en paraisse la rédaction, n’offre vraiment aucune difficulté. Il n’y en a pas non plus dans les termes de suprême louange dont il se sert, lui, et après lui Darius et Cyrus même, pour. exalter le grand Dieu d’Israël ; car ils pouvaient en agir ainsi tout en restant idolâtres. Leur polythéisme, car ils étaient polythéistes, même Cyrus (on n’en doute plus aujourd’hui), excluait le monothéisme, mais non pas la confession et le culte d’un premier et souverain Dieu, — Deus exsuperantissimus, — dominant la foule des dieux inférieurs. Il n’y a donc pas contradicition. Cf. E. B. Pusey, Daniel, p. 440.

2° Objections philologiques. — « Le verdict de la langueest clair. Les mots persans [qu’on y rencontre] font conclure à une époque postérieure à l’établissement de l’empire des Perses. D’autre part, les mots grecs demandent, les mots hébreux appuient, les mots araméens permettent une date postérieure aussi à la conquête de la Palestine par Alexandre le Grand (332). » S. R. Driver, Introduction, p. 469. — Réponse. — Ni les mots ni la langue ne réclament cette date et cette époque. Les mots persans ne sont pas si nombreux qu’on prétend, « probablement quinze au moins, » dit M. Driver, p. 469, note 1. Du reste, on n’est pas encore fixé sur leur véritable origine (E. B. Pusey, Daniel, note A, p. 569 et suiv.) ; mais, quoi qu’il en soit, Daniel ayant vécu à la fin de sa vie sous la domination perse, rien n’empêche qu’il y ait des mots perses dans son livre. En tout cas, leur présence renverse l’opinion de la date machabéenne du livre ; car très certainement, en 163, l’influence persane n’existait