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CROCODILE


à une époque très reculée, puisque Pline parle de Crocodilon comme d’une ville déjà ruinée de son temps. Les premiers couples ont-ils été apportés d’Egypte ? Une légende locale l’affirme. Liévin, Guide de la Terre Sainte, Jérusalem, 1887, t. iii, p. 228. Mais on ignore à quelle époque remonte cette légende. On n’en peut donc rien conclure, surtout après le résultat de l’examen fait par le D' Lortet.

III. Le crocodile dans les adtedrs sacrés. — L’auteur de Job parle du crocodile sous le nom de Léviathan et en donne une longue description poétique, Job, XL, 20xii, 25 (hébreu, XL, 25-xli, 26), en soixante-quatre vers. Elle occupe le dernier rang parmi les tableaux zoologiques que trace l’auteur du livre, et le crocodile apparaît à cette place comme la plus frappante des merveilles du monde animal. L'écrivain sacré commence par défier l’homme de s’emparer du crocodile, de le plier à sa volonté, d’en faire son jouet ou sa nourriture, XL, 20-25. Il dépeint la terreur qu’inspire son seul aspect :

Rien qu'à le voir tu seras terrassé, Personne n’a l’audace de le provoquer… S’il s'élance, les braves sont saisis d’effroi Et, dans leur terreur, sont hors d’eux-mêmes…

xl, 28 ; xli, 1, 16 (hébreu, xli, 1-2, 17).

Ces expressions rappellent celles qui ont été citées plus haut, à propos du pêcheur égyptien.

Le crocodile a une structure extraordinai rement puissante :

Je ne passerai pas sous silence ses membres,

La nature de sa force, l’harmonie de sa structure.

Qui lui enlèvera sa carapace supérieure ?

Qui pénétrera dans sa double rangée de dents ?

Qui forcera les portes de. sa face ?

Dans son cercle de dents quelle épouvante !

Son dos ressemble aux plaques d’un bouclier

Étroitement scellées les unes aux autres,

Et si intimement unies ensemble,

Que le moindre souffle n’y pourrait passer.

Elles adhèrent l’une à l’autre

Et se tiennent inséparablement…

Son cou est le siège de la force,

Mais la terreur court devant sa face.

Toutes les parties de son corps font un seul tout,

Toutes se tiennent et sont inébranlables.

Son cœur est solide comme le roc,

Dur comme une meule fixe. xli, 3-8, 13-15.

Le corps de l’animal ne présente, en effet, en dehors de ses courtes et vigoureuses pattes, aucune partie saillante par laquelle on puisse le saisir ; il forme vraiment un seul tout, protégé par une carapace impénétrable. L'écrivain sacré décrit ensuite les effets de lumière que produit le monstre quand il projette l’eau à la surface ou la fait bouillonner, par ses mouvements rapides, sous les rayons d’un soleil éclatant :

Son éternuement fait jaillir là" lumière,

Ses yeux sont comme les cils de l’aurore.

De son gosier s'élancent des flammes

Et jaillissent des étincelles de feu.

De ses narines sort la vapeur

Comme d’une chaudière chauffée à l'ébullition.

Son souffle allume des charbons,

Et la flamme se précipite de sa bouche…

H fait bouillonner l’eau comme une chaudière,

Et la fait ressembler au mortier du parfumeur.

Il laisse derrière lui une trace lumineuse,

On dirait que le gouffre a des cheveux blancs.

XLI, 9-12, 22-23.

Quand le crocodile projette l’eau au dehors par sa bouche ou par ses narines, la vapeur ou les gouttelettes forment comme des jets lumineux, sous l’action si vive du soleil d’Orient. Parfois même, quand le spectateur est convenablement placé, il peut voir la lumière se décomposer à

travers cette eau ainsi divisée, et les jets revêtir les couleurs de l’arc-en-ciel. L’animal paraît ainsi jeter du feu par la bouche. Quand il se meut rapidement dans l’eau, il la fait bouillonner. Tout y semble alors en ébullition, comme dans une chaudière, et en mélange confus, comme dans un mortier à parfums. Les métaphores dont se sert ici le poète sacré se retrouvent dans les écrivains classiques. Le souffle des animaux est comparé à la flamme par Pindare, Pythie, iv, 400 ; Virgile, JEneid., xii, 101 ; Ach. Tatius, iv, 2 ; la chevelure blanche est prêtée à la mer par Homère, Iliad., xv, 190 ; xx, 229 ; Odyss., v, 410 ; Sophocle, Antigon., 334 ; Aristophane, Aves, 350 ; Apollonius, Argonautic., i, 545, etc. L’auteur sacré assimile aussi les yeux du crocodile aux cils de l’aurore. Cette expression fait sans doute allusion à une métaphore familière aux Égyptiens. Ceux-ci considéraient Râ ou le soleil comme sortant du sein des eaux et ouvrant les yeux dès son apparition à la surface. « Tu ouvres les deux yeux, et la terre est inondée de rayons de lumière, » disent fréquemment les anciens textes. Maspero, Histoire ancienne, 1. 1, p. 137. Or, quand le crocodile remonte des profondeurs du fleuve, ce qu’on voit tout d’abord affleurer à la surface, ce sont ses yeux, situés à la partie prééminente de la tête. Aussi les anciens Égyptiens, dans leur écriture hiéroglyphique, « peignaient des yeux de crocodile pour signifier l’aurore, parce que les yeux apparaissent des profondeurs avant le reste du corps de l’animal. » Horapollon, Hieroglyphica, I, 68. — L'écrivain sacré parle ensuite de l’im.puissance des armes à entamer la carapace du crocodile, xli, 17-21. Cette impuissance était presque absolue chez les anciens, qui n’avaient pas à leur disposition des armes

408. — Chasse an crocodile. Sauiet el-Meitin. vi « dynastie. D’après Lepsius, Denkmaler, Abth. ii, Bl. 105.

aussi redoutables que les nôtres. On chassait cependant quelquefois le crocodile dans des barques et à l’aide de longues lances (fig. 408). On cherchait à frapper l’animal dans les yeux, la seule partie vulnérable de la surface supérieure du corps. Cette chasse dangereuse devait être assez rare, comme celle de l’hippopotame. Les gens du peuple ne s’avisaient pas de l’entreprendre. — L’auteur conclut sa description en ces termes :

Il n’a pas son semblable sur terre, Lui qui est à l’abri de toute crainte. Il regarde de haut toute grandeur, It est le roi des êtres les plus féroces.

xii, 24-25 (hébreu, 25 -26).

Dans cette description, l’auteur de Job parle du crocodile en témoin oculaire. Il est à peu près certaiu qu’il a vu le monstre, non dans la petite rivière de Zerka, mais en Egypte même. Il vient du reste de décrire l’hippopotame, sous le nom de béhémoth. Or ce dernier n’avait pu être suffisamment connu de lui que sur les bords du Nil. — Dans Isaïe, xxvii, 1 ; xxx, 7 ; li, 9, les ennemis d’Israël sont désignés par les trois noms hébreux qui servent également à indiquer le crocodile. Dans Ézéchiel, xxix, 3 ; xxxii, 2, le « tannin couché au milieu des fleuves » est