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de vue que nous étudions : c’est la différence absolue de condition qui sépare les justes et les méchants dans la vie future. Et encore cette distinction n’est-elle formulée qu’assez tard, du moins avec toute la clarté désirable. — 1. Ni le Pentateuque, ni les autres livres les plus anciens de la Bible, n’exposent clairement le dogme des récompenses après la mort. Ce silence, — qui est loin d’être une négation, — s’explique de la part de Moïse, qui n’avait nullement l’intention de faire un exposé méthodique des croyances religieuses des Hébreux, et qui, se considérant avant tout comme un législateur civil et politique, ne voulut pas appuyer son œuvre sur une base essentiellement religieuse, telle que la sanction de la vie future. Il pouvait craindre aussi que la mention d’une récompense ultra-terrestre ne favorisât les tendances idolâtriques du peuple charnel qu’il gouvernait. La perspective des félicités d’ici-bas était beaucoup plus à la portée des Hébreux, et Moïse crut devoir s’en contenter. — 2. D’une façon générale, le séjour des âmes après la mort est appelé, dans l’Ancien Testament, le Se’ôl, lieu sombre et profond qui servait indistinctement de demeure aux bons et aux méchants. Gen., xxxvii, 35 ; Num., xvi, 30 ; Job, x, 21-22 ; Is., xxx viii, 18. Au reste, cette croyance à un séjour commun n’implique pas nécessairement, tant s’en faut, la croyance à une situation identique pour les justes et les impies. Mais Dieu n’ayant pas jugé à propos de révéler immédiatement la différence de condition qui les séparait, on s’explique l’obscurité et l’indécision qui enveloppent tout d’abord la doctrine biblique. Cette obscurité d’ailleurs se dissipe peu à peu, à mesure qu’on avance vers les temps messianiques. — 3. Certains interprètes ont cru voir dans le livre de Job, xix, 23-27, la croyance à une récompense céleste, quand Job s’exprime ainsi :

Je sais que mon vengeur est vivant,

Et que le dernier il sera debout sur la poussière.

De ce squelette, recouvert de sa peau,

De ma chair je verrai Dieu.

C’est bien moi-même qui le verrai ;

Mes yeux le verront, et non un autre ;

Mes reins se consument dans cette attente.

(Traduction sur l’hébreu.)

Ce passage contient sans doute la doctrine de la résurrection de la chair, mais non celle d’une récompense qui serait la vision de Dieu. Job n’affirme qu’une chose, c’est qu’il verra Dieu comme vengeur et justicier. « Il n’y a qu’une circonstance, dit avec raison M. Lesêtre, Commentaire sur Job, p. 129, où Job puisse voir Dieu de ses yeux, et où cette vision soit un argument pour ses amis, c’est le moment de la résurrection qui précédera immédiatement le dernier jugement. Le corps de Job sera dans le tombeau ; près de lui se dressera la stèle, témoin irrécusable de son espérance. Sur la poussière de la tombe se tiendra debout le Rédempteur, devenu juge universel ; par sa puissance, il rendra la vie à ce corps, autrefois si éprouvé ; il convoquera les amis de Job, ressuscites comme lui, et enfin il prononcera le jugement. Les trois amis se convaincront alors que Job est innocent, et qu’il a eu raison d’en appeler à cette sentence suprême. » — 4. On trouve quelques allusions plus ou moins nettes à une récompense future dans les passages suivants : Num., xxm, 10, où Balaam exprime le vœu que son âme meure de la mort des justes ; Ps. lxxii, 24, où le psalmiste affirme que Dieu le prendra plus tard dans sa gloire ; Ps. xvi, 15, où David prie Dieu qu’il puisse contempler sa face, et à l’heure du réveil se rassasier de sa vue. — 5. Le dogme d’une récompense éternelle est mentionné plus clairement par les prophètes de la captivité et les livres deutérocanoniques. Daniel nous affirme que « ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour un opprobre qui durera toujours. Les sages brilleront comme l’éclat du firmament, et ceux qui enseignent aux autres la justice

seront étincelants comme les astres pendant toute l’éternité ». Dan., xii, 2-3. — Dans le livre qui porte son nom, le vieux Tobie tient un langage analogue. Il n’est soutenu dans ses œuvres de charité que par l’espérance de la vie future. « Nous sommes les enfants des saints, et nous attendons cette vie que Dieu donnera à ceux qui lui restent fidèles. » Tob., ii, 18. La même pensée se retrouve dans les conseils qu’il donne à son fils. « Sois charitable, lui dit-il, en la manière que tu pourras. .. Tu amasseras ainsi un trésor de récompenses pour le jour du besoin. Car l’aumône délivre du péché et de la mort, et elle empêchera l’âme d’aller dans les ténèbres. » Tob., iv, 8-11. L’ange Raphaël est encore plus explicite : « L’aumône délivre de la mort ; c’est elle qui efface les péchés, et qui fait trouver la miséricorde et la vie éternelle. » Tob., xii, 9. — Le livre de la Sagesse, m, 1-4, nous apprend que « les âmes des justes sont dans la main de Dieu ; le tourment de la mort ne les touchera pas. Aux yeux des insensés, ils ont paru mourir… ; mais ils sont en paix. Malgré les souffrances qu’ils ont endurées devant les hommes, leur espérance est riche d’immortalité », — Le second livre des Machabées, vii, 9, 11, 14, 23, 36, parle aussi en général des récompenses de la vie future, en les associant d’ailleurs, comme le livre de Daniel, à la résurrection des corps. — On voit, par ce court exposé, comment et jusqu’à quel point s’est développé, dans l’Ancien Testament, le dogme d’une récompense ultra-terrestre. Si Dieu a mesuré sa lumière aux Juifs avec une certaine parcimonie, c’est uniquement pour s’accommoder à leur faiblesse et à leurs besoins. Il convenait que le Christ seul nous révélât complètement le bonheur du ciel, puisque lui seul devait nous y introduire.

2° Nouveau Testament. — Il a ceci de commun avec l’Ancien, que tous deux proclament, — et c’est le point capital, — l’existence d’une sanction éternelle différente pour les bons et les méchants après leur mort. Les bons auront la « vie éternelle » : c’est la formule employée par les deux Testaments pour caractériser leur sort ultra-terrestre, Dan., xii, 2 ; Matth., xxv, 46, etc., formule qui équivaut de tous points à celle d’une récompense éternelle proprement dite. Mais la révélation juive se tait sur trois points de la plus haute importance, à savoir : le lieu général du séjour des justes, le moment précis où commence leur bonheur, et la nature de la récompense qui leur est réservée. La révélation chrétienne a merveilleusement complété la première sous ce triple rapport. Elle nous apprend, en effet, que les justes qui sont entièrement purifiés de leurs fautes vont au ciel, séjour de la Divinité ; que leur bonheur commence aussitôt après la mort, sans attendre la résurrection générale ; et que ce bonbeur consiste, d’une façon sommaire, à voir Dieu face à face pendant l’éternité.

1. Tantôt la récompense des justes est placée en propres termes au ciel, ou dans le royaume de leur Père : « Réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse, car votre récompense est abondante dans les cieux, » Matth., v, 12 ; « les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, » Matth., xiii, 43 ; cf. Luc, vi, 23 ; tantôt c’est avec Jésus-Christ lui-même qu’on nous montre les élus, I Thess., iv, 17 ; cf. Philip., i, 23 ; et tantôt on affirme qu’ils jouissent de la vue de Dieu tel qu’il est. I Joa., m, 2. Toutes ces formules sont équivalentes entre elles. Jésus-Christ, dans son discours après la cène, quelques 1 heures avant de quitter ses disciples, insiste également l sur la pens.ée du ciel : a II y a plusieurs demeures dans j la maison de mon Père. S’il en était autrement, je vous l’aurais dit, car je vais vous préparer une place. Et lorsque je serai parti et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous soyez aussi. » Joa., xiv, 2-3. Il résulte clairement de ce passage que Jésus-Christ ne jouira pas seul . de la félicité qui l’attend a^rès sa mort dans la demeure