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CHRONOLOGIE BIBLIQUE


sions du Pentateuque ne sont pas certains et qu’on peut désespérer d’en retrouver jamais la véritable leçon. Mais nous n’accorderons pas à Lenormant que les chiffres de durée énoncés à l’occasion des patriarches antédiluviens sont « des nombres cycliques » (p. 272). Nous leur maintiendrons le caractère historique qu’ils avaient dans le texte original et qu’ils auraient encore, si ce texte nous était parvenu intégralement. Quelques critiques pensent l’avoir retrouvé dans une des trois recensions. Pezron suivait la version des Septante. Pour le P. de Hummelauer, Commentarius in Genesim, Paris, 1895, p. 202-204, elle est certainement fautive, puisqu’elle fait survivre Mathusalem de quatorze ans au déluge. Cf. S. Jérôme, Liber hebraicarum quiBstionum in Genesim, v, 25, t. xxiii, col. 947 ; S. Augustin, De Civitate Dei, 1. xv, 9, t. xli, col. 449-450. Ses chiffres sont moins sûrs que ceux du texte hébreu. La recension des Samaritains paraît préférable même à celle des Massorètes. Elles ne diffèrent que pour Jared, Mathusalem et Lamech. Or, tandis que . l’hébreu date la mort de Mathusalem seul de l’année du déluge, le samaritain fait périr encore Jared et Lamech la même année. Il semble au P. de Hummelauer que les Hébreux ont retouché les chiffres relatifs à ces deux patriarches afin de ne pas les confondre avec les impies, engloutis par les eaux. Mais il est loisible aussi de supposer que les Samaritains ont arrangé ces chiffres de manière à terminer la vie des trois patriarches la dernière année de leur système chronologique. Ma r Lamy, Commentarium in librum Geneseos, 2 in-8°, Malines, 1883, t. i, p. 272, est favorable au texte massorétique, qui représente le texte reçu en Palestine et n’est pas démontré moins ancien que la recension des Septante. Une conclusion s’impose à tout lecteur impartial, c’est que pour cette période la chronologie biblique est tout à fait incertaine. On discute même, nous l’exposerons bientôt, la signification chronologique des généalogies patriarcales, qu’on suppose incomplètes.

IV. Du déluge a Abraham. — La durée de cette période est mesurée par la généalogie de Sem, fils de Noé, Gen., xi, 10-26, et se calcule par le même procédé que la longueur de la période précédente. Ici encore nous possédons trois recensions, qui diffèrent l’une de l’autre et ne sont pas entre elles dans le même rapport que précédemment. Le tableau suivant résume les données qui servent au calcul :

Noms

Age

à la naissance

des

patriarches.

Grec.

de leur fils Samaritain. I

lébrei

2

2

2

135

35

35

130°  »

130

130

30

134

134

34

Phaleg..

130

130

30

Reu…

132

132

32

130

130

30

79

79

29

Tharé…

70

70

70

Abraham

jusqu’à sa vocation). Total

75 1147

75

75

1017

367

Ainsi les trois textes ne se rencontrent que pour les années de Tharé et d’Abraham. Le samaritain, qui dans la période précédente était ordinairement d’accord avec l’hébreu, ne le suit qu’une seule autre fois, pour l’âge d’Arphaxad. Il coïncide avec les Septante pour six générations, dont cinq ont chacune cent ans de plus que l’hébreu, et une, celle de Nachor, cinquante ans seulement. Le grec compte une génération de plus que les deux autres, celle de Caïnan ; enfin ses manuscrits présentaient des variantes, qui ont produit des résultats différents. Eusèbe compte depuis le déluge jusqu’à Tharé

945 ans ; Théophile d’Antioche, 936 ; le Syncelle, 1070 ; Jules Africain, 993 ; Clément d’Alexandrie, jusqu’à la vocation d’Abraham, 1250.

Les nombres de la généalogie de Sem sont plus corrompus encore que ceux de la généalogie de Seth, et la critique est impuissante à les rétablir dans leur état primitif. Aucune raison ne nous impose le choix entre des opinions opposées. Aux yeux du P. de Hummelauer, Comm. in Gen., p. 341-347, le samaritain est ici moins sur et moins authentique que précédemment, puisqu’il indique seul la durée totale de la vie des patriarches de cette lignée. La différence de cent ans sur l’âge de l’ascendant à la naissance de son fils est le résultat d’une soustraction ou d’une addition. La soustraction aurait été opérée dans le texte hébreu, a-t-on dit, Crelier, La Genèse, 1889, p. 82, pour que les patriarches postdiluviens, dont la vie est diminuée, n’aient pas eu leur fils à un âge plus avancé que les patriarches antédiluviens. La raison est futile, car la liste généalogique de Sem peut omettre la première génération de ce patriarche, pour ne parler que de celle des ancêtres d’Abraham. On peut soutenir, pour une raison plus forte, que les chiffres de l’hébreu ont été diminués. Tandis que ce texte donne à Nachor 29 ans seulement à la naissance de Tharé, le samaritain et le grec lui attribuent 79 ans. Pourquoi ce nombre inférieur et pas 129 ans, si une addition de cent ans avait été faite aux chiffres précédents ? On comprend mieux la variante dans l’hypothèse d’une soustraction. Si on a retranché cent ans aux chiffres supérieurs à la centaine, cette opération a été impossible sur le chiffre de 79. Le calculateur a enlevé cinquante ans seulement et obtenu le nombre de 29 années. On a discuté ici, t. ii, col. 41-43, l’authenticité de Caïnan dans les Septante. L’affirmative s’appuie surtout sur la présence de ce personnage dans la généalogie de Jésus, dressée par saint Luc, iii, 36. Bien que la critique textuelle des Évangiles soit favorable à l’insertion de Caïnan dans cette généalogie par l’évangéliste lui-même, plusieurs exégètes catholiques, Calmet, Commentaire littéral, t. vii, 1726, p. 467 ; Fillion, Évangile selon saint Luc, 1882, p. 102-103 ; l’abbé Ch. Robert, dans la Controverse du 15 juillet 1886, p. 357-360 ; le P. de Hummelauer, loc. cit., présument que le nom de Caïnan a été glissé de bonne heure dans le texte de saint Luc par un copiste qui voulait faire concorder l’évangéliste avec les Septante. Cf. Lamy, Comment, in librum Geneseos, Malines, 1883, t. i, p. 388-390. Quoi qu’il en soit de ce point particulier, nous devons conclure une fois de plus que nous no sommes pas certains de posséder encore les véritables chiffres, écrits par Moïse dans la Genèse, et que nous ne pouvons pas en déduire une chronologie sûre.

Tandis que les commentateurs ont toujours pensé que Moïse avait eu l’intention de donner dans les généalogies de Seth et de Sem une chronologie réelle, qu’il est impossible de retrouver aujourd’hui, des apologistes modernes ont soutenu que l’auteur de la Genèse n’avait pas eu l’intention de fournir les éléments d’une chronologie générale. Les chronologistes anciens étaient persuadés qu’il n’y avait pas de lacunes dans la chaîne des générations patriarcales et que les listes généalogiques étaient continues. Or la Bible présente des exemples d’omissions intentionnelles et de chaînons sautés dans les généalogies. Afin d’avoir trois séries de quatorze noms dans la généalogie de Jésus, saint Matthieu, I, 8, omet trois rois, Ochozias, Joas et Amasias, entre Joram et Ozias. La liste des grands prêtres, I Esdr., vii, 1, est certainement abrégée, et il suffit pour s’en convaincre de la comparer avec I Par., vi, 1. Esdias lui-même, I Esdr., vii, 1-5, raccourcit sa propre généalogie, et entre Azarias, qu’il dit fils de Méraioth, et Méraioth lui-même, il omet cinq membres, Johanan, Azarias, Achimaas, Achitob et Amarias, nommés I Par., vi, 7-14. Or, dans ces généalogies fragmentaires, les membres disjoints sont cependant réu-