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CHRONOLOGIE BIBLIQUE


à l’humanité. M. l’abbé Hamard, qui a fait ici même, t. i, col. 195-205, bonne justice de ces exagérations, estime que ni la géologie ni l’archéologie préhistorique n’obligent à reculer de quelques milliers d’années la date de la création de l’homme. Toutefois nous devons reconnaître que tout en repoussant les chiffres fantastiques de M. de Mortillet, des savants catholiques admettent pour l’apparition de l’homme sur la terre une date plus élevée que celle qui résulte de la plus haute chronologie biblique. M. de Lapparent, dans la Revue des questions scientifiques, octobre 1893, p. 402-432, et Bulletin de la Société bibliographique, juillet 1895, p. 165-168, pense que l’origine de l’homme est interglaciaire et qu’elle remonte, autant qu’elle peut être exprimée en chiffres, à trente ou trente-deux mille ans à partir de maintenant. D’autres estiment que l’homme est d’origine postglaciaire, et plusieurs fois M. le marquis de Nadaillac a attribué par conjecture à l’existence de l’homme sur la terre une durée de dix à douze mille ans. L’origine et le développement de la vie sur le globe, dans le Correspondant, 10 novembre 1888, p. 440-452 ; Les premières populations de l’Europe, ibid., 10 novembre 1889, p. 450-457 ; L’homme, ibid., 25 octobre 1892, p. 242-245 ; Les dates préhistoriques, ibid., 25 novembre 1893, p. 632-635. Cf. N. Boulay, L’homme est-il inlerglaciaire ou postglaciaire ? dans la Revue de Lille, avril 1894, p. 561-575, mai 1894, p. 5-29 ; L’ancienneté de l’homme en France, ibid., juin et juillet 1894, p. 135-153, 269-290 ; Zahm, Bible, science et foi, trad. franc., 1895, p. 167-313 ; P. Schanz, Dos Aller des Menschengeschlechts nach der Heiligen Schrifl, der Profangeschichle und der Vorgeschichte, dans les Biblische Sludien, Fribourg-en-Brisgau, 1896, 1 er volume, 2e fuse. ; J. Guibert, Les origines, questions d’apologétique, Paris, 1896, p. 147-184. Quoi qu’il en soit, nous aurons à examiner plus loin si, à défaut de la géologie et de la paléontologie, l’histoire oblige à hausser la date de l’origine de l’homme et l’âge de l’humanité. Il nous faudra aussi déterminer à quelle époque biblique l’augmentation chronologique pourrait et devrait se faire.

III. D’Adam au ijéluge. — Le temps écoulé dans cet intervalle se calcule d’après la généalogie des descendants d’Adam dans la ligne de Seth. Gen., v, 1-31. Cette généalogie comprend dix patriarches et neuf générations ; elle indique l’âge de l’ascendant à l’époque de sa paternité, le nombre d’années durant lesquelles il a vécu après la naissance de son lils et la durée totale de sa vie. En additionnant les dix chiffres de l’âge des patriarches à la naissance de leur fils, on obtient facilement la durée de la période. Ce calcul si simple donne cependant des sommés notablement divergentes, parce qu’il est opéré sur des dates diûérentes. Nous possédons, en effet, trois recensions du Pentateuque ; la première est représentée par la version des Septante, la deuxième par le texte hébreu massorétique et la Vulgate de saint Jérôme, et la troisième par le texte hébreu des Samaritains. Le tableau suivant permettra de juger d’un seul coup d’oeil la différence des chiffres :

Noms des patriarches. Age à la naissance des fils.

Grec. Hébreu et Vulgate. Samaritain.

Adam 230 130 130

Seth 205 105 105

Énos 190 90 90

Caïnan 170 70 70

Malaléel 165 65 65

Jared 162 162 62

Enoch 165 65 65

Mathusalem 167 187 67

Lamech 188 182 53

Noé 500 500 500

De Noé au déluge.. 100 100 100

Total.

2242

1656

1307

On le voit, l’hébreu et le samaritain sont généralement d’accord et présentent avec les Septante une divergence de cent ans pour l’époque de la paternité de plusieurs patriarches et par génération, sauf pour Noé, au sujet de qui les trois textes sont d’accord. Mais il existe entre eux des différences de détails. Le samaritain diminue de 100 ans l’âge de Jared à la naissance d’Enoch, de 120 ans celui de Mathusalem à la naissance de Lamech, et de 129 ans celui de Lamech à la naissance de Noé ; il diffère donc de l’hébreu de 349 ans et des Septante de 935 ans. D’autre part, les manuscrits des Septante présentent des variantes. Nous avons adopté les chiffres du Vaticanus ; i’Alexandrinus a vingt ans de plus, et ce total coïncide avec les calculs de Jules Africain. Josèphe a abouti à un total de 2 156. On est réduit à des conjectures pour expliquer l’origine de ces divergences. Elles sont trop nombreuses pour se justifier toutes par la maladresse ou l’ignorance des copistes. Sans doute rien ne s’altère dans la transcription des manuscrits aussi facilement que les chiffres. Mais s’il fallait attribuer uniquement à cette cause accidentelle les divergences constatées, on ne rendrait pas compte du procédé à peu près régulier d’augmentation ou de soustraction de cent années. Aussi est-il nécessaire, semble-t-il, de soupçonner avec saint Augustin, De Civitate Dei, xv, 13, t. xii, col. 453, un remaniement volontaire des chiffres, sans qu’on puisse dire quand, où, par qui et comment il s’est produit. Qui en . tendrions-nous responsables, les Juifs de Palestine ou les Juifs alexandrins ? Les coupables ont-ils procédé par addition ou par soustraction ? Toutes les hypothèses sont permises. Quelques critiques ont supposé que les Juifs de Palestine avaient réduit l’âge des premiers hommes. « On dirait que l’Israélite ait voulu, en abrégeant systématiquement la durée de la succession des patriarches, couper court à ces généalogies sans fin, qui n’étaient autre chose que des cosmogonies, comme celle de Bérose et de Sanchoniathon, et combattre ainsi le polythéisme, dont elles étaient la source constante. » Ph. Berger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. v, 1879, art. Généalogies, p. 463. Et F. Lenormant ajoute, Les origines de l’histoire, 2e édit., 1880, t. i, p. 276 : « Peutêtre serait-il permis de supposer que c’est vers l’époque de la captivité que les Hébreux, précisément quand ils eurent connaissance des fabuleuses périodes enfantées par l’imagination spéculative des Chaldéens, se sentirent pris de scrupules devant les chiffres de leurs propres livres, voulurent réagir contre le danger possible d’un entraînement analogue et raccourcir leur chronologie primitive, pour empêcher qu’elle ne s’allongeât indéfiniment comme celle des Gentils. » Paul Pezron, L’antiquité des temps rétablie et défendue contre les Juifs et les nouveaux chronologisles, Paris, 1690, ch. xvi, p. 439440, pensait que le rabbin Akiba avait osé mettre la main sur les divines Écritures et en avait abrégé les années dans le texte hébreu. D’autres critiques ont fait des suppositions analogues. Lenormant, qui admet le raccourcissement volontaire de l’hébreu, croit aussi, ouvr. cit., p. 278282, à un allongement systématique de la part des Septante. Les auteurs de la version alexandrine remanièrent le texte hébreu pour le mettre d’accord avec les calculs des Chaldéens, ou des Egyptiens etaugmentèrent de cent ans l’âge des patriarches à la naissance de leur premierfils. Saint Augustin, loc. cit., reconnaissait ces retouches intentionnelles ; mais au lieu d’en rendre responsable les Septante, il les attribuait à un scribe plus récent, qui les aurait introduites dans sa copie de la version grecque du Pentateuque. La recension samaritaine ne serait pas no » plus exempte d’altération volontaire, et sa chronologie seraitle résultat d’une combinaison artificielle. Le raccourcissement du texte hébreu est visible, et il a pour but de faire cadrer les dates ainsi obtenues avec le cycle des années sabbatiques. Lenormant, Les origines, p. 282-283.

Nous pouvons concéder que les chiffres des trois recen-