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CHÉRUBIN


tachèrent le mot hébreu au grec yp-fy, pluriel ypyqplç, qui désignait une espèce d’oiseau fantastique, le griffon. Hérodote, iii, 116 ; Élien, Hist. anim., iv, 27. Le chérubin aurait été un génie à nez crochu. Renan, Histoire des langues sémitiques, 1™ édit., p. 460, tient pour cette explication. Gesenius, Thésaurus, Leipzig, 1840, p. 711, essaye d’identifier quant au sens les deux racines kârab et hâiam, « défendre » et « consacrer », d’où le sens de « gardien sacré », prêté par lui à kerûb. — La découverte des grands taureaux ailés de Ninive par Layard, Nineveh and its remains, Londres, 1849, t. i, p. 65-67, projeta tout d’un coup une vive lumière sur le problème des chérubins bibliques. Les êtres mystérieux décrits par Ézéchiel apparurent magnifiquement sculptés et dans des proportions gigantesques. La plupart de ces colosses, aujourd’hui transportés dans les musées d’Europe, sont le commentaire le plus clair et le plus simple dont on puisse se servir pour comprendre le texte du prophète. En 1858, dans ses Addenda au Thésaurus de Gesenius, p. 95, Rœdiger remarquait, au mot kerûb : « Aujourd’hui personne n’omettra de comparer avec les chérubins les colossales figures de taureaux et de lions ailés et à face humaine, qui ont été extraites des ruines des villes assyriennes et que Botta, Layard et d’autres ont décrites. » La suite de cet article montrera par le détail jusqu’à quel point les sculptures ninivites répondent aux descriptions bibliques. On a voulu rattacher le mot kerûb aux langues indoeuropéennes ; mais, quoique l’étymologie n’en soit pas encore établie avec certitude, Vigoureux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. i, p. 283-284, on peut dire que le mot kerûb es ! purement sémitique et a été employé comme substantif pour dire un taureau, en tant que l’animal fort, puissant par excellence. Nous en avons la preuve par la comparaison des deux passages parallèles du prophète Ézéchiel, i, 10 ; x, 14, où kerûb s’échange avec sôr, <i taureau, » et où « face de kerûb » et « face de taureau » sont deux expressions synonymes.

II. Les chérubins du paradis terrestre. — Après avoir prononcé la sentence contre nos premiers parents prévaricateurs, le Seigneur « chassa Adam, plaça devant le jardin d’Éden les kerabim et la flamme glaive tournoyant, pour garder le chemin de l’arbre de vie ». Gen., m, 24. Le texte sacré n’indique ni la nature, ni le nombre, ni la forme de ces chérubins. Mais ce sont des êtres déterminés, puisque leur nom est accompagné de l’article ; leur fonction est nettement indiquée : ils sont là « pour garder le chemin de l’arbre de vie ». Enfin auprès d’eux se voit le glaive de feu tournoyant, sans qu’il soit parlé de l’action qu’ils peuvent avoir sur ce glaive. Tout ce qui ressort du texte, c’est que ces chérubins sont des ministres de la puissance divine, assez forts pour intimide ] - l’homme et lui ôter la tentation de revenir auprès de l’arbre de vie, soit seul, soit plus tard avec le secours de ses descendants. Pour atteindre ce but, ils ont dû être revêtus d’une forme visible, peut-être même terrifiante. Il faut aussi remarquer que le Seigneur les plaça à demeure, yaskên, littéralement « les fit habiter » à la porte du paradis. Leur mission a donc duré un certain laps de temps, et leur présence prouvait à l’homme que la fermeture de l’Éden était définitive. Dans le récit de la tentation, le texte sacré a déjà donné lieu de conclure à l’existence d’un esprit supérieur à l’homme, mais malfaisant, opposé à Dieu et se cachant sous la forme d’un serpent. Il est donc naturel de penser que les chérubins sont aussi des esprits supérieurs à l’homme, mais obéissant à Dieu et capables de revêtir, au moins en apparence, une forme sensible.

Les assyriologues n’ont pas manqué de signaler les rapports assez frappants qui existent entre les chérubins du paradis et les taureaux ailés des palais assyriens. Ces derniers n’étaient pas de simples sujets décoratifs. Un être surnaturel était censé résider dans leur corps et exercer les fonctions de gardien et de protecteur. C’est là

un point sur lequel les inscriptions ne permettent aucun doute. Les taureaux ailés sont, aux yeux de l’Assyrien, des sêdu, des génies surnaturels vivant sous une enveloppe matérielle, mais exerçant l’office de gardiens puissants. Prisme d’Assaraddon, col. vi, 33-35 ; E. Budge, History of Esaraddon, in-£°, Londres, 1880, p. 83-85, 97. Bien plus, une des représentations qu’on rencontre le plus fréquemment sur les monumenls figurés est celle des deux génies de forme humaine et munis de quatre ailes, qui montent la garde de chaque côté de l’arbre de vie. Voir t. i, fig. 619 et 620, col. 1939 et 1941. La tradition biblique paraît d’ailleurs, sur bien des points, antérieure et préférable aux traditions chaldéennes, dans l’état où elles se présentent actuellement. Voir Vigoureux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., 1896, t. i, p. 274-275 ; Hummelauer, Comment, in Genesim, Paris, 1895, p. 174, 4.

Certains auteurs ont prétendu que les chérubins du paradis n’étaient que des spectres ou des fantômes, Théodore d’Héraclée, dans Théodoret, Quœst. xi in Gen., t. lxxx, col. 141-144 ; Procope de Gaza, In Gen., iii, 24, t. lxxxvii, col. 228 ; des espèces d’êtres mythologiques, Winer, Biblisches Bealwôrterbuch, Leipzig, 1833, t. i, p. 263 ; des produits de l’imagination populaire, Herder, Histoire de la poésie des Hébreux, trad. Carlowitz, Paris, 1851, p. 136-138 ; Jahn, Biblische Archâologie, Vienne, 1817, t. iii, p. 266 ; Munk, Palestine, Paris, 1881, p. 145 ; Reuss, L’histoire sainte et la loi, Paris, 1879, 1. 1, p. 300. Mais la Bible parle des chérubins du paradis de la manière la plus positive, et l’absence même de toute description montre que l’imagination n’est pour rien dans ce récit. Cf. Vigoureux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 4e édit., 1891, t. IV, p. 167-170. On ne peut donc pas non plus les assimiler aux kirubi assyriens, comme l’a fait Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies, Leipzig, 1881, p. 150-155.

III. Les chérubins d’or de l’arche d’alliance. — Le Seigneur lui-même en donne la description à Moïse et en indique la raison d’être. Exod., xxv, 18-22 ; xxxvii, 7-9. Ce sont deux chérubins en or repoussé, destinés à être placés de chaque côté du propitiatoire qui recouvre l’arche. Ils occupent les deux extrémités du propitiatoire même, ont le visage tourné vers lui et étendent leurs ailes de manière à le recouvrir en l’entourant. L’emplacement circonscrit par ces ailes est l’endroit d’où le Seigneur fera entendre ses oracles à Moïse et où sa majesté résidera. — Ces chérubins de métal ne sont pas présentés comme des êtres vivants, ni même comme des figures abritant des génies ou des anges, mais comme de simples images matérielles. Sans doute ils évoquent, dans l’esprit du peuple hébreu, soit la pensée des anges invisibles, soit le souvenir des êtres supérieurs à forme matérielle auxquels on donne habituellement le nom de kerubim. Mais, dans la Bible, ce ne sont en réalité que de simples représentations inanimées, et le seul être invisible et réel qui soit mentionné dans la description de l’arche est le Seigneur lui-même. Un certain nombre d’auteurs ont assimilé ces chérubins à ceux d’Ézéchiel et ont conclu de l’identité du nom à l’identité de la chose. Rosenmûller, Scholia in Exodum, Leipzig, 1795, p. 581. De Saulcy lui-même, Histoire de l’art judaïque, Paris, 1858, p. 22-29, s’est efforcé d’établir que les chérubins de l’arche et du Temple étaient des taureaux ailés semblables à ceux de Ninive. On se figure difficilement des images de taureaux placées sur l’arche et dans le tabernaclepeu après l’adoration du veau d’or. De plus, la description que fait l’Exode « ne peut en aucune façon s’appliquer à des kiroubi à l’assyrienne, en forme de taureaux dont les ailes étendues, d’après la direction qu’on leur donne toujours et dont elles s’implantent dans leur corps, n’auraient été en mesure de couvrir le propitiatoire, ou couvercle de l’arche, qu’à condition qu’on les eût placés se tournant le dos », ce qui est précisément contraire