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607 CHARTREUX (TRAVAUX DES) SUR LES SAINTES ÉCRITURES

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où il termina sa vie, en 1101, partageait son temps entre la prière, les offices divins, la contemplation et l’étude des Saintes Écritures. Ses compagnons suivirent son exemple, et cet amour pour l’étude des textes sacrés s’est conservé dans Tordre à travers les âges. Aussi n’est-il pas rare de lire dans les chroniques des différentes maisons de l’ordre cet éloge rendu aux religieux les plus célèbres : Vir in divinis humanisque litleris eruditus. Car, sans parler des études que chaque sujet avait pu faire avant de quitter le monde, il est facile de comprendre que l’obligation d’avoir à copier les Livres Saints et les œuvres des Pères et des écrivains ecclésiastiques contribuait beaucoup à instruire les religieux, à former leur esprit aux grandes conceptions de la science divine, et fournissait aux plus savants d’entre eux l’occasion de composer eux-mêmes des commentaires et d’autres ouvrages sur les Écritures. Mais cette très utile occupation, à la fois intellectuelle et manuelle, ne fut pas la seule cause qui engagea les Chartreux à l’étude des Saintes Lettres. Leur règle ordonne de lire en entier, chaque année, tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, soit au chœur, soit au réfectoire, soit au chapitre ; elle prescrit qu’à la suite de la lecture capitulaire les religieux discutent entre eux sur les choses entendues ; les pieux cénobites doivent par conséquent seniir le besoin d’approfondir le sens caché des divines paroles. C’est la remarque que les auteurs de YHistoire littéraire de France, t. i, p. 120, édit. Palmé, ont faite en traitant des études chez les enfants de saint Bruno : « L’ordre des Chartreux, disent-ils, réussit par là, sans qu’on y enseignât les sciences par principe, à former grand nombre de savants, solitaires et autres, qui devinrent célèbres par leur mérite et les dignités auxquelles ils furent élevés. » Une ordonnance des premiers chapitres généraux, insérée dans les statuts de dom Guillaume Raynaud (1368), a donné lieu aux auteurs que nous venons de citer de faire encore cette remarque : « Les plus habiles copistes corrigeaient aussi les fautes qu’ils découvraient dans les exemplaires qui leur servaient de modèle. Mais il ne leur était pas permis de le faire de leur propre mou. vement et suivant leurs idées, à l’égard des livres de l’Écriture Sainte, de ceux du chœur et des ouvragés des auteurs ecclésiastiques. Il fallait que le prieur de la maison et les plus éclairés d’entre les Pères jugeassent que la faute était réelle. Alors on la corrigeait sur les plus fidèles exemplaires qui fussent dans les maisons de l’ordre. Attention aussi utile qu’admirable, qui a contribué à nous transmettre dans sa pureté le texte de la Bible et des Pères de l’Église. »

L’invention de l’imprimerie exempta en grande partie les Chartreux du travail de transcription des manuscrits, mais elle ne diminua pas leur goût pour les études bibliques. Au contraire, grâce aux produits de l’art nouveau, ils eurent plus de ressources et de loisir pour acquérir une plus grande connaissance des Écritures, à l’aide des nombreux commentaires qui parurent à cette époque. Cette abondance de nouveaux auteurs fut même un écueil pour un certain nombre d’entre eux, contre qui le chapitre général, en 1542, porta des peines sévères pour les détourner de l’étude immodérée du grec, sans lequel, prétendaient-ils, on ne pouvait avoir la véritable intelligence du sens des paroles divines.

Au commencement du Xvn c siècle, l’ordre, pour se conformer aux vœux du pape Paul V, décida que dans la promenade hebdomadaire un des religieux désigné par le prieur de chaque maison ferait à ses confrères une conférence sur l’Écriture Sainte. Mais on ne tarda pas à constater que cette ordonnance présentait bien des inconvénients, et surtout qu’elle privait les solitaires des avantages qu’ils retirent de leur sortie dans la campagne. Aussi, avec l’agrément du Saint-Siège, on supprima cette conférence et on revint à l’ancien usage, qui laisse à chaque sujet la liberté d’étudier en particulier les Livres Saints, selon ses moyens personnels et sous la direction

générale de son prieur. C’est pour continuer cette tradition avec une certaine méthode que le Père général Innocent Le Masson, dans le programme d’études inséré dans ses Annales, engage les religieux à se borner pendant les cinq ou six premières années de profession aux commentaires de Bellarmin sur les Psaumes et aux ouvrages de Ménochius et de Tirin sur le reste de l’Écriture. Le zèle de cet illustre général de l’ordre lui fit entreprendre de pieuses explications du Cantique des cantiques et des Psaumes des divers offices que récitent les Chartreux, à l’usage des moniales ou religieuses chartreuses, afin que ces vierges sacrées pussent accomplir l’œuvre divine avec intelligence, attention intérieure et avec une sainte ferveur.

Jusqu’à l’époque de la grande révolution, dans toutes les maisons de l’ordre, on garda l’usage très ancien de faire apprendre par cœur le psautier aux novices, afin de les habituer à la psalmodie des nocturnes, pendant laquelle les religieux éteignent les lampes. Tout le monde sait, dit un auteur du xv s siècle, combien cette coutume contribue à entretenir le recueillement dans les offices, et de combien de distractions l’obscurité nous délivre.

Si nous considérons le nombre des Charlreux auteurs de commentaires sur nos Livres Saints, il nous sera facile de constater que même sous ce rapport les enfants de saint Bruno ont fidèlement imité ses exemples, et qu’ils peuvent figurer avec honneur dans la glorieuse phalange des interprètes sacrés issus des autres ordres monastiques. Cependant il faut remarquer que, suivant l’esprit de leur vocation, beaucoup ne destinaient pas leurs œuvres au public. Éloignés du commerce des hommes et vivant dans la solitude, ils ne songeaient qu’à nourrir leur âme de la divine parole, et tout au plus à en instruire leurs confrères. Toute autre ambition n’entrait même pas dans Jeur esprit. Mais cet amour de la vie cachée nous a été préjudiciable sous plusieurs rapports, et nous regrettons à présent d’ignorer leurs doctes travaux et jusqu’aux noms des écrivains des premiers siècles de l’ordre. Dans les temps plus rapprochés de nous, on commença à rédiger les chroniques des différentes maisons et à noter les œuvres composées par les religieux. C’est grâce à des recherches spéciales concernant la bibliographie cartusienne que nous pouvons présenter ici un tableau sommaire des auteurs d’ouvrages scripturaires.

Saint Bruno, comme nous l’avons déjà dit, a laissé des commentaires sur les Psaumes et les Épîtres du grand Apôtre, qui ont mérité les suffrages des auteurs de 17/tstoire littéraire de la France, de dom Cellier et des Bollandistes. — Peu de temps après sa mort entrait à la Grande-Chartreuse un jeune aspirant, qui plus tard devait succéder à saint Hugues sur le siège de Grenoble et devenir enfin archevêque de Vienne. Hugues, c’est aussi son nom, ne fut pas seulement illustre par ses dignités et ses vertus, mais aussi par sa science. Il composa des sermons sur la Genèse et des opuscules ascétiques. On croit qu’il mourut en 1155.

Au xme siècle, nous trouvons Hugues de Miromars, prieur de Montrieux (Var) (-j-1242), auteur d’un court commentaire sur l’Apocalypse, actuellement à la Bibliothèque nationale de Paris ; — Martin de Laon (-j- 1270 environ), qui pour affermir un novice dans sa vocation lui écrivit un traité en forme de lettre, composé uniquement des textes de l’Écriture, ce qui a fait dire à un poète que ce chartreux avait surpassé saint Bernard ; — enfin D. Guigues du Pont († 1297), à qui on attribue une explication d’Habacuc.

tin chartreux anglais, Guillaume Lundtlinchton († 1309), est le premier de notre liste des écrivains scripturaires du XIVe siècle. Il a laissé un commentaire sur saint Matthieu, très loué par ses contemporains. — Hubertin de Casale, frère mineur, mort chartreux vers 1312, a appliqué à l’Église l’Apocalypse de saint Jean. Son ouvrage, intitulé Ile septem Ecclesise slatibus, parut à Venise, en