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CHAIR DES ANIMAUX


biniques qui concernent ce point sont renfermées dans la Mischna, traité Kôlin, dont les douze chapitres traitent la question sous toutes ses faces. De plus, à l’usage des bouchers israélites, les maîtres ont composé des manuels qui, joints à l’expérience, pouvaient apprendre aux aspirants l’art de tuer. Buxtorf, Synagoga Judseorum, Bâle, 1641, c. 27, p. 400, donne un aperçu de ces manuels ; il nous apprend que, de son temps, les rabbins délivraient des diplômes qui conféraient aux candidats le droit d’exercer les fonctions de boucher ; il donne même le texte d’un de ces diplômes, qu’il a eu sous les yeux. Maimonide, More Nebochim, iii, 48, p. 496, fait observer que, dans les prescriptions dont nous parlons, les rabbins se sont proposé, non seulement de verser le sang plus complètement, mais aussi de rendre aux animaux la mort le plus douce ou plutôt le moins cruelle possible. — Nous trouvons la même loi sur les « chairs étouffées » chez les Arabes ; Mahomet l’a consignée dans le Koran, v, 4. D’après Niebuhr, Description de l’Arabie, Paris, 1779, t. i, p. 249, cette loi est encore parfaitement observée chez eux.

2° Sanction de cette loi. — C’est la même que pour la loi qui défend de boire ou de manger le sang des animaux. Moïse, ayant défendu, Lev., xvii, 13, de manger les animaux tués sans elfusion de sang, ajoute, .J. 14, la raison et la sanction : « Car la vie de toute chair est dans son sang ; c’est pourquoi j’ai dit aux enfants d’Israël : Vous ne mangerez pas le sang des animaux, car leur vie est dans leur sang ; quiconque le mangera, périra. » Ce dernier mot traduit le verbe hébreu kârat, « extirper, couper ». La peine est donc la même que nous avons expliquée au paragraphe précédent, c’est-à-dire peut-être la peine de mort, dans tous les cas une peine très grave, une sorte d’excommunication.

3° Motifs de cette loi. — Ce sont les mêmes encore, proportion gardée, que pour la défense de boire ou de manger le sang des animaux. Nous signalons surtout les deux suivants : — 1. Le premier nous est indiqué par le texte même que nous venons de citer, Lev., xvii, 14 et par Deut., xii, 23-24 : « Car leur sang, c’est leur vie, et ainsi vous ne devez pas le manger avec leur chair. » Dieu veut détourner les Israélites de l’effusion du sang humain ; pour les éloigner de la pensée de commettre ce crime, il leur inspire une sorte de respect religieux, même pour le sang des animaux ; sans doute, ils pourront le verser, mais ils ne pourront jamais le boire, ni séparé de la chair de l’animal, ni encore mêlé à cette chair. Pourquoi ? parce que ce sang, c’est la vie ; or ce serait une chose cruelle, barbare, de boire ou manger la vie des animaux. — 2. Le second motif se rapporte au but principal que s’est proposé Moïse dans l’ensemble de sa législation, qui était d’éloigner à tout prix le peuple de Dieu, non seulement de l’idolâtrie proprement dite, mais encore de toutes les pratiques idolùtriques, et de tout ce qui pourrait, de près ou de loin, les faim tomber dans ce crime. Nous renvoyons ici aux textes d’Origène cités ou indiqués plus haut, col. 493, qui regardent à la fois les « chairs étouffées » et le sang. D’après ces textes, témoins de toute une tradition païenne, le sang, si appétissant pour les démons, n’était pas seulement le sang séparé de la chair de l’animal, mais encore celui qui est renfermé dans ses veines ; voilà pourquoi, dit Origène, « afin de ne pas participer à la table des démons, nous nous abstenons, non seulement de boire le sang des animaux, mais encore de manger la chair des animaux tués par suffocation, » c’est-à-dire autrement que par l’effusion du sang. Aussi, pour les chrétiens, le sang des animaux, même renfermé dans leurs veines et mêlé à leur chair, était un aliment impur. Voir aussi Tertullieu, Apolog., t. i, col. 323-324. — Cette tradition païenne était plus que suffisante pour autoriser et même obliger Moïse à défendre à son peuple les « viandes étouffées » ; mais, de plus, chez plusieurs peuples païens, l’usage était d’im moler aux dieux les victimes, non pas en répandant leur sang, mais en les étouffant. Je ne sais si cet usage était en vigueur chez les peuples au milieu desquels vivaient ou devaient vivre les Israélites ; mais Strabon nous apprend qu’il était pratiqué chez les Indiens. Strabon, XV, I, 54, édit. Didot, p. 604. Voilà pourquoi Guillaume de Paris, De Legibus, c. 8, Opéra omnia, Rouen, 1674, t. i, p. 38-39, dit que la suffocation était un mode d’immolation aux démons, par lequel on croyait leur sacrifier l’âme même des animaux. Aussi plusieurs auteurs, dont parle Alexandre de Halès, Sumnia theologica, part, iii, q. 15, assurent-ils que la raison principale pour laquelle Moïse défendit à son peuple les « chairs étouffées, » c’est précisément que la suffocation était, chez plusieurs peuples païens, un des rites sacrés par lesquels on immolait aux démons.

4° Détail particulier dans l’accomplissement de cette loi. — Un mot du Lévitique reste à expliquer. Dans le chapitre xvii, 13, après avoir ordonné aux Israélites de répandre le sang de tous les animaux qu’ils voulaient manger, Moïse leur commande « d’enfouir ce sang sous terre. » Ici encore, le législateur hébreu veut détourner son peuple d’une pratique idolâtrique. C’était un usage chez les païens de se réunir autour du sang répandu, comme si c’était un objet sacré, et presque une divinité. Nous voyons dans Homère les âmes des morts se réunir autour du sang des animaux qu’Ulysse avait immolés. Odys., xi, 36-37. Cf. Guillaume de Paris, à l’endroit cité. Afin d’empêcher les Israélites de se réunir autour du sang qu’ils avaient versé, ou de lui rendre quelque autre marque extérieure du culte idolâtrique, il veut qu’ils le fassent disparaître en l’enfouissant sous terre. Cette explication nous est donnée par Maimonide, More Nebochim, iii, 46, p. 485. Elle a été acceptée par Spencer, De Legibus Hebrseorurn Ritualibus, i, 6, p. 106.

5° Les. chairs étouffées, dans le Nouveau Testament. — La défense de manger des « chairs étouffées » fut renouvelée par les Apôtres au concile de Jérusalem, et étendue aux Gentils convertis, Act. xv, 20, 29 ; elle fut renouvelée pour les mêmes motifs et dans le même texte de loi que la défense de boire le sang des animaux. S. Jérôme, In Ezech., xliv, 3, t. xxv, col. 444, nous montre les « chairs étouffées » encore prohibées de son temps, au moins en Orient, où il écrivait alors ; mais d’après saint Augustin, Cont. Faust., xxxii, 13, t. xlii, eol. 504, la prohibition était tombée en désuétude, en Afrique, dans la première moitié du v siècle. Du reste, les deux défenses concernant le sang des animaux et les « viandes étouffées », étaient indissolublement unies, et ont passé par les mêmes phases historiques pour l’origine, le développement et la décadence.

IV. Chairs des animaux morts d’eux-mêmes ou déchirés par les bêtes. — Les animaux morts de maladie ont aussi attiré l’attention du législateur hébreu ; leur chair (hébreu : nebêlàh ; Vulgate : morticinum) est interdite comme nourriture. Sur la même ligne sont placés les animaux morts déchirés par une bête, soit qu’ils aient été tués par cette béte, soit que, étant morts autrement, ils aient été entamés par elle. Les lois qui concernent ces deux catégories d’animaux se trouvent Exod., xxii, 31 ; Lev., xvii, 15-16 (cf. xi, 39-40 ; xxii, 8) ; Deut., xiv, 21. Moïse, dans ces textes, défend strictement aux Hébreux de manger la chair de ces animaux. Évidemment il ne s’agit, dans ces passages, que des animaux « purs » ; car pour les « impurs », s’ils sont souillés étant vivants, à plus

; forte raison lorsqu’ils sont morts. La sanction de cette’loi, c’est une « impureté légale », encourue par le délin ; quant, en vertu de laquelle il est déclaré « impur » pendant

une journée entière, et obligé de se laver le corps

: et les vêtements, sous peine de châtiments plus sévères.

Lev., xvii, 15-16. — Quelques auteurs confondent, sous le rapport de l’abstinence, la chair des animaux morts i d’eux-mêmes, morticina, avec les « viandes étouffées »,