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CHAIR DES ANIMAUX


sions, la défense proprement dite porte directement sur la chair animée de son sang ; ce qui était donc directement défendu aux Noachides, c’était de couper à un animal vivant un membre, un organe, ou une partie quelconque de sa chair pour s’en repaître. Aussi les commentateurs juifs et ceux qui les ont suivis énoncent-ils cette défense par une des formules suivantes : Interdiction de membro animalis viventis ; — Non tollendum membrum de animali viventi ; — Non abscindendum membrum de vivo animali ; — Ne membrum vivo animali amputatum comederet Noachus. Voir ces formules dans Selden, De jure naturali, i, 10, p. 116-126. D’après les rabbins, ce précepte est un des sept qui furent imposés aux Noachides. Cf. Maimonide, De Regibus Hebrœorum, IX, 1, traduction Leydekker, dans les Opuscida de Crenius, Rotterdam, 1690 ; t. ix, 7, p. 133. Plusieurs commentateurs chrétiens ont suivi cette manière de parler, entre autres, Genebrard, Chronologia Hebrœorum major, Bàle, 1580, ad an., mundi, 1656, et Selden qui, dans l’ouvrage cité plus haut, De jure naturali, donne en sept livres un long et très savant commentaire des sept préceptes imposés aux Noachides ; dans le septième livre, il expose le précepte De membro animalis viventis non comedendo.

— Pourquoi ce précepte imposé aux enfants de Noé ? Maimonide, More Nebochim, part, iii, c. 48, édit. Buxtorf, p. 496, en donne deux raisons principales : « Il a été défendu, dit-il, de manger un membre d’un animal vivant, c’est-à-dire un membre coupé sur un animal vivant, soit parce que c’est un signe de cruauté, soit parce que, à cette époque, les rois païens avaient coutume d’agir ainsi, et cela par idolâtrie ; ils saisissaient un animali lui coupaient un membre, et le mangeaient. » De pareilles cruautés sur des animaux vivants sont signalées chez les païens, par Clément d’Alexandrie, Cohortatio ad Génies, ii, t. viii, col. 72, et par Arnobe, Adv. Gent., v, 19, t. v, col. 1118-1122. Ce qui se faisait dans ces temps anciens, se faisait encore, quoique peut-être pas par idolâtrie, dans des temps beaucoup plus rapprochés de nous, vers la fin du siècle dernier, en Abyssinie, comme on peut le voir dans Burder, Oriental Custonis, t. i, n » 8, Londres, 1822, p. 7-11. C’est cette cruauté que Dieu a défendue aux enfants de Noé, au moment même où il leur assignait comme nourriture la chair des animaux ; cette sage prescription avait le double avantage et d’adoucir leurs mœurs, et de les détourner de pratiques idolâtriques. — La prohibition dont nous parlons comprenaitelle la défense de manger ou boire le sang des animaux, nous allons le dire dans le paragraphe suivant.

IL Sang des animaux. — 1° Défense de manger ou boire le sang des animaux. — Les auteurs ne s’accordent pas sur l’origine historique de cette défense, les uns affirmant qu’elle était comprise dans la prohibition faite par Dieu aux enfants de Noé, dans le texte expliqué ci-dessus, Gen., ix, 4, les autres soutenant que Moïse est le premier qui ait porté cette défense. Cette seconde opinion est de beaucoup la plus commune parmi les commentateurs juifs qui disent, en conséquence, qu’il était permis aux Noachides de boire le sang des animaux. C’est l’enseignement formel de la Ghemara de Babylone, qui donne cette doctrine comme la « tradition des Sages », et n’attribue l’opinion contraire qu’à un seul rabbin, Chanina ben Gamaliel ; voir Ghemara Babyl., traité Sanhédrin, vii, traduction latine d’Ugolini, dans son Thésaurus anliquit. Sacr., Venise, 1762, t. xxv, col. 706. C’est aussi l’enseignement de Maimonide, De liegibus, ix, 10, traduction citée, p. 148. Cf. Selden, De jure naturali, p. 82. L’interprétation juive a été suivie par Cajetan, In Gen., ix, Opéra, t. i, p. 51, et quelques autres commentateurs chrétiens. — La plupart des exégètes chrétiens enseignent l’opinion contraire, qui fait remonter jusqu’à Xoé la prohibition de manger le sang des animaux, et croient la trouver dans le texte Gen., ix, 4.

Pererius, In Genesim, Lyon, 1610, t. ii, p. 332 ; Cornélius à Lapide, In Gen., ix, 4, t. i, p. 154 ; Rosenmiïller, In Gen., ix, 4, t. i, Leipzig, 1821, p. 183-181. L’historien Josèphe, par la manière dont il expose le précepte Gen., ix, 4, semble abandonner sur ce point l’opinion de ses compatriotes et regarder le sang comme détendu aux Noachides : « Je vous ai faits maîtres (dit Dieu aux enfants de Noé) de tous les animaux tant terrestres que volatiles et aquatiques, à l’exception du sang, car en lui est la vie, x^P^’ï aiixato ; , èv to-jtù) yap Ig-ïj r] J/u-jpii Antiq. jud., i, iii, 8. — L’opinion de la Ghemara paraît plus conforme au texte sacré ; d’après le passage de Gen., ix, 4, et les versions citées plus haut, on voit qu’il s’agit, dans la défense imposée aux Noachides, non pas de la chair ou du sang, mais de la chair avec ou dans le sang. Les partisans de l’opinion contraire semblent avoir confondu le précepte de la Genèse avec les lois spéciales qui furent imposées plus tard, non plus aux Noachides, mais aux enfants d’Israël. — La défense de boire ou de manger le sang des animaux est répétée dans le Lévitique et le Deutéronome jusqu’à sept fois. Lev., iii, 17 ; vii, 26-27 ; xvii, 10-14 ; xix, 26 ; Deut., xii, 16 ; 23-24 ; xv, 23. Le législateur y met une insistance inaccoutumée, comme on le voit dans ces passages. La défense est imposée non seulement aux enfants d’Israël, mais encore à l’étranger qui vit parmi eux ; Lev., xvii, 10. Remarquons qu’il ne s’agit que du sang des animaux qui vivent sur la terre, et des oiseaux ; le sang des poissons n’est pas interdit, comme on le voit Lev., vu, 26 ; xvii, 13.

2° Sanction de cette défense. — Elle est exprimée en trois endroits : « Tout homme qui aura mangé du sang périra du milieu de son peuple. » Lev., vii, 27 ; xvii, 14. Dans un troisième texte, Lev., xvii, 10, Dieu semble se charger lui-même d’exécuter la vengeance : « Si un homme mange du sang, je poserai ma face contre lui, et je le perdrai du milieu de son peuple. » Dans ces trois passages, l’hébreu emploie le mot kârat, « extirper, couper ; » les Septante ont traduit par è|o>t>6peu6 ?|<7eTat, ànoXtXzai, àno).<5, et la Vulgate par interibit, peribit, disperdam. On ne sait pas exactement en quoi consistait la peine exprimée par le mot kârat. Ce mot qui est employé environ trente-six ou trentesept fois dans le Pentateuque comme pénalité sanctionnant différentes lois, signifie quelquefois la peine de mort, par exemple, Ex., xxxi, 14 ; Lev., xvii, 4, et probablement Lev., xviii, 29, et ailleurs. Mais on ne pourrait l’affirmer, d’une manière générale, pour tous les cas, en sorte que, dans le cas présent, nous ne pouvons pas dire si le coupable était toujours puni de la peine de mort. Michælis, Mosaisches Recht, § 237, 1780, t. v, p. 37-43 ; Gesenius, Thésaurus, p. 718. D’après l’interprétation juive, appuyée, ce semble, sur le passage, Lev., xvii, 10, rapporté ci-dessus, le mot kârat signifierait la peine d’une mort prématurée, infligée ou plutôt ménagée par Dieu lui-même, par les voies secrètes de sa providence. D’après les interprètes chrétiens, catholiques ou protestants, ce serait tantôt la peine de mort, prononcée par le juge humain, tantôt une sorte d’excommunication. Voir Bannissement.

3° Motifs de cette défense. — Ils peuvent se ramener aux trois suivants : — 1. Le législateur a d’abord voulu détourner son peuple de toute effusion de sang humain. — Cela est évident par la combinaison des textes. Cf. Gen. ix, 4, et Lev., vii, 26 ; xvii, 10-14. Il est certain, par l’histoire, que les peuples accoutumés à boire le sang des animaux ont été ordinairement très cruels, et sont arrivés à ne plus faire aucune différence entre le meurtre d’un animal et celui d’un homme. C’est pour écarter le danger même éloigné de cette barbarie que Moïse défend aux Israélites de boire ou de manger le sang des animaux. S. Jean Chrysostome, In Genesim, Hom. xxvii, 5-6, t. lui, col. 2K-247 ; Théodoret, In Deut., q. xi, t. lxxx, col. 420 ; S. Thomas, 1° 2*, q. 102, art. 3. - Bien plus, afin de