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CHAIR DES ANIMAUX


— D’après plusieurs commentateurs juifs, la chair des animaux était défendue avant le déluge ; ils en trouvent la preuve dans la comparaison des deux textes, Gen., i, 29-30, et ix, 2-3. Dans le premier, Dieu assigne à Adam sa nourriture, et il n’y est question que des fruits de la terre et des arbres ; dans le second, Dieu assigne la nourriture des Noachides, disant expressément : & Tout ce qui a vie et mouvement sera votre nourriture ; je vous abandonne tout cela comme l’herbe verte, keyéréq’êséb. » Cette dernière expression mérite d’être remarquée. Dieu avait déjà permis à Adam les fruits de la terre ; afin de faire bien comprendre à Noé qu’il lui permettait aussi la chair des animaux, il dit : « Je vous abandonne tout cela comme je vous ai abandonné les fruits de la terre ; » ce qui suppose, d’après ces interprètes, qu’avant cette dernière permission, c’est-à-dire avant le déluge, les fruits de la terre seuls étaient permis aux enfants d’Adam. Cf. Selden, De Jure naturali, Wittenberg, 1770, p. 829-830. Cette interprétation des Juifs a été suivie par Lightfoot, dans sa Chronica temporum, ad Gen., ix, Opéra omnia, Utrecht, 1699, t. i, p. 9. Parmi les catholiques qui ont suivi cette opinion, Cornélius à Lapide, Gen., i, 29 et ix, 3, édit. Vives, p. 73, 153, cite Nicolas de Lyra, Alphonse Tostat et Denys le Chartreux (tous trois, ad Gen., i, 29). Leur raison est la même que celle des commentateurs juifs. La tradition païenne semble aussi favoriser cette opinion.

At vêtus illa œtas, cui fecimus Aurea nomen, Fcttibus avboreis, et, quas humus educat, herbis Fortunatà fuit, nec polluit ora cruore,

dit Ovide, Metnm., xv, 96-98, édit. Lemaire, Paris, 1822, t. iv, p. 502 ; cf. Metam., i, 89-106, ibid., t. iii, p. 56-60. Virgile, Georg., i, 125-128, édit. Lemaire, t. i, p. 268 ; Varron, De re rust., II, i, Opéra qux supersunt, édit. Henri Estienne, 1581, p. 58 ; Plutarque, Ilep’i <rap-- /.oyxft’a ; , ii, 3, 4, édit. Didot, p. 1220-1221 ; Porphyre, llepi ànoxiiç (De abstinentia), iv, 2, 15, édit. Didot, p. 68, 78-79, et saint Jérôme, Contra Jovin., ii, 13, t. xxiii, col. 302, constatent aussi cette tradition païenne. Néanmoins nous regardons comme plus probable l’opinion d’après laquelle, même avant le déluge, la chair des animaux était permise. Cette opinion est beaucoup plus commune parmi les commentateurs chrétiens, catholiques ou autres. Elle est soutenue par Cajetan, Gen., iv, 2, et ix, 2-3, Opéra, 3 in-f°, Lyon, 1639, t. i, p. 32, 51 ; Dom. Sotô, De justifia et jure, lib. v, q. 1, art. i ; Pererius, In Gen., Lyon, 1610, t. ii, p. 319-325 ; Cornélius à Lapide, Gen., ix, 2-3, p. 153 ; Leydekker, De Kepublica Hebrseorum, Amsterdam, 1704, p. 28. Pour prouver cette opinion, quelques auteurs traduisent ainsi, Gen., i, les fy. 29 et 30 : « Voici que je vous ai donné toutes les plantes…, et tous les fruits des arbres…, afin qu’ils soient votre nourriture, avec tous les animaux de la terre, et avec toutes les herbes vertes… » ; comme si Dieu, dès le commencement du monde, assignait aux hommes, comme nourriture : 1. les plantes et les fruits des arbres ; 2. les animaux de la terre ; 3. les herbes vertes. — Il est évident que, si cette interprétation est admise, il n’y a plus de discussion, et que la seconde opinion est la seule vraie. Mais cette interprétation ne peut pas se soutenir ; car : 1. Les mots qui commencent le ꝟ. 30, ûlekol hayyat ha-’ârés, doivent, à cause du’>, le, se traduire par le datif « et à tous les animaux de la terre, » et non pas « avec tous les animaux de la terre », le i ayant très difficilement ce dernier sens. — 2. Ces auteurs supposent, dans le y. 30, un ii, vav, avant les mots’et kol yéréq, de manière qu’ils puissent traduire : « et avec toutes les herbes, etc. » ; mais ce i, indispensable à leur opinion, ne se trouve que dans un très petit nombre d’exemplaires de la Genèse. — 3. Dans le j. 29, Dieu assigne à l’homme les plantes, ’êséb, comme une partie de sa nourriture ; pourquoi, dans le y. 30, rëpète-t-il la même chose, et dans les mêmes termes ? Cf. Rosenmuller,

In Gen., i, 30, Leipzig, 1821, t. i, p. 87-88. Il faut donc rejeter cette interprétation, et admettre, avec l’universalité morale des commentateurs, que dans le ꝟ. 29, Dieu assigne la nourriture de l’homme, et, dans le ꝟ. 30, celle des animaux : « Voici que je vous ai donné toutes les plantes, et tous les fruits des arbres, afin qu’ils soient votre nourriture, et (j’ai donné) à tous les animaux dé la terre… l’herbe verte pour nourriture. »

Mais nous n’avons pas besoin de faire subir ces contorsions aux yy. 29 et 30 du premier chapitre de la Genèse, pour prouver que la chair des animaux était permise avant le déluge. Il nous suffit, pour cela, de faire l’argument suivant. Quand un acte est autorisé par le droit naturel, il faut, pour que cet acte devienne interdit, un précepte clair et formel émanant de l’autorité législative. C’est ainsi que, le droit naturel permettant à Adam de manger du fruit de tous les arbres du paradis terrestre, il a fallu, pour lui interdire le fruit d’un de ces arbres, un commandement divin, clair et précis. La chair des animaux étant permise par le droit naturel, il aurait fallu, pour que cet aliment fut interdit à l’homme avant le déluge, un commandement de Dieu, exprès, clair et précis. Or, de ce commandement, nous ne trouvons trace nulle part. Les seuls textes apportés par les adversaires pour prouver l’existence de ce commandement, ce sont, nous l’avons dit, les textes rapprochés et comparés, Gen., i, 29-30 et ix, 2-3. Mais il est impossible d’y voir un commandement formel, imposé à l’homme, de s’abstenir de la chair des animaux ; que l’on compare ces textes aux yꝟ. 16 et 17, Gen., ii, où Dieu imposa à Adam un véritable précepte, et l’on touchera du doigt la différence. Que fait donc Dieu dans les versets, Gen., i, 29-30, et ix, 2-3 ? Il indique à l’homme quelle sera sa meilleure nourriture suivant les temps et les lieux, semblable à un père de famille qui abandonne à ses enfants d’abondantes provisions, mais qui, par prudence, leur indique les aliments qui leur seront plus profitables. Dieu, d’une part, abandonne à l’homme toute sa création : « Remplissez la terre, assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, etc., » Gen., i, 28, et puis il signale les aliments qui seront pour lui, en ce tempslà, les meilleurs, y. 29. Après le déluge, à cause, sans doute, de l’appauvrissement du sol et de l’affaiblissement de la constitution physique de l’homme, il signale, de plus, à Noé, comme nourriture, la chair des animaux. Gen., ix, 3. Telle est, croyons-nous, l’explication la plus simple et la plus naturelle des textes cités ; ils ne renferment pas un commandement, mais une simple indication, et, tout au plus, un désir, un conseil de Dieu. C’est ce désir et ce conseil qu’ont suivis les hommes les plus justes et les plus religieux de cette époque, comme Seth et sa postérité, et c’est ce qui a pu donner lieu aux traditions poétiques, et probablement un peu historiques de l’âge d’or.

2° À partir du déluge. — Dieu, Gen., ix, 3, déclare aux Noachides que la chair des animaux leur est permise ; mais il ajoute, y. 4 : « Excepté que vous ne mangerez pas la chair mêlée avec le sang. » Quel est le sens de cette restriction ? Pour la bien comprendre, il faut avoir sous les yeux le texte hébraïque : V-^Nn nS id~’ïï ?323 i™ ; — ; s, ’afebàsàr benafëô dàmô lô" (o’kêlû. La traduction littérale est celle-ci : « Excepté que vous ne mangerez pas la chair dans (ou avec) son àme, son sang. » Les mots « son sang » sont ajoutés, par une sorte d’apposition, aux mots « son âme ». Le sens direct et immédiat est donc : « Vous ne mangerez pas d’une chair encore animée de son sang. » Les Septante ont traduit : n).r, v xpéx ; èv ocIu.aTi ç - J"/î ;  ; o-j ?ày£a6s, « excepté que vous ne mangerez pas la chair avec le sang de l’âme, c’est-à-dire avec le sang de la vie, le sangvital. » Aquila : Il).r ( v zçla ; èv ^’J/^ aùrot a*p.a a-j-uoO o’i ziyEcbî. Symmaque : II).r, v y.psi ; o-j cJv livr/ij aïv.z iùtoC, etc. La Vulgate : Excepto quod camem cum sanguine non comedeiis. On le voit, d’après toutes ces ver-