Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/1104

Cette page n’a pas encore été corrigée
2129
2130
EVOCATION DES MORTS


vin, 19. Dans la Vulgate, les nécromants sont appelés magi ou pythones, noms qui permettent de supposer une réalité objective dans les effets de leur art. Il est constant que le démon n’a cessé d’intervenir dans les pratiques magiques des anciens, et son action y est aussi indéniable que dans certains effets merveilleux obtenus par nos modernes spirites. Seulement cette action a toujours été assez dissimulée pour tromper les hommes, et assez artificieuse pour ne pas se démasquer elle-même et ruiner son propre crédit.

II. L’évocation de Samuel à Endor. — 1° Voici le fait raconté I Reg., xxviii, 7-25. Saûl, voyant en face de lui le camp des Philistins, consulte Jéhovah, qui ne lui répond point. Il se rend alors de nuit, sous un déguisement, à Endor, chez une femme qui évoque les morts, et il lui demande d’évoquer Samuel. La femms hésite ; elle sait que le roi a pris des mesures sévères contre ceux qui exercent cet art et craint qu’on lui tende un piège. Saül la rassure ; elle fait son évocation et Samuel apparaît. À cette vue, la femme pousse un cri et reconnaît Saiil dans son visileur. Elle lui dit qu’elle voit monter de la terre un’elôhîm, c’est-à-dire un être surnaturel, enveloppé d’un manteau. Saül comprend que c’est Samuel et se prosterne. Puis il lui demande ce à quoi il doit s’attendre en face des Philistins. Samuel lui répond en lui renouvelant l’assurance de sa réprobation définitive. « Demain, ajoute-t-il, toi et tes fils vous serez avec moi. » Saûl, confondu et épouvanté, tombe de défaillance. La femme et les deux serviteurs qui l’accompagnent lui persuadent à grand’peine de manger pour refaire ses forces. Il repart ensuite la nuit même pour son camp et périt bientôt sous les coups des Philistins.

— 2° Ce récit a été interprété de trois manières principales : — 1. L’apparition et la réponse de Samuel ne reposent que sur une supercherie de la pythonisse. C’est l’opinion que saint Jérôme formule à plusieurs reprises, sans d’ailleurs la développer. La pythonisse « paraît évoquer Samuel », In ls., vii, 11, t. xxiv, col. 106 ; In Ezech., xiii, 17, t. xxv, col. 114 ; « elle parle à Saül dans Je fantôme de Samuel. » In Matth., vi, 31, t. xxvi, 46. Cette opinion a été défendue entre autres par M%A. Strauchius, Samuel personatus, et J. C. Harenberg, De pythonissa endorea et cultu tripodùm in Palsestina, dans le Thésaurus de Hasée et Iken, Leyde, 1732, t. i, p. 632-651. — 2. L’apparition est le fait du démon. Eustathe d’Antioche, De engastrimytho, t. xviii, col. 614074, soutient que la pythonisse obéit à l’influence des démons et répond comme si en réalité elle voyait Samuel. Saint Basile, In ls., viii, 218, t. xxx, col. 498, dit aussi que c’est le démon qui intervient et revêt la personne de Samuel, mais que la pythonisse ment quand elle prétend voir les morts. Saint Grégoire de Nysse, De pythonissa, ad Theodos. episc. epist., t. xlv, col. 107-114, ne voit en toute cette apparition qu’une tromperie du démon. Terlullien, De anima, 57, t. ii, col. 749, est absolument du même avis. L’auteur des Qusest. ad orthodox., 52, dans les Spuria de saint Justin, t. vi, col. 1295, croit aussi à une opération du démon, obligé cependant par Dieu de dire la vérité. — 3. L’apparition de Samuel a été réelle et permise par Dieu. Au texte de I Par., x, 13, les Septante ajoutent ces mots, qu’on ne lit ni dans l’hébreu ni dans la Vulgate : il interrogea la pythonisse « pour savoir, et le prophète Samuel lui répondit ». Ces paroles des Septante supposent une réponse effective de Samuel. Le fils de Sirach est plus expressif encore. Il termine ainsi l’éloge de Samuel : « Après s’être endormi, il prophétisa et révéla au roi sa fin, il fit sortir sa voix de terre dans une prophétie pour effacer l’impiété de son peuple. » Eccli., xlvi, 23. Pour cet auteur sacré, ce fut donc bien Samuel qui fit entendre sa voix. Josèphe, Ant. jud., VI, xiv, 2, ne doute pas non plus de la réalité de l’apparition. Origène, In I Reg., xxviii, De engastrimytho, t. xii, col. 1011-1028, prend à la lettre

le texte sacré, d’après lequel la femme voit Samuel.

I Reg., xxviii, 12. C’est bien le prophète qui apparaît par la permission de Dieu, et qui annonce à Saül ce que le démon n’aurait pas pu connaître lui-même. Cette interprétation littérale d’Origène est vivement attaquée par Eustathe d’Antioche, qui attribue à tort à son adversaire cette opinion, t. xviii, col. 650, que le démon peut évoquer à son gré des enfers même les âmes des prophètes. Le docteur d’Alexandrie ne dit rien de pareil. Théodoret, Qusest. lxiii in I Reg., t. lxxx, col. 590-594, enseigne que la pythonisse n’a aucun pouvoir pour faire paraître les morts, mais que Dieu même a ordonné à Samuel de parler pour annoncer l’avenir, et que la femme a pu voir soit un ange, soit le spectre du prophète. Saint Ambroise, In Luc., i, 33, t. xv, col. 1547, dit que « Samuel après sa mort, selon le témoignage de l’Écriture, ne cacha pas l’avenir ». Saint Augustin crut d’abord que le démon avait fait apparaître l’âme de Samuel, à moins qu’il n’y eût dans cette apparition qu’une simple fantasmagorie. De divers, qusest. ad Simplic, 3, t. XL, col. 142-144. Mais ensuite le texte de l’Ecclésiastique l’inclina à admettre la réalité de l’apparition. De octo Dulcit. qusest., H ; De cura pro mortuis, 14, t. xl, col. 162-105, 006. Saint Thomas, après avoir dit que « Samuel apparut par révélation divine, ou bien que cette apparition tut procurée par les démons », Summ. theol., 1, q. 89, a. 8, ad 2 um, ajoute ensuite plus explicitement : « Samuel n’était pas encore parvenu à l’état de béatitude. C’est pourquoi si, par révélation divine et par la volonté de Dieu, lame même de Samuel prédit à Saül l’issue de la guerre, le fait est d’ordre prophétique. .. Il n’importe que l’apparition soit attribuée à l’art des démons ; car, si les démons ne peuvent évoquer l’âme d’un saint ni la forcer à agir, la chose peut cependant se faire par la puissance divine de telle sorte que, lorsqu’on interroge le démon, c’est Dieu qui profère la vérité par son envoyé. » 2 a 2*, q. 174, a. 5 ad 4.

II est certain que saint Thomas eut été plus affirmatif sur la réalité de l’apparition de Samuel, si de son temps la canonicité du livre de l’Ecclésiastique eût été mise hors de toute contestation, comme elle le fut plus tard par le concile de Trente — 4. Les détails fournis par le texte sacré supposent plus naturellement une apparition réelle qu’une simple supercherie. Saûl, déjà rejeté par le Seigneur, I Reg., xv, 28, se rend de nouveau coupable en consultant la pythonisse ; mais il n’est pas extraordinaire que le Seigneur intervienne alors et fasse paraître Samuel pour annoncer l’exécution imminente de l’arrêt que le prophète a signifié longtemps déjà auparavant. La suite des desseins divins est ainsi mise en lumière. — La pythonisse ne peut reconnaître le roi sous son déguisement ; elle serait donc incapable de lui faire par elle-même une prédiction sensée. — Le cri qu’elle pousse en apercevant Samuel prouve qu’il vient de se produire une chose extraordinaire, même à ses yeux. — Elle ne reconnaît Saül que quand l’évocation de Samuel est suivie d’effet ; elle juge qu’un pareil prophète ne saurait paraître sur l’injonction d’un homme ordinaire ; il faut pour le moins à Samuel l’appel d’un roi. — La pythonisse voit Samuel sous l’apparence d’un’elôhim, d’un être supérieur et surnaturel ; mais Saül ne le voit pas : il faut que la femme le lui décrive, et alors seulement il comprend qu’il a devant lui le prophète dont il entend et reconnaît la voix. — Les paroles de Samuel sont précises et ne présentent rien de ce vague et de cette ambiguïté qui caractérisent les oracles sataniques ou les inventions des devins. La prophétie se réalise de point en point, et « le lendemain », c’est-à-dire très peu de temps après, peut-être même dans la journée qui suivit celle qui avait commencé avec la nuit de l’évocation, Saûl fut avec Samuel dans le scheol, dans le séjour des morts, communauté de séjour qui d’ailleurs n’implique nullement parité de traitement. — Ce qui indique