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ÉVANGILES

Synoptiques se ressemblent très souvent de la manière la plus intime et la plus minutieuse pour de très petits incidents. Non seulement les mêmes circonstances sont relatées ; mais, ce qui est plus frappant, elles sont agencées l’une à l’autre dans le même ordre. Comparer, par exemple, les trois relations, Matth., ix, 14-15 ; Marc, ii, 18-20 ; Luc, v, 33-35, de la question insidieuse des disciples de Jean-Baptiste et de la réponse de Jésus. Toutefois les divergences dans l’arrangement des faits ou des paroles sont ordinairement plus notables. Alors même qu’un épisode se compose des mêmes éléments, ces éléments changent de place dans l’une ou l’autre des narrations, ou bien chaque narrateur supprime ou ajoute un trait, qui modifie l’incident. La vigoureuse réplique de Jésus aux pharisiens, qui l’accusaient de chasser les démons au nom de Béelzébub, Matth., xii, 22-45 ; Marc, iii, 20-30 ; Luc, xi, 14-36, en est un exemple. Saint Marc, iii, 20, est seul à faire connaître l’occasion générale de l’accusation ; mais il omet la mention de l’occasion particulière. Matth., xii, 22 et 23 ; Luc, xi, 14. Les trois narrateurs rapportent l’accusation elle-même, mais ils se séparent presque aussitôt ; saint Luc, xi, 16, insère un petit trait, omis par saint Marc et rejeté plus loin par saint Matthieu, xii, 38. La réponse de Jésus vient ensuite ; mais les arguments ne sont pas absolument les mêmes, et ils ne se suivent pas dans le même ordre dans les trois rédactions. La mention de l’esprit immonde, qui rentre dans la maison de laquelle il a été chassé, manque dans saint Marc ; elle termine le discours en saint Matthieu, xii, 43-45, tandis qu’elle est dans saint Luc, xi, 24-26, à la fin de la première partie du même discours. On trouve aussi dans les récits du reniement de saint Pierre, Matth., xxvi, 69-75 ; Marc, xiv, 66-72 ; Luc, xxii, 50-62, de nombreuses divergences associées à une très grande coïncidence.

Cette association se rencontre encore presque à chaque page des Synoptiques jusque dans le style et dans les mois des récits parallèles. La ressemblance verbale va parfois jusqu’au littéralisme. Elle est surtout remarquable quand les évangélistes rapportent des paroles prononcées par les personnages du récit, spécialement des paroles de Jésus. Dans plusieurs événements importants, comme dans la vocation des quatre premiers apôtres, dans la vocation de saint Matthieu et dans l’histoire de la transfiguration, l’identité du langage du Sauveur est saisissante. Un exemple des plus caractéristiques se trouve dans la guérison du paralytique à Capharnaüm. Avant de guérir le malade, Jésus lui remet à haute voix ses péchés, provoquant ainsi les récriminations des pharisiens. Il y répond par un argument très péremptoire dans son contenu, mais très irrégulier dans sa forme. Puis les trois narrations interrompent au même point le discours et elles le continuent après une formule d’introduction, qui brise la phrase et qui ne présente que des variantes de détail. La reproduction du texte original fera mieux ressortir cette singularité :

Matth., ix, 5 et 6. Marc, ii, 9 et 10. Luc, v, 23 et 24.
Τι γὰρ ἐστιν εὑχοπώ­τερον εἰπεῖν · Ἀφέων­ται σου αἱ ἁμαρτίαι, ἢ εἰπεῖν · Ἔγειρε καὶ πε­ριπάτει ; Ἵνα δὲ εἶδῆ­τε ὅτι ἐξουσίαν ἔχει ὁ υἱός τοῦ ἀνθρώπου ἐπὶ τῆς γῆς ἀφιέναι ἁμαρ­τίας, τότε λέγει τῷ παρα­λυτικῷ · Ἐγερθεὶς ἆρόν σου τῆν κλίνην καὶ ὕπαγε εἱς τὸν οἶκόν σου. Τὶ ἐστιν εὑκοπώτερον εἰπεῖν τῷ παραλυτικῷ · Ἀφέωονται σου αἱ ἁμαρτίαι, ἥ εἰπεῖν · Ἑγειρε καὶ ὕπαγε ; Ἵνα δὲ εἰδῆτε ὅτι ἐξουσίαν ἔχει ὁ υἱός τοῦ ἀνθρώ­που ἐπι τῆς γῆς ἀφιέ­ναι ἁμαρτίας, λέγει τῷ παραλυτικῷ · Σοί λέγω, ἔγει­ρε, ἆρον τὸν κρά­βαττόν σου, καὶ ὕπαγε εἱς τὸν οἶκόν σου. Τὶ ἐστιν εὑκοπώτερον εἰπεῖν · Ἀφέωονται σοι αἱ ἁμαρτίαι σου, ἥ εἰπεῖν. Ἔγειρε καὶ περιπάτει ; Ἵνα δὲ εἰδῆτε ὅτι ὁ υἱός τοῦ ἀνθρώπου ἐξουσίαν ἔχει ἐπὶ τῆς γῆς ἀφίεναι ἁμαρτίας, εἶπεν τῷ παλυτικῷ · Σοί λέγω, ἔγειρε, καὶ ἆρας τὸ κλινίδιον σου πορέυου εἰς τὸν οἰκόν σου.

Par contre, cette identité de langage ne se rencontre pas là où on l’attendait tout particulièrement. On pouvait penser naturellement que, dans le récit de l’institution de l’Eucharistie, les trois évangélistes rapporteraient dans les mêmes termes la formule de la consécration. De fait, aucun d’eux ne s’accorde parfaitement avec les autres dans la reproduction qu’il en donne. Saint Luc même, pour la consécration du calice, s’écarte notablement de saint Matthieu et de saint Marc. Quand ils citent l’Ancien Testament, les trois Synoptiques ou deux d’entre eux se rencontrent plusieurs fois dans les mots, quoiqu’ils diffèrent et du texte original hébreu et de la version grecque des Septante. Ainsi la parole d’Isaïe, XL, 3, est rapportée identiquement dans les trois récits, Matth., iii, 3 ; Marc, i, 3 ; Luc, iii, 4, quoique la fin de la citation ne soit la même ni dans l’hébreu ni dans les Septante. La prophétie de Malachie, iii, 1, reproduite dans les mêmes termes, Matth., xi, 10 ; Marc, i, 2 ; Luc, vii, 27, ne correspond pas à la version grecque. Zacharie, xiii, 7, cité Matth., xxvi, 31 ; Marc, xiv, 27, avec quelque diversité, ne répond ni à l’hébreu ni à la traduction grecque.

Cet accord verbal des trois écrivains se comprend facilement, quand ils rapportent les discours d’autrui et quand ils citent un texte étranger. Quoiqu’il soit moins parfait, il est plus surprenant quand on le constate dans les trois narrations d’un même événement. Or, dans l’ensemble de leurs récits, les Synoptiques ont les mêmes formules, les mêmes expressions rares, les mêmes irrégularités grammaticales. Ainsi l’adverbe δυσκόλως, qui n’est pas employé ailleurs dans le Nouveau Testament, est usité Matth., xix, 23 ; Marc, x, 23 ; Luc, xviii, 24. D’autres locutions peu communes se lisent dans les trois premiers Évangiles : οἱ υἱοὶ τοῦ νυμφῶνος, Matth., ix, 15 ; Marc, II, 19 ; Luc, V, 34 ; γεύσασθαι θανάτου, Matth., xvi, 28 ; Marc, IX, 1 ; Luc, ix, 27 ; κολοβόω, Matth., xxiv, 22 ; Marc, xiii, 20 ; le diminutif ὠτίον, Matth., xxvi, 51 ; Marc, xiv, 47 ; Luc, xxii, 51 ; le double augment ἀπεκατεστάθη, Matth., xii, 13 ; Marc, iii, 5 ; Luc, vi, 18, etc. Des récits entiers se ressemblent presque mot pour mot. Ainsi, en relatant la captivité de Jean-Baptiste, Matthieu, xiv, 3-5, est plus laconique que Marc, vi, 17-20, et cependant la plupart des phrases et des expressions sont identiques dans l’original grec. De même, dans le récit de la guérison du démoniaque de Capharnaüm, saint Marc, i, 21-28, a quelques mots de plus que saint Luc, iv, 31-37 ; mais presque tous les termes sont identiques. Un certain nombre de récits, qui n’offrent au début aucune ressemblance verbale, coïncident dans les expressions au moment capital, au point culminant de l’événement, comme dans la guérison du lépreux, Matth., viii, 3 ; Marc, i, 41 ; Luc, v, 13 ; dans le miracle de la multiplication des cinq pains, Matth., xiv, 19 et 20 ; Marc, vi, 41-43 ; Luc, IX, 16 et 17. Les ressemblances verbales sont moins nombreuses que les coïncidences du contenu ; néanmoins on ne les rencontre pas au même degré dans les auteurs profanes qui ont traité un sujet identique. En général, elles sont moins fréquentes et moins longues entre Marc et Luc qu’entre Matthieu et Luc et qu’entre Matthieu et Marc. En plusieurs endroits, par exemple, Matth., viii, 3 ; Marc, i, 42 ; Luc, v, 13, les expressions de saint Marc ont quelque chose de commun avec celles des deux autres évangélistes et forment comme une sorte de trait d’union là où leur langage diffère légèrement. On a calculé que les coïncidences verbales forment un peu moins de la sixième partie du premier Évangile ; sur ce nombre, les sept huitièmes appartiennent à la reproduction des paroles d’autrui, et le dernier huitième à la narration historique. Dans saint Marc, les ressemblances verbales sont avec le contenu dans la proportion d’un sixième, dont un dixième seulement pour le récit. Dans saint Luc, la proportion ne dépasse pas un dixième, dont les ressemblances verbales des récits ne forment que le vingtième. Norton, The