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ÉVANGILES

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notablement des deux autres. Dans la seconde, c’est presque le phénomène inverse ; saint Matthieu et saint Marc se suivent de très près, et saint Luc est divergent. Toutefois son écart n’est pas aussi prononcé que l’était celui de saint Matthieu dans la première période.

Dans celle-ci, les Synoptiques racontent ensemble la prédication de saint Jean-Baptiste, le baptême de Jésus, la tentation dans le désert et l’arrivée en Galilée pour inaugurer le ministère public. Matth., iii, 1-iv, 12 ; Marc, i, 1-14 ; Luc, iii, 1-iv, 14. Mais saint Matthieu abandonne dès lors la suite chronologique des événements et groupe les faits et les discours dans un ordre logique. Il donne dans le sermon sur la montagne, v-vii, tout l’enseignement de Jésus ; il réunit ensuite les miracles, vin et ix ; à la mission des Apôtres il joint les instructions qui leur sont personnelles, x, 1-xii, 50 ; enfin il rassemble les paraboles du royaume des cieux, xiii, 1-52. Saint Marc et saint Luc continuent à suivre l’ordre chronologique. Sauf deux transpositions, Marc, i, 16-20 ; Luc, v, 1-11, Marc, vi, 1-6 ; Luc, vi, 16-30, leur récit est régulièrement parallèle. En quelques points, l’accord est singulièrement remarquable. Tous deux, Marc, VI, 7-11 ; Luc, IX, 3-5, s’arrêtent, alors que saint Matthieu, x, 1-42, poursuit les recommandations de Jésus aux Apôtres. Tous deux distinguent nettement l’élection des Apôtres, Marc, m, 13-19 ; Luc, VI, 12-16, de leur mission, Marc, vi, 7-13 ; Luc, ix, 1-6 ; ils ne mentionnent qu’un démoniaque à Gérasa, Marc, v, 2-20 ; Luc, viii, 27-39, tandis que saint Matthieu, viii, 28-34, parle de deux. D’autres faits font ressortir la coïncidence des trois narrations synoptiques dans les détails. Certains événements, bien que rapportés dans un ordre différent, sont racontés de la même manière et constituent des groupes caractéristiques. Ainsi la vocation de saint Matthieu est placée à des moments différents : en saint Matthieu, ix, 9, après le retour de Jésus au pays de Gérasa ; en saint Marc, ii, 14, et en saint Luc, v, 27, bien avant ce voyage. Cependant la conversion du publicain est intimement liée dans les trois textes avec la guérison du paralytique, qui la précède immédiatement, et avec le repas donné par Lévi et les récriminations des pharisiens, qui viennent aussitôt après. La résurrection de la fille de Jaïre et la guérison de l’hémorrhoïsse se suivent dans les trois Evangiles. Matth., IX, 18-25 ; Marc., v, 22-43 ; Luc, viii, 41-56. Les éléments didactiques et historiques, qui manquent dans saint Marc, sont parfois disposés en saint Luc et en saint Matthieu dans un ordre homogène ; ainsi certaines parties du sermon sur la montagne. Matth., v ; Luc, vi, 20. Enfin saint Luc a des récits propres, vii, 11-16, 36-50 ; viii, 1-4. Un peu avant la première multiplication des pains, saint Matthieu entre dans la voie chronologique de saint Marc et s’en rapproche plus que saint Luc. Les deux premiers évangélistes ouvrent, en effet, tous deux une parenthèse pour raconter le martyre de saint Jean-Baptiste, Matth., xiv, 1-12 ; Marc, vi, 17-30, que saint Luc, iii, 19 et 20, avait résumé au début de son Evangile.

La seconde période du ministère public de Jésus dans les Synoptiques commence à la première multiplication des pains, qui eut lieu à l’avant-dernière Pâque à laquelle le Sauveur assista, et comprend les événements d’une année. Les récits parallèles ont dès lors des relations différentes de celles que nous avons constatées dans la première période. La précision exige que nous établissions encore des subdivisions. Dans une première partie, qui va de la première multiplication des pains à la seconde, saint Matthieu, xiv, 22-xvi, 12, et saint Marc, vi, 45vin, 26, sont seuls parallèles ; saint Luc passe sous silence tous les faits qui se sont produits durant cet intervalle. Or l’accord entre les deux évangélistes est parfait. Il n’existe qu’une seule discordance : les guérisons miraculeuses du sourd-muet, Marc, vii, 32-37, et de l’aveugle de Bethsaïde, viii, 22-26, sont propres au second Évangile, qui omet à son tour la marche de saint Pierre sur

le lac de Tibériade. Matth., xiv, 28-31. Dans la deuxième partie, qui s’étend jusqu’à la fin du ministère en Galilée, l’accord de saint Matthieu, xvi, 3-xvii, 37, et de saint Marc, viii, 27-ix, 49, persévère ; mais saint Luc, IX, 18-50, raconte les mêmes faits, et son récit ressemble à celui de saint Marc, en certains passages plus, en d’autres moins que celui de saint Matthieu. On s’en fera une idée si l’on compare dans ses trois rédactions, Matth., xvi, 13-28 ; Marc, viii, 27-39 ; Luc, ix, 18-27, le témoignage que saint Pierre rendit à Jésus à Césarée de Philippe. Pour la question de Jésus et la réponse de l’apôtre, saint Luc ressemble à saint Marc plus que saint Matthieu. Celui-ci a reproduit seul la réplique du Sauveur, qui constitue Simon le fondement de son Église. Les trois historiens rapportent la prédiction de la passion ; mais saint Luc tait le scandale de Pierre et le reproche du Maître, cités par les deux autres. Tous terminent le récit par les mêmes instructions de Jésus. Dans la troisième partie, depuis la transfiguration jusqu’au début du ministère en Judée, saint Luc, ix, 51-xvin, 15, cite des faits et relate des paraboles qui lui sont exclusivement propres. Dans la quatrième partie, les trois Évangélistes se rencontrent pour raconter le dernier voyage de Jésus à Jérusalem. Comme dans la deuxième partie, saint Matthieu et saint Luc sont alternativement en parallélisme avec saint Marc. Ainsi, à la fin, saint Luc, xxi, 5-36, ne rapporte, comme saint Marc, xiii, 1-37, qu’une courte portion de la longue invective contre les pharisiens, Matth., xxiii, qui précède le discours eschatologique, xxiv-xxv. La cinquième partie comprend le récit de la passion. Ici, saint Matthieu, plus que saint Luc, se rapproche de saint Marc. Ainsi l’ordre dans lequel saint Luc raconte l’institution de l’Eucharistie et la trahison de Judas, xxii, 14-23, aussi bien que la prédiction du reniement de saint Pierre, xxii, 31, diffère de l’ordre suivi par les deux autres évangélistes, Matth., xxvi, 21-29 ; Marc, xiv, 18-25. La ressemblance de ceux-ci continue à être plus étroite dans la scène de l’agonie, Matth., xxvi, 36-39 ; Marc, xiv, 32-36 ; dans le jugement de nuit, Matth., xxvi, 57-66 ; Marc, xiv, 53-64, que saint Luc omet. Par contre, ils ne font qu’une allusion au jugement du matin, que saint Luc rapporte en détail, xxii, 66-71. Les deux premiers omettent aussi la comparution de Jésus devant Caïphe. Luc, xxiii, 7-12. Les circonstances de la crucifixion et de la mort sont mises par saint Luc dans un ordre particulier. Cependant saint Matthieu a certains détails négligés par saint Marc, par exemple, le désespoirde Judas, Matth., xxvii, 3-10 ; l’intervention de la femme de Pilale, xxvii, 19 ; l’ablution des mains du procurateur, xxvii, 21 ; l’imprécation du peuple juif, appelant sur sa tête le sang du juste, xxvii, 25. Dans le récit de la résurrection, les trois historiens se ressemblent d’assez près au sujet de la venue des femmes au tombeau. Mais à partir de là on remarque de notables divergences entre saint Matthieu et saint Luc, tandis que saint Marc, xvi, 9-20, semble résumer les deux autres. On peut juger par là combien sont complexes les rapports de concordance et de discordance entre les trois Synoptiques. Cf. Semeria, La question synoptique, dans la Revue biblique, t. i, 1892, p. 523-530.

3° Ressemblances et divergences dans la disposition des détails et la forme littéraire des récits parallèles.

— Si de l’ordonnance générale des matériaux dans les Synoptiques nous passons à l’arrangement des circonstances des faits racontés, nous trouvons encore dans les récits parallèles le même mélange de ressemblances et de divergences. Il y a plusieurs manières de raconter le même fait. Chacun des narrateurs suivant son propre caractère et le but qu’il se propose diversifiera sa narration, l’allongera ou l’abrégera, n’indiquera que le sommaire du fait ou n’omettra aucune circonstance, agencera les détails avec plus ou moins d’art et fera ressortir ce qui convient à son dessein. Sans manquer de ces marques individuelles et caractéristiques, les récits parallèles des