Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/1072

Cette page n’a pas encore été corrigée
2065
2066
ÉVANGILES


quels Basilide exposait les rapports du péché et de la douleur et rendait compte des souffrances des enfants par la théorie de la préexistence des âmes. Si cette explication se rattachait à un texte évangélique, aucun ne convenait mieux que la guérison de l’aveugle-né. Joa., IX, 1-3. Il parait certain d’ailleurs que la secte de Basilide se servait du quatrième Évangile. Philosophoumena, vii, 20-27, t. xvi, 3 a pars, col. 3301-3321. Enfin les disciples de cet hérétique plaçaient le baptême de Jésus la quinzième année de Tibère, et sa mort la seizième. Clément d’Alexandrie, Strom., i, 21, t. viii, col. 888. Ils avaient probablement emprunté ces dates à Luc, iii, 1 ; iv, 9. Nous pouvons donc conclure que Basilide connaissait les Évangiles de saint Matthieu, de saint Luc et de saint Jean. Cependant son ouvrage n’était peut-être pas un commentaire suivi des Évangiles canoniques, et comme Origène, Prosem. in Luc., t. xiii, col. 1803, attribue à cet hérétique un évangile, il se pourrait que le texte commenté ait été un document composite, formé d’après les Évangiles canoniques, sans en reproduire aucun intégralement. Zahn, i, 2, p. 763-774. Si de l’Occident nous passons dans les Églises d’Asie, nous y trouvons des renseignements plus précis sur les Évangiles. Dans ses sept lettres authentiques, qui datent au plus tard de 110 à 117, saint Ignace d’Antioche a fait des emprunts au premier et au quatrième Évangile : Ad Epkes., xiv, g, Funk, Opéra Patrum apostolicorum, t. i, p. 184, Matth., xii, 33 ; Ad Smyrn., i, i, p. 234, Matth., iii, 15 ; ri, i, p. 238, Matth., xix, 12 ; Ad Polycarp. , i, 3, p. 246, Matth., viii, 17 ; ii, 2, p. 246-248, Matth., x, 16. La description hyperbolique de l’étoile des mages, Ad Ephes., xix, 2, p. 188, n’est qu’une amplification oratoire de Malth., ii, 9 et 10. Le quatrième Évangile est cité, Ad Magnes., nu, 2, p. 196, Joa., viii, 29 ; Ad Rom., ru, 3, p. 220, joa., vi, 27 ; Ad Philad., ru, i, p. 228, Joa., iii, 8. Ignace cite ces deux Évangiles d’une telle manière, qu’il les suppose connus dans les diverses Eglises auxquelles il écrit. Zahn, i, 2, p. 903-905. Toutefois il reproduit, Ad Smyrn., iii, S, p. 237, une parole du Seigneur qui n’est pas dans nos Évangiles. C’est la seule qu’Ignace mentionne comme telle, en rapportant les circonstances dans lesquelles elle a été prononcée. Cette particularité laisse soupçonner qu’Ignace n’accordait pas à la source où il l’a puisée la même autorité qu’aux Évangiles. Saint Jérôme, De viris illust., xvi, t. xxiii, col. 633, croit y reconnaître une citation de l’Évangile des Hébreux. Origène, De princip., proœm., 8, t. xi, col. 119, la reproduit comme venant de la Prédication de Pierre. Cf. Zahn, i, 2, p. 920-922. En plusieurs passages de ses lettres, Ad Philad., r, i et 2, p. 228 ; nu et ix, p. 230-232 ; Ad Smyrn., r, i, p. 238 ; ru, 2, p. 240, saint Ignace compare l’Évangile à la Loi et aux Prophètes. On en a voulu conclure qu’à ses yeux l’Evangile formait un recueil sacré, ayant la même autorité que la Loi et les Prophètes. .1. Delitzsch, De inspiralione Scripiurse Sacras, p. 63-65. Mais s’il est certain que saint Ignace parle de l’Évangile comme d’un document écrit, il n’en parle que pour le subordonner en quelque sorte à la foi de l’Église, à la tradition vivante, qui dérive de la prédication des Apôtres. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testament, p. 27-29 ; Zahn, i, 2, p. 843-817. — Saint Polycarpe, qui écrivait peu après saint Ignace, a fait, Ad Philip., ni, 2, édit. Funk, p. 274, quelques emprunts à saint Matthieu, vi, 13 ; xxvi, 41. Ailleurs, ii, 3, p. 268, il combine Matth., vii, 1 et 2 ; v, 3 et 10, avec Luc, vi, 36-38 et 20. Comme il cite ru, i, p. 274, la première Épître de saint Jean, iv, 2 et 3, on peut penser qu’il connaissait aussi le quatrième Evangile, avec lequel elle a d’étroits rapports. — Saint Papias d’Hiérapolis, ami de Polycarpe et comme lui disciple de saint Jean, a composé vers l’an 125 ses Aoyiwv x’jp’.axwv Urafam. Eusèbe, H. E., iii, 39, t. xx, col. 296. Cet ouvrage contenait l’explication des discours du Seigneur, puisés dans des documents écrits et dans la tradition orale. Les documents écrits qui fournirent à Papias la

matière de son commentaire étaient les Évangiles de l’Église. Les Évangiles connus de Papias étaient certainement, au moins, ceux de Matthieu et de Marc, sur la composition desquels il nous a transmis de si curieuses notices, provenant en partie de saint Jean. Ces notices nous permettent même de remonter plus haut que l’époque de Papias. Elles nous renseignent sur ce que savait saint Jean, vers l’an 90. Or le disciple bien-aimé et ses auditeurs avaient entre les mains un Évangile, qu’ils croyaient être de Marc, disciple de saint Pierre. Jean loue cet ouvrage, en expliquant d’une manière satisfaisante l’ordre moins rigoureux des faits qu’il y remarquait déjà. Eusèbe, loc. cit., col. 300. Les critiques modernes ont prétendu, il est vrai, que la description donnée par Papias convenait, non pas à l’Évangile actuel de Marc, mais à un Prôto-Marc, dont nous aurions une édition remaniée dans notre second Évangile. Mais Papias ne dit rien qui ne se rapporte avec le caractère de notre Marc, dans lequel on trouve des faits et quelques discours simplement groupés, en dehors de toute prétention à un enchaînement minutieux dans l’ordre chronologique. D’ailleurs il est certain que les Pères, qui suivent Papias, ont connu l’Évangile actuel de Marc Faudra- 1- il placer dans le court intervalle qui les sépare l’édition remaniée qu’on suppose ? Qui l’a rédigée ou l’a fait accepter ? Quand et où la substitution a-t-elle été opérée ? Il n’y avait donc pas de Prôto-Marc pour Papias ni pour saint Jean. Les mêmes critiques ont pensé aussi que la notice sur saint Matthieu convient, non au texte grec actuel, mais à l’Évangile hébreu, dont il est un remaniement. D’après Papias, saint Matthieu, par contraste avec saint Marc, comprenait surtout des discours du Seigneur. Or le premier Évangile actuel a au moins autant d’histoire que le second. Ce n’est donc pas lui que Papias connaissait. Observons d’abord que l’opposition faite par Papias entre saint Matthieu et saint Marc n’est pas certaine. Elle semble résulter de la juxtaposition des deux citations de Papias dans Eusèbe ; mais il n’est pas démontré que les deux notices se suivaient dans l’ouvrage de l’évêque d’Hiérapolis, et Eusèbe a pu les extraire d’endroits différents. Du reste ce contraste n’est pas aussi tranché qu’on le prétend. Papias désigne les deux premiers Évangiles par la partie de leur contenu qui était pour lui la plus importante, le premier par les discours, le second par des discours et des faits. Il ne définit pas strictement tout le contenu, et Xôytoc ne signifie pas nécessairement des discours à l’exclusion des faits. Papias enfin connaît les interprétations grecques, écrites et non simplement orales, de l’Évangile hébreu de saint Matthieu. Il est vraisemblable qu’il employait l’une d’elles plutôt que l’original, probablement celle qui avait été dans les mains de saint Ignace et de saint Polycarpe, la même que nous trouverons bientôt en la possession de saint Irénée, celle qui est le texte de notre premier Évangile. Papias connaissait donc nos Évangiles de saint Matthieu et de saint Marc. Cf. A. Harnack, Die Chronologie der allchristlichen Litteraiur bis Eusebius, t. i, p. 663-664. Connaissait-il les deux autres ? On a prétendu que non, parce qu’Eusèbe n’en parle pas. Mais le silence d’Eusèbe ne saurait être à cet égard un argument décisif. Eusèbe a rapporté les deux notices relatives aux Evangiles de saint Matthieu et de saint Marc en raison des détails historiques qu’elles contenaient. Il ne se proposait pas de nous apprendre quels Évangiles étaient cités par les anciens écrivains ecclésiastiques ; il pouvait donc constater que Papias avait cité saint Luc et saint Jean, sans se croire obligé de le mentionner dans son histoire. Sans parler des documents qui relatent les rapports de Papias avec saint Jean (Harnack, Chronologie, p. 664-667), il est très vraisemblable que l’évêque d’Hiérapolis a connu le quatrième Évangile. Il n’a guère pu, en effet, ignorer les écrits de saint Jean, publiés peu d’années auparavant dans le milieu où il vivait. S’il ne s’en est guère servi