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BÉTHANIE

Marie vint à la rencontre de Jésus (fig. 498). Une pierre que l’on montre dans l’église serait celle sur laquelle le Sauveur se serait assis. Cette église, que le B. Odoric (1330) semble prendre pour la maison de Marthe, est probablement la troisième église désignée par l’évêque Arculfe, où le Seigneur venait converser avec ses disciples. Beaucoup de pèlerins, depuis le xiiie siècle, ignorant la tradition antique, dont sainte Sylvie et Daniel sont les témoins, ont voulu voir non loin de cette église le lieu de la rencontre. Au nord-ouest, en se rapprochant de Béthanie, sont de nombreuses citernes et autres excavations. Béthanie aurait-elle jadis étendu ses dépendances jusqu’ici, ou plutôt faut-il y voir, comme paraît le croire le P. Burkard, Pèlerinage, édit. Laurent, p. 62, l’emplacement de l’ancien Bahurim ? C’est ce qu’il est difficile de déterminer.

L. Heidet.

2. BÉTHANIE (« maison de la barque, » voir plus bas), localité « au delà du Jourdain, où Jean baptisait, » Joa., i, 28 : c’est le nom que nous lisons dans la Vulgate et que nous trouvons actuellement en usage dans la liturgie de presque toutes les églises et de tous les rites. Le plus grand nombre des manuscrits et les plus anciens jusqu’ici connus ont aussi Béthanie. Cf. Tischendorf, Novum Testamentum græce, edit. octava critica major. Origène constate que Béthanie se lisait dans « la plupart des exemplaires » de son temps. In Joa., t. vi, t. xiv, col. 269. Un certain nombre de manuscrits grecs, syriaques, slaves et autres, portent Béthabara. Cf. Tischendorf, ibid. Origène, en disant σχεδὸν ἐν πᾶσι, « dans presque tous, » reconnaît l’existence de l’autre leçon, et ne peut être accusé d’en être l’inventeur. Les manuscrits auxquels il fait allusion sont par conséquent au moins aussi anciens que les plus anciens que nous possédons. Saint Épiphane, Adv. hær., 1. ii, hær. 51, t. xli, col. 912, semble donner Béthabara comme la lecture la plus reçue : « Ces choses arrivèrent à Béthabara ; dans d’autres exemplaires, on lit Béthanie. » Saint Jean Chrysostome, In Joa., hom. xvii, 1, t. lix, col. 108, dit que c’est « la plus sûre » : « …à Béthanie ; quelques copies disent, et c’est le plus sur (ἀκριβέστερον), Béthabara. » Origène prétend que c’est la seule leçon vraie. « Nous sommes persuadé, dit-il, que ce n’est pas Béthanie qu’il faut lire, mais Béthabara. » La raison, « c’est qu’il n’y a pas de lieu du nom de Béthanie près du Jourdain ; mais, au contraire, à l’endroit que les histoires désignent, sur les rives du Jourdain, comme le lieu où Jean baptisait, on trouve Béthabara. » Origène raisonne comme nous ferions si, dans un livre, nous lisions que saint François d’Assise a été baptisé à Pise : connaissant par l’histoire la ville où ce fait s’est accompli, nous conclurions à une erreur de l’imprimeur, et nous lirions Assise. Saint Jean Chrysostome, loc. cit., donne le même motif : « Car il n’y a pas de Béthanie au delà du Jourdain, mais seulement une près de Jérusalem. » Comme saint Épiphane, Eusèbe et saint Jérôme, De situ et nom. loc. heb., t. xxiii, col. 884, reconnaissent simplement Béthabara : « Béthabara au delà du Jourdain, disent-ils, où Jean baptisait. » Tous les Pères des premiers siècles parlent de même.

Les commentateurs et les critiques sont divisés de nos jours comme aux siècles passés. Adrichomius, Theatrum Terræ Sanctæ, Ruben, 1600, p. 126 ; Bonfrère, Onomm., note 9, édit. de J. Clericus, 1707, p. 38 ; D. Calmet, Dict. de la Bible, au mot Béthabara, Paris, 1722, t. i, p. 151 ; Reland, Palæstina, édit. de 1714, t. ii, p. 627, et beaucoup d’autres, en conformité avec les Pères, disent que Béthanie est une faute. Reland ajoute que « Béthanie, mot plus connu, a pu plus facilement se substituer au moins connu, Béthabara, que Béthabara à Béthanie ». Plusieurs n’ont point voulu se prononcer. D’autres, comme Estius, in Joh., édit. de 1699, p. 329 ; Quaresmius, T. S. Elucidatio,. iv, per. x, c. v, 1639, t. ii, p. 329 ; Cornélius a Lapide, in Joa., édit. Vives, p. 317, etc., ont opté pour Béthanie. Suivant eux, il pourrait se faire que Béthanie fût identique à Béthabara, Beth’ania, avec aleph, signifiant « maison de la barque » ou « du bac » ; Josèphe indique une Béthanie au delà du Jourdain ; les manuscrits les plus anciens et les plus nombreux ont Béthanie ; la Vulgate, reconnue authentique par le concile de Trente et publiée par les souverains pontifes, a Béthanie ; Béthabara vient d’Origène, et c’est, dit-on, une correction non fondée. Mais la première raison affirme une possibilité, non un fait ; le fait est nié formellement par Origène et saint Jean Chrysostome, implicitement par tous les autres Pères. La Béthanie qu’Estius (In Joa.) a vue dans Josèphe, Ant.jud., XVII, x, 1, est introuvable ou désigne « la Batanée », chose toute différente. L’ancienneté des manuscrits et leur nombre n’attestent souvent que l’ancienneté de la faute et sa diffusion. Les papes qui ont publié la Vulgate, au nom du concile de Trente, ont reconnu y avoir laissé subsister des fautes certaines (voir Præfatio ad lectorem de la Vulgate) : rien ne prouve que « Béthanie » ne soit pas du nombre. Origène et les autres Pères, entre deux leçons existantes, choisissent Béthabara ; mais le nom n’a pas été introduit par eux. La question est de savoir si leur choix s’est fait selon une critique saine et sûre. Ils supposent : 1° que, « l’histoire », c’est-à-dire la tradition qui détermine la place du baptême du Seigneur à l’endroit appelé Béthabara, ou dans son territoire, est une tradition authentique ; 2° que le nom de Béthabara est celui qui était usité au temps de Jésus-Christ et n’a pas supplanté un autre nom, que par conséquent il a dû être seul employé par l’évangéliste. Ont-ils tort ? Pour le dire ou le croire, il faudrait rejeter ou contester l’existence ou l’authenticité de la tradition historique chrétienne ancienne, indiquant le lieu où le Seigneur a été baptisé : ce serait un peu de témérité. Mais si le souvenir de ce lieu s’est conservé fidèlement à travers deux siècles, — ce qui n’était guère difficile, — jusqu’à Origène, pourquoi pas le nom du lieu ? Nous avons ici des faits nombreux, évidents et palpables, après plus de dix-huit siècles, qui attestent la permanence vitale de l’onomastique ancienne des localités, malgré les Romains et les Grecs, les Byzantins et les croisés. Supposer le changement du nom ou la simultanéité des deux noms est une supposition gratuite, qu’auraient pu faire Origène et les autres, s’ils en avaient vu la possibilité.

On a avancé une autre proposition, qui à la fois laisse le loisir de reconnaître avec l’histoire le lieu du baptême à Béthabara, et ce nom comme nom spécial de l’endroit, et Béthanie comme nom authentique employé par l’évangéliste. Béthanie serait le nom général de toute la vallée du Jourdain. Ce ne serait qu’une forme grecque de l’hébreu Béten, « creux, vallée profonde, » dont Αὐλών, Κοῖλος, souvent usités chez Josèphe et d’autres, ne seraient qu’une traduction, comme le Ghor aujourd’hui. Cf. Riess, Bibel-Atlas, 2e édit., Bethania, p. 5. Cette supposition ne repose sur aucune preuve. Il serait bien surprenant, si Béten ou Bethania était le nom usité, qu’il n’eût été employé que cette seule fois, quand les évangélistes et saint Jean même nomment souvent la vallée du Jourdain ; mais alors c’est simplement omnis regio circa Jordanem, ou πᾶσα ἡ περίχωρος τοῦ Ἰορδάνου, πέραν τοῦ Ἰορδάνου, s’il s’agit de la partie orientale. Cf. Matth., iii, 5 ; Luc, iii, 3 ; Joa., iii, 26 ; x, 40. Ce dernier passage (chap. x, 40) marque clairement Béthanie comme un lieu particulier, τόπος, et non comme la désignation générale de toute la vallée. Une dénomination générale demande la détermination de l’article ; Josèphe, Eusèbe, saint Jérôme, etc., ne manquent pas de le faire quand ils nomment ὁ Αὐλών ; saint Jean ne le fait pas pour Béthanie : il écrit ἐν Βηθανίᾳ, non ἐη τῇ Βηθανία. Les raisons pour lesquelles on conteste l’assertion d’Origène et des Pères ne sont pas assez fortes pour la détruire ; il reste pour nous comme pour saint Jean Chrysostome, que Béthabara, ou l’une de ses variantes, est la leçon la plus certaine, la plus authentique. Voir Béthabara.

L. Heidet.