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BATARD


de texte précis que pour une catégorie d’entre eux, ceux à qui l’Écriture donne le nom de mamzêr, Deut., xxiii, 2, mot que la Vulgate a conservé et qui a passé dans la langue du droit canonique.

1° À qui s’appliquait, ^ chez les Hébreux, la qualification de « mamzêr ». — Quoiqu’on ne puisse pas déterminer d’une manière certaine toutes les espèces d’enfants illégitimes comprises par les Hébreux sous cette dénomination, on peut cependant signaler les principales. On regardait comme mamzêr : 1. L’enfant né d’une union incestueuse, au moins dans les cas d’inceste les plus graves ; ces cas d’inceste sont ceux que la loi punit soit de la peine de mort, soit de la peine du « retranchement », kârat. Telle est l’opinion traditionnelle des Juifs, consignée dans la Mischna, traité Yebâmoth, iii, 13, édit. Surenhusius, Amsterdam, 1700, t. iii, p. 17-18. Cf. Bartenora et Maimonide, dans lears Commentaires sur cet endroit de la Mischna, loc. cit. ; Selden, De Jure naturse et gentiùm, v, 16, VVittenberg, 1770, p. 655, et De successionibus in bona defuncti, iii, Francfort-sur-1’Oder, 1673, p. 12 ; Saalschûtz, Dos Mosaische Recht, Berlin, 1853, k. 100, p. 693 ; Gesenius, Thésaurus linguse hebrsese, p. 781. — 2. L’enfant né d’une relation adultérine ; il était placé sur le même pied que le fruit de l’inceste. Cf. Selden, De successionibus, loc. cit. — 3. L’enfant né d’un mariage défendu entre Juifs et étrangers ; la loi ne défendait pas aux Juifs le mariage avec toute espèce d’étrangers, mais seulement avec certains étrangers, par exemple, les Chananéens, Exod., xxxiv, 16 ; Deut., vii, 2-4 ; or l’enfant né d’une de ces unions défendues était regardé et traité comme mamzêr ; on en voit une application rigoureuse dans Esdras, x, 3, 44. — 4. Probablement aussi, l’enfant né d’une fille prostituée ; telle est, en effet, pour le mot hébreu mamzêr, Deut., xxiii, 2, la traduction des Septante, Sx îcipvv] ; , et de la Vulgate, de scorto natus ; cette sévérité vient de la rigueur avec laquelle Moïse avait défendu ce crime, ne voulant pas le tolérer en Israël. Deut., xxm, 17. — En dehors de ces cas, il est difficile de dire si la qualification de mamzêr s’applique encore à d’autres catégories d’enfants illégitimes ; ce qui est certain, c’est qu’il ne suffisait pas qu’une union ou relation fût défendue, ou même annulée, pour que le fruit en fût déclaré mamzêr ; voir le commentaire de Bartenora sur la Mischna, traité Yebâmoth, iii, 13, dans Surenhusius, toc. cit. ; Selden, De successionibus, etc., p. 12-13. La simple violation du sixième précepte du Décalogue est punie d’une peine relativement légère, Exod., xxii, 16-17 ; il n’est aucunement probable que le fruit de cette relation coupable soit réduit à la triste situation du mamzêr.

2° Quelle était la situation du « mamzêr » chez les Hébreux. — D’une manière générale, on peut dire qu’il était frappé d’une espèce d’excommunication à la fois civile et religieuse ; tel est, en effet, le sens du passage rapporté du Deutéronome, xxiii, 2 : « Que le mamzêr n’entre pas dans l’assemblée du Seigneur, biqehal Yehôvâh, pas même sa postérité jusqu’à la dixième génération ; » l’expression qàhàl Yehôvâh signifie « l’assemblée », et, par suite, la société des Israélites, peuple choisi de Jéhovah, avec tous les droits civils et religieux qui appartiennent à ses membres. Le mamzêr était donc plus ou moins privé de ces droits. Voici quelques applications de cette peine, signalées par l’Ecriture ou les interprètes : 1. Le mamzêr n’a pas le droit d’épouser une fille d’Israël ; cela découle du texte du Deutéronome. Ce droit était un des plus précieux des enfants de Jacob, parce qu’il avait pour but immédiat de recruter le peuple de Dieu, d’où devait sortir le Messie. Cf. Maimonide, More Nebochim, iii, 49, traduction latine de Buxtorf, Bâle, 1629, p. 507 ; Selden, De jure naturse, v, 16, p. 656-660. Le mamzêr ne pouvait épouser qu’une étrangère, une affranchie, une esclave. — 2. Le mamzêr n’était pas inscrit sur les listes généalogiques ; il. était comme s’il n’existait pas ; il n’était pas réputé comme « fils ». C’est

encore une conséquence du texte cité. Rosenmûller, Scholia in Vêtus Testamentum, In Deut., xxiii, Leipzig, 1824, p. 566. Toutefois cette sanction ne date que de la loi mosaïque ; avant Moïse il n’en est pas question : le nom de Phares, dont la naissance lui méritait la situation de mamzêr, setrouve dans toutes les généalogies contenues dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. — 3. Le mamzêr n’avait aucun droit sur la succession de son père, et en conséquence n’avait, de ce côté, aucune part d’héritage. Telle est l’opinion commune des interprètes, qui la déduisent du même texte ; ce texte nous montre le mamzêr séparé de la société juive, et par conséquent privé des droits civils, dont un des principaux est le droit de succéder. Voilà pourquoi Jephté, qui était mamzêr, comme ayant pour mère une fille publique, zônâh, Jud., xi, 1, put être légitimement privé par ses frères de toute part dans la succession de leur père, Jud., xi, 2, traitement qui paraît avoir été ratifié par une sentence des anciens de la ville. Jud., xi, 5-7. Si, dans ce dernier passage, Jephté se plaint, ce n’est pas d’avoir été privé de sa part d’héritage, mais d’avoir été chassé de la maison paternelle, ce qui est bien différent. Cf. Serarius, In Judices, xi, 9, 4, Paris, 1611, p. 336-337 ; Ménochius, De republica Hebrseorum, v, 9, Paris, 1648, p. 478 ; Rosenmûller, In Judices, xi, 1-2, Leipzig, 1835, p. 264-265. C’est ainsi que, chez les Romains, le droit pour les bâtards de succéder et d’hériter était extrêmement restreint ; et chez les Grecs, particulièrement chez les Athéniens, il était nul. Cf. Ubbo Emmius, De Republica attica, dans Gronovius, Thésaurus grxcarum antiquitatum, Venise, 1732, t. iv, p. 613 ; Hotman, De spuriis et legitimatione, dans Grasvius, Thésaurus rornanarum antiquitatum, Venise, 1732-1737, t. viii, p. 1204-1205. Le mamzêr, chez les Hébreux, n’était pourtant pas abandonné ; ses parents lui devaient le vivre et le couvert ; et Josèphe nous apprend que, quand les parents coupables étaient punis de la peine de mort, par exemple, en cas d’adultère, la communauté juive se chargeait de l’enfant né de ces relations, Contr. Apion., ii, 24. — Remarquons, sur le point qui nous occupe, un grand relâchement chez le peuple juif ; dans les siècles qui suivirent le commencement de l’ère chrétienne, le mamzêr hérita comme ses frères légitimes ; c’est ce que nous apprend Maimonide, traité Nechaloth, i, dans Selden, De successionibus, etc., p. 11.

— 4. Le mamzêr était exclu de toute fonction publique, et même du droit de voter dans les assemblées ; nouvelle conséquence du texte du Deutéronome, xxiii, 2. Cf. Leydekker, De republica Hebrseorum, vi, 5, Amsterdam, 1704, p. 361. Que si Jephté fut choisi pour être le « juge » ou chef de sa tribu, ce fut dans un de ces cas de nécessité où le salut public est la loi suprême, et par une sorte d’inspiration divine, comme l’insinue saint Paul. Hebr., xi, 32. Cf. Serarius, loc. cit., q. 5, p. 338-339 ; Leydekker, loc. cit., p. 362. — 5. À plus forte raison, le mamzêr était exclu des fonctions sacerdotales ; ici les prescriptions étaient plus sévères : le sacerdoce était interdit, non seulement au mamzêr tel que nous l’avons défini, mais encore à plusieurs autres catégories d’enfants illégitimes ; si un prêtre, malgré la prohibition de la loi, épousait une femme drvorcée, une fille publique, une veuve, une étrangère, les enfants qui naissaient de ces mariages étaient réputés illégitimes, au point de vue du sacerdoce. Leydekker, De republica Hebrseorum, x, 3, p. 589, Selden, De successione in pontificaturft, Francfort-surl’Oder, 1673, ii, 2, p. 196-197 ; Cnr’pzov n Apparatus antiquitatum S. codicis, Leipzig, 1748, p. 89. — 6. Cette situation du mamzêr non seulement durait toute sa vie, mais encore s’étendait à sa postérité, « jusqu’à la dixième génération, » dit le texte, Deut., xxiii, 2, expression que les interprètes entendent, les uns (par exemple, Rosenmûller, In Deut., xxiii, 3, p. 569), d’un temps indéfini, les autres (par exemple, Cornélius a Lapide, In Deut, , xxiii, 2) dans le sens strict, c’est-à-dire jus-