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ABEL — ABELARD

tation, le Seigneur ne l’accorda pas à Caïn : « il ne regarda pas, c’est-à-dire il n’agréa pas Caïn et ses présents. Caïn en fut vivement irrité. » Gen., iv, 5. La jalousie qu’il éprouva à l'égard d’Abel le lui fit haïr, et il laissa cette haine grandir dans son cœur, au mépris d’une paternelle remontrance de Dieu. Gen., iv, 5-7. Un jour, ayant attiré son frère dans la campagne, il se jeta sur lui et le tua. C’est ainsi que la mort, entrée dans le monde par le péché d’Adam, Rom., v, 12, y fit sa première apparition dans la personne de l’un de ses fils, Abel, victime du péché de l’autre. Le Seigneur demanda aussitôt au meurtrier compte de ce sang innocent, et il le punit de son crime en le maudissant et en le condamnant à une vie triste et errante, afin de faire comprendre aux hommes qu’ils n’ont aucun droit sur la vie de leurs semblables.

L'Écriture ne nous parle pas de la postérité d’Abel ; ce silence ne prouverait pas toutefois qu’il n’ait pas été marié et qu’il soit demeuré vierge, ce qui est affirmé par certains Pères et nié par d’autres ; ou que, ayant été marié, il n’ait pas eu d’enfants. Il aurait pu laisser des filles sans qu’il en ait été fait mention, les femmes restant en dehors des généalogies bibliques, ou même des fils morts soit avant lui, soit au moins avant la naissance de Seth. Mais il n’avait pas laissé d’enfant mâle qui vécût encore lorsque Seth vint au monde, car Eve n’aurait pas dit en ce moment : « Le Seigneur m’a donné une autre postérité à la place d’Abel, que Caïn a tué, » Gen., iv, 25, et le verset suivant ne nous montrerait pas le troisième fils d’Adam comme le père d'Énos et le premier anneau de la chaîne des patriarches. Gen., IV, 26 ; cf. v, 3-9.

Il n’est plus question d’Abel dans tout l’Ancien Testament ; mais il lui est fait une place assez large dans le Nouveau, auquel il semble appartenir plus particulièrement par le caractère figuratif et typique de sa vie et de sa mort. Les Pères l’ont toujours regardé comme une figure de Jésus-Christ, S. Augustin, Opus imperf. cont. Julianum, vi, 27, t. xlv, col. 1575 ; et, en effet, sa vie innocente, sa qualité de pasteur, l’envie fraternelle que sa vertu excite, cf. Matth., xxvii, 18, son sacrifice agréé de Dieu, sa mort soufferte pour la justice, cf. Joa., x, 32, sont autant de traits de ressemblance avec le Sauveur du monde. C’est sans doute parce que ces traits si frappants constituent une sorte de prophétie en action, et peut-être aussi parce que la foi d’Abel, louée par saint Paul, Hebr., xi, 4, lui avait révélé en quelque manière la signification mystérieuse de son sacrifice, que Jésus-Christ le met au rang des prophètes, comme on le conclut de Matth., xxiii, 31-35, et de Luc, xi, 49-51. Voir Maldonat, In Matth., xxiii, 35. Saint Paul confirme la signification figurative de la mort d’Abel par le contraste qu’il signale entre les effets de cette mort et les effets de celle de Jésus-Christ : Le sang d’Abel crie vers Dieu pour demander vengeance, Gen., iv, 10 ; le sang de Jésus crie pour implorer la clémence et le pardon. Hebr., xii, 24.

Figure de Jésus-Christ, Abel est encore le type de l'Église militante, parce qu’il inaugura le martyre par une mort qui fit de lui les prémices de cette Église, et parce qu’en Abel persécuté commença la cité de Dieu, de même qu’avec Caïn persécuteur commença la cité du mal. Voir S. Augustin, Enarr. in Psal. cxlii, 3, t. xxxvii, col. 1846. C’est ce qui ressort du reproche que Jésus-Christ fit un jour aux Juifs d’avoir versé le sang d’Abel par les mains de Caïn, animé du même esprit d’envie qui les excitait eux-mêmes contre le Messie : « Remplissez, leur dit-il, la mesure de vos pères…, afin que vienne sur vous tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre, à commencer par le sang du juste Abel, » Matth., xxiii, 32-35 ; c’est-à-dire : consommez par l’effusion de mon sang l'œuvre d’iniquité commencée par l’effusion de celui d’Abel. Il leur montrait ainsi Abel comme le type des martyrs et la première victime de la lutte incessante entre le bien et le mal. Saint Jean est encore plus explicite : « Voici, dit-il, le signe manifeste des enfants de Dieu et des enfants du diable. » Joa., iii, 10. Or ce signe est, d’une part, l’amour de ses frères ; de l’autre, la haine dont Caïn a donné l’exemple, car « il était du malin, et il tua son frère. Et pourquoi l’a-t-il tué ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient bonnes », 11-12. Par conséquent, c’est à cause de sa foi et du bien qu’elle lui faisait accomplir, Hebr., xi, 4, qu’Abel fut mis à mort par Caïn. C’est donc à bon droit que les Pères lui ont donné le titre de martyr. Outre saint Augustin, cité plus haut, voir saint Cyprien, Epist. lvi ad Thibaritanos, 5 ; De bono patientiæ, 10, t. iv, col. 353, 629, et saint Chrysostome, Orat. viii cont. Judæos, 8, t. xlviii, col. 939. Abel, dont le nom n’avait jamais été prononcé dans la suite de l’histoire de l’Ancien Testament, ne cesse plus d'être présent à la pensée de l'Église, depuis que Jésus-Christ et les Apôtres ont rappelé le souvenir et révélé le sens de son sacrifice et de sa mort. Les premiers artistes chrétiens représentèrent ce sacrifice sur les sarcophages ; l'Évangile et les Épîtres mettent constamment le nom d’Abel sous les yeux des fidèles ; les prêtres le lisent tous les jours au canon de la messe, où le sacrifice d’Abel est mentionné avec ceux d’Abraham et de Melchisédech ; enfin, dans les prières des agonisants, le premier protecteur invoqué en faveur de l'âme qui va quitter le monde est celui de « saint Abel ».

E. Palis.

2. ABEL, nom de lieu, est différent, dans le texte original, d’Abel, nom propre. Ce dernier est écrit חבל, Hébel, et le premier, au contraire, אבל, ’Abêl, mot qui vient d’une racine signifiant « être humide, verdoyant », et désigne une « prairie, un endroit couvert de gazon ». Abel désigne donc des localités remarquables par leur verdure et leur fertilité, et il entre dans la composition de plusieurs noms de villes, qui sont distinguées les unes des autres par l’addition d’un ou de plusieurs mots. — La Vulgate appelle Abel, Jud., xi, 33, la localité nommée dans le texte original ʿAbêl-Keramîm ; saint Jérôme a rendu le mot keramîm par « qui est planté de vignes ». Voir Abel-Keramim.

ABÉLA. La Vulgate nomme ainsi, II Reg., xx, 14, 15, 18, la ville d’Abel-Beth-Maacha, en faisant, dans les deux premiers passages, deux localités différentes de cette seule ville. La forme Abéla provient de ce que, II Reg. (II Sam.), xx, 14, le nom d’Abel est accompagné, dans le texte original, du hé locatif, âh, qui, en hébreu, marque le mouvement vers un lieu, de sorte qu’il est écrit, en cet endroit, ʿAbêlâh. Voir Abel-Beth-Maacha.

ABÉLARD (Abælardus) Pierre, philosophe et théologien français, né à Pallet (Palatium), en Bretagne, en 1079, mort au monastère de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, en 1142, aussi célèbre par ses aventures et ses malheurs que par ses talents et par ses écrits. Ses œuvres exégétiques sont une Expositio in Hexameron, qui va jusqu'à Genèse, ii, 17, composée pour Héloïse et les religieuses du Paraclet ; Commentariorum super S. Pauli Epistolam ad Romanos libri quinque ; ils expliquent en partie le texte apostolique, mais ils s’occupent encore davantage de la loi, du péché, de la prédestination et de la rédemption, et le prologue peut être considéré comme une sorte de programme d’une théologie biblique ; Expositio super Psalterium, Expositio super Epistolas Pauli, compositions très médiocres. L’importance du rôle d’Abélard au point de vue exégétique ne se mesure point d’ailleurs à celle de ses commentaires, qui sont de peu de valeur, mais à la direction nouvelle qu’il donna à la théologie et à l’interprétation des Écritures. Il est un des pères du rationalisme moderne ; il voulut placer la raison au-dessus de la foi, et il prépara ainsi efficacement, dans ses écrits théologiques, Dialogus inter philosophum Judæum et Christianum, Theologia christiana, etc., l’avènement de ce système, qui rejette aujourd’hui l’inspiration et le surnaturel, et exclut des livres Saints tout élément divin.