Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/700

Cette page n’a pas encore été corrigée
1245
1216
AUMONE


les autres étaient indéterminées, soit quant à l’espèce, soit quant à la manière ; c’étaient des libéralités, que les Juifs faisaient comme ils voulaient et quand ils voulaient, en argent, nourriture, vêtements, etc. La distinction entre les aumônes venait donc, non de l’obligation, qui était la même pour les deux catégories, mais du degré de détermination.

1 o À VMONES DÉTBSMIlfÉES PAS LA LOI DE MOÏSE. — Les

principales sont les suivantes :

1. La réserve d’un petit coin dans chaque champ. — Le précepte en est porté Lev. xix, 9 (et. xxiii, 22), dont le sens est, d’après l’hébreu : « Lorsque vous ferez la moisson, vous n’irez pas tout à tait jusqu’à l’extrémité de votre champ, mais vous en laisserez une petite partie… pour les pauvres et les étrangers. » La traduction de ce passage, dans la Vulgate, est un peu obscure ; aussi saint Jérôme a - 1 - il eu soin d’en expliquer le sens d’après l’hébreu. Divina biblioth., in Lev., xix, t. xxviii, col. 323. Cette partie, réservée aux indigents, est appelée « angle » ou « coin », parce qu’ordinairement elle devait être à l’extrémité du champ, afin que les pauvres ne pussent s’y méprendre. Ce point est l’objet d’un traité spécial dans la Mischna, tr. Pê’âh, édit. Surenhusius, Amsterdam, 1698, part, i, p. 37-75, qui a été longuement commenté, soit par un disciple de Juda le Saint, auteur de la Mischna, sous le titre de Tosafâh, ou Addition au traité Pê’âh (traduite et imprimée par Ugolini, dans son Thésaurus antiquilatum sacrarum, Venise, 1757, t. xx, p. 55-78), soit par Bartenora et Maimonide, dont on peut voir les savants commentaires à l’endroit cité de Surenhusius. Maimonide en traite aussi longuement dans son ouvrage De jure pavtperis et peregrini, traduction latine de Prideaux, Oxford, 1679, c. i, p. 2-8. D’après le texte mosaïque, aucune mesure n’est fixée pour ce petit coin de terre qu’on doit laisser aux pauvres, si bien que Maimonide va jusqu’à dire qu’à la rigueur un Juif peut satisfaire à la loi en laissant un seul épi debout à l’extrémité de son champ. Mais peu à peu la tradition juive en détermina la mesure ; d’après le tr. Pë’âh, i, 2, le petit coin doit correspondre à la soixantième partie du champ. Quoique le texte sacré, Lev., xix, 9, ne parle que de « moisson », cependant il fut appliqué peu à peu à toute espèce de récolte pouvant servir à la nourriture de l’homme. Tr. Pê’âh, I, 4. Cf. Hottinger, Juris Hebrœorum leges, lex 213, Zurich, 1655 ; p. 314-317 ; Leydekker, De republica Hebrseorum, Amsterdam, 1704, p. 669 ; Selden, De jure naturali, Wittemberg, 1770, VI, VI, p. 724-725.

2. Le glanage et autres droits similaires. — Les épis qui échappent à la faux des moissonneurs, ou tombent des mains de ceux qui lient les gerbes, appartiennent aux pauvres, Lev., xix, 9 ; xxiii, 22 ; les grappes qui restent après la vendange ou les grains qui tombent, sont la propriété du pauvre. Lev., xix, 10 ; Deut., xxiv, 21. Si, pendant la moisson, le propriétaire du champ laisse une gerbe par oubli, il lui est défendu de retourner à son champ pour reprendre cette gerbe ; il doit la laisser aux pauvres, Deut., xxiv, 19 ; quand on fait la récolte des olives, s’il en reste sur l’arbre après la cueillette, elles sont pour les pauvres. Deut., xxiv, 20. Pour ces aumônes spéciales, aucune quantité n’était et ne pouvait être fixée ; mais nous voyons, par l’exemple de Booz, que les Juifs bienveillants laissaient tout exprès des épis dans leurs champs ou des raisins dans leurs vignes, pour rendre plus abondante la part du pauvre. Ruth, ii, 15-16.

3. Les privilèges des années sabbatique et jubilaire. — Pendant l’année sabbatique, qui revenait tous les sept ans, on ne semait pas la terre et on ne taillait pas les vignes ; c’était le repos de la terre, comme le sabbat était le repos de l’homme. Les fruits spontanés de la terre ou des vignes ne devaient pas être recueillis par le propriétaire sous forme de moisson ou de vendange, car ils appartenaient à tous indistinctement ; c’était, pour cette année, la com munauté des fruits. Lev., xxy, 4-6. Or il est évident que ceux qui profitaient le plus de cette communauté, c’étaient les pauvres et ceux qui n’avaient ni champ ni vigne ; car les propriétaires avaient fait leurs provisions les années précédentes, et surtout la sixième, que Dieu s’était engagé à favoriser d’abondantes récoltes. Lev., xxv, 20-21. Aussi tous les auteurs signalent le sabbat de la septième année comme une précieuse ressource pour les pauvres. Michælis, Mosaisches Recht, § 143, t. ii, p. 475. Les prescriptions de l’année sabbatique s’appliquent également à l’année jubilaire, qui revenait tous les cinquante ans. Lev., xxv, 10-11.

4. La dîme des pauvres. — Elle est prescrite Deut., xiv, 28, et xxvi, 12 ; il en est encore question dans le livre de Tobie ; i, 6-8 ; Josèphe la mentionne expressément parmi les préceptes divins. Antig jud., IV, viii, 22. Elle était appelée la « troisième dîme », parce qu’elle venait après deux autres dîmes, l’une payée chaque année aux lévites, l’autre offerte à Dieu dans le lieu même du tabernacle ou du temple, pour être employée surtout en fêtes religieuses. Voir Dîme. D’après le texte même du Deutéronome, xiv, 28, la « troisième dime » n’était payée que tous les trois ans. Quelques auteurs ont cru que, l’année de son échéance, cette dime était surajoutée aux deux autres, en sorte que cette année-là on devait payer trois dîmes ; mais, d’après l’opinion de beaucoup la plus probable, la dîme dont nous parlons n’était pas surajoutée aux deux autres, mais substituée à la seconde, qui n’avait pas lieu cette année-là. Cette opinion, plus raisonnable, est soutenue par Selden dans une dissertation De decimis, que Jean Leclerc a annotée et imprimée à la fin de son commentaire In Pentateuchum, Amsterdam, 1710, t. ii, p. 629-630 ; par Carpzov, De decimis, dans son Ap par atus historico-criticus antiguitatum, etc., Leipzig, 1748, p. 621-622 ; par Rosenmûller, Scholia in Vêtus Testamenlum, in Deut., xxvi, 12, Leipzig, 1824, t. iii, p. 580-581, et surtout par J. C. Hottinger, qui a dégagé cette opinion de toutes ses difficultés et l’a mise en pleine lumière, dans son traité De decimis, exercit. viii, 12, imprimé dans Ugolini, Thésaurus, t. xx, p. 442-449. Cette « troisième dime » est surtout appelée la « dîme des pauvres ». D’après saint Jérôme, c’était là son nom usuel. In Ezech., xlv, 13, t. xx, col. 451. Cette dîme, comme les deux autres, était levée, sans aucune distinction, sur tous les fruits de la terre et des arbres.

La loi qui formule les quatre espèces d’aumônes que nous venons d’exposer nous signale aussi les personnes qui y ont droit, Deut., xiv, 29, et xxv, 12 ; elle signale « le lévite, l’étranger, la veuve et l’orphelin ». Cette expression « la veuve et l’orphelin » n’est qu’une paraphrase pour signifier « les pauvres » en général, qui sont, en effet, désignés par le nom collectif, ’ânî, Lev., xix, 10, et xxiii, 22 ; par le « lévite » dont il est question, il faut entendre le lévite pauvre, tel qu’il s’en rencontrait un grand nombre en Palestine, dans les régions où les récoltes, et par conséquent les dîmes, étaient moins abondantes ; on appelait « étranger », gêr, quiconque ne descendait pas de la famille de Jacob ou d’Israël.

Les aumônes dont nous venons de parler étaient fixées par la loi, et précisées jusqu’à un certain point ; les pauvres pouvaient les réclamer, même par le recours à la justice, et les récalcitrants pouvaient être punis de certaines peines. C’est ce qui suivait naturellement de la loi, et ce qu’affirment les rabbins et les commentateurs les plus au courant des traditions judaïques sur ce point. Maimonide, De jure pauperis et peregrini, c. i, p. 4 ; Hottinger, De decimis, p. 451 ; Selden, De jure naturse, p. 728, 732. Nous avons donc ici une espèce de « taxe » des pauvres ; mais la taxe hébraïque, par la manière même dont elle était perçue, échappait aux deux graves inconvénients des taxes de ce genre ; ces inconvénients sont : 1. de transformer en impôt payé à l’État le devoir de l’aumône, et ainsi d’étouffer dans les individus le sen-