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APOCALYPSES APOCRYPHES


historique. L*élude comparée de ces apocryphes date de ce siècle, et, on Ta dit bien souvent et non sans raison, nous lui devons la reconstitution d’un chapitre extrêmement instructif de l’histoire littéraire et religieuse du peuple juif. Elles sont, en effet, les monuments de la pensée juive, et de la pensée juive orthodoxe, palestinienne et non hellénistique, au I er siècle avant notre ère et au Ie ' siècle depuis ; elles comblent la lacune littéraire qui s'étend entre l’Ancien et le Nouveau Testament ; et, par les espérances si hautement messianiques qui sont leur caractéristique commune, elles sont comme une sorte de prolongement et d'épilogue des prophètes canoniques, en même temps que le prologue de l'Évangile. Ainsi, et ainsi seulement, s’explique la faveur qu’elles ont rencontrée dans l'Église primitive, et comment, négligées par les Juifs de la tradition talmudique, elles ne nous ont été conservées que par des mains chrétiennes. J’ajoute, mais avec toutes les réserves que comporte une opinion dont certains critiques ont tiré des conséquences auxquelles nous ne saurions souscrire, j’ajoute que cette même étude comparée des apocalypses juives, lesquelles s’inspirent visiblement des prophètes canoniques et en particulier de Daniel, n’est pas peu propre à nous faire juger de la méthode que les Juifs palestiniens de l'époque asmonéenne et du temps des Hérodes appliquaient à l’intelligence des prophéties messianiques et eschatologiques canoniques. — M. llilgenfeld, d’Iéna, un des rares survivants de l'école de Baur, passe pour avoir inauguré cette étude comparée, dans son livre Die j'ùdische Apokalyptik in ihrer rjeschichtlichen Entwickelung, ein Beitrag zur Vorgeschichte des Christenthums, Iéna, 1857. Mais, depuis trente ans, ce chapitre d’histoire littéraire s’est sensiblement développé et enrichi, grâce notamment aux découvertes de M. Dillmann et de l’abbé Ceriani ; pour s’en rendre compte, on n’aura qu'à consulter le livre d’Emile Schûrer, Geschichte des jàdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, Leipzig, 1886, t. ii, p. 575-694, qui résume avec autant de solidité que d’ampleur la littérature et les conclusions du sujet.

1° Livre d’Enoch. — Il vient le premier dans la série des apocalypses palestiniennes, et c’est assurément la plus importante. Cité par l’auteur du Livre des Jubilés, par l’auteur du Testament des douze Patriarches, et, d’après plusieurs, dans l'Épître canonique de saint Jude, dans l'Épître de saint Barnabe, par saint Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Celse, Origène, Eusèbe de Césarée, saint Jérôme, le Livre d’Enoch est mentionné par le catalogue gélasien ou décret De libris recipiendis attribué au pape Gélase (492-496). Georges Syncelle, au IXe siècle, en avait encore le texte grec entre les mains. Tous ces témoignages ont été réunis par Fabricius, Codex pseudepigraphus Veteris Testanienti, Hambourg, 1723, t. i, p. 160-223, et par Schûrer, ouvr. cité, p. 627-629. L’original hébreu-arainéen est perdu. Le texte grec est perdu aussi. Mais on en a une version éthiopienne, découverte au siècle dernier en Abyssinie, publiée pour la première fois en 1821, à Oxford, rééditée depuis excellemment par M. Dillmann, DasBuch Henoch ùbersetzt und erklàrt, Leipzig, 1853. Au moment où ces lignes s’impriment on signale la découverte, en Egypte, d’une version copte du Livre d’Enoch. Elle doit être publiée prochainement par les membres de l'école française du Caire.

Le Livre d’Enoch a été partagé en cent cinq chapitres répartis en cinq sections, plus un préambule et un épilogue. Première section (ch. vi-xxxvi), récit de la chute des anges et de l’origine de la race des géants ; récit du ravissement d’Enoch au ciel et description de ce qu’il y voit. Deuxième section (ch. xxxvii-lxxi) : trois paraboles, précédées d’un court prologue : visions messianiques et eschatologiques d’Enoch, interrompues par un intermède (ch. lxiv-lxviii) sur les visions de Noé. Troisième section (ch. lxxii-lxxxii) : vision de la physique du monde, explication du mouvement des astres, des vents, etc. Qua trième section (ch. lxxxiii-xci) : vision historique d’Enoch, la succession des règnes et des semaines d’années jusqu'à la réalisation des promesses messianiques. Cinquième section (ch. xcn-cv) : harangue d’Enoch à ses enfants. Fin. — Il y a dans tout ce vaste développement des longueurs, des inégalités et des redites, et nous verrons comment on les explique ; cependant, dans l’ensemble, le Livre d’Enoch est à mettre au-dessus même du Quatrième livre d’Esdras, pour l’intérêt du sujet et pour l'étincelante poésie de l’exécution.

Nous citerons, presque au hasard : « La sagesse n’a point trouvé sur la terre de demeure où reposer sa tête ; c’est pourquoi elle a fait sa résidence dans le ciel. La sagesse est descendue du ciel pour habiter avec les enfants des hommes, mais elle n’a point trouvé de demeure. Alors la sagesse est retournée vers son divin séjour et a pris sa place au milieu des saints anges. Et après sa retraite l’iniquité s’est présentée, et elle a trouvé une demeure, et elle a été reçue par les enfants des hommes, comme la pluie est reçue par le désert, comme la rosée est reçue par une terre desséchée, xlii, 1-2… Le jour du châtiment et de la vengeance ! Eu ce jour-là, je placerai mon élu au milieu des saints, et je changerai la face du ciel, et je l’illuminerai pour l'éternité, et je changerai aussi la face de la terre, xlv, 2-5… Là je vis l’Ancien des jours, dont la tête était comme de la laine blanche, et avec lui un autre, qui avait la figure d’un homme. Cette figure était pleine de grâce, comme celle d’un des saints anges. Alors j’interrogeai un des anges qui étaient avec moi et qui m’expliquaient tous les mystères qui se rapportent au Fils de l’homme. Je lui demandai qui il était, d’où il venait et pourquoi il accompagnait l’Ancien des jours. Il me répondit : Celui-là est le Fils de l’homme, à qui toute justice se rapporte, avec qui elle habite, et qui tient la clef de tous les trésors cachés. Car le Seigneur des esprits l’a choisi de préférence, et il lui a donné une gloire au-dessus de toutes les créatures. Le Fils de l’homme arrachera les rois et les puissants de leur couche voluptueuse ; il mettra un frein aux puissants ; il brisera les dents des pécheurs, etc. xlvi, 1-4… J’eus une vision dans mon lit. Voici un taureau sortant de terre, et ce taureau était blanc. Puis sortit une génisse, et avec elle deux jeunes veaux, dont l’un était noir, et l’autre rouge. Le noir frappa le rouge… Je levai encore les yeux, et je vis le ciel au-dessus de ma tête, et voici qu’une étoile tomba du ciel, et elle se dressait au milieu de ces taureaux, lxxxiv-lxxxv… Je vis encore une brebis, et que cette brebis se faisait homme. Et elle bâtit au Seigneur une bergerie, et elle y établit les brebis qui étaient égarées. Je vis encore tomber une brebis qui était venue au-devant de celle qui était la conductrice des autres. Et je vis enfin périr un grand nombre d’autres brebis, leurs petits grandir à leur place, entrer dans un pâturage nouveau. Et la brebis qui les avait conduites, et qui était devenue homme, se sépara d’elles et mourut. Et toutes les brebis la cherchaient et l’appelaient avec des cris lamentables. » lxxxviii, GO-63.

La question de la composition de cette œuvre puissante a divisé les critiques. Voici le résumé des conclusions qui semblent avoir prévalu. — Le Livre d’Enoch serait une œuvre essentiellement composite et de diverses mains. Tout d’abord un noyau, formé des chapitres xvii-xix, xxi-xxxvi, lxxii-lxxix et lxxxii, et qui serait un livre de physique céleste. En second lieu, une apocalypse proprement dite, formée des chapitres l-xvi, lxxx, lxxxi, lxxxiii-cv, et qui serait un livre de vision historique. En troisième lieu, les trois paraboles des chapitres xxxviilxiii, lxix-lxxi, qui constitueraient plus spécialement une ' apocalypse messianique. Enfin les chapitres lxiv-lxviii, qui forment le « livre des visions de Noé ». Ce sont là les grandes lignes de partage : on ne saurait entrer ici , dans l’analyse des interpolations de détail. Le noyau prij mitif serait d’origine indéterminée ; mais la grande vision i historique, qui s’est adaptée à cet écrit principal, est, .