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AOD


lequel il avait battu les Israélites, à savoir, la partie de la tribu de Benjamin qui avoisinait le Jourdain. Un mot de l'Écriture, Jud., iii, "19, ferait croire qu’il entendait aussi travailler à la conquête religieuse du pays et y faire régner ses faux dieux en attirant à leur culte les habitants.

Au bout de dix-huit ans de ce régime d’oppression, les Israélites se tournèrent vers Dieu et le supplièrent de les délivrer : il leur suscita un sauveur, Aod, qui devait faire périr Églon de sa propre main et mettre ainsi un terme à l’asservissement de son peuple. L'écrivain sacré fait remarquer qu’Aod était ambidextre, c’est-à-dire également habile à se servir de la main droite et de la main gauche, ce qui devait lui permettre d’exécuter plus sûrement et avec plus de facilité le projet qu’il avait formé de tuer le roi de Moab. Cet avantage, si apprécié avant l’invention des armes à feu, était commun dans la tribu de Benjamin : nous voyons au chapitre xxi, 16, de ce même livre des Juges, sept cents hommes de Gabaa ambidextres comme Aod.

Barac, qui ne fut que l’auxiliaire de Débora. Quelle que soit d’ailleurs la moralité intrinsèque de cet acte, on ne peut le juger équitablement qu’en se conformant à cette règle élémentaire de critique historique, trop souvent méconnue quand il s’agit de l’histoire sainte : pour apprécier un fait quelconque, on doit tenir compte des mœurs et des idées régnantes au temps où vivait celui qui l’a accompli. Or les Orientaux ont de tout temps donné la préférence à la ruse sur la force, même quand ils pouvaient recourir à celle-ci avec espoir de succès ; à plus forte raison doivent-ils employer la ruse, quand elle est le seul moyen de réussir : c'était le cas d’Aod. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que les Israélites considéraient les Moabites comme des ennemis campés sur la portion de la Terre Promise qu’ils avaient usurpée par la violence ; leur domination oppressive n'était donc, aux yeux d’Aod et de ses compatriotes, que la continuation de la guerre sous une autre forme. On conçoit dés lors que, pour lui,

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179. — Tributaires apportant le tribut à Sargon, roi d’Assyrie. D’après Botta, Monument de Ntnive, Architecture, pi. 29.

La dix-huitième année de la servitude, il fut chargé par ses compatriotes d’apporter le tribut au roi de Moab, avec un certain nombre d’autres Israélites ; car, selon les usages de l’Orient, il y avait un porteur pour chacun des présents offerts. Sur les bas-reliefs des palais assyriens, on voit de longues files de personnages venant, à la suite les uns des autres, déposer leur offrande aux pieds du puissant souverain de Ninive (fig. 179). Les choses durent se passer à peu près de la même manière à la cour d'Églon. Après la cérémonie, Aod aurait, selon l’hébreu, laissé partir ses compagnons et serait resté dans la ville ou même dans le palais ; mais, d’après la Vulgate, il sortit avec eux de Jéricho, et ils allèrent ensemble jusqu'à Galgala. Là il les quitta, et revint seul à Jéricho pour mettre à exécution le plan qu’il méditait depuis longtemps. Il avait eu soin de placer sous ses habits, à son côté droit, où personne ne pouvait soupçonner la présence d’une arme, une dague qu’il avait fait fabriquer exprés : elle avait deux tranchants, et la garde était longue d’un gôméd. Voir Gôméd. C’est avec cette arme cachée qu’il se présenta devant Eglon. Il avait, disait-il, une communication à lui faire. Le roi fit sortir tout le monde pour l’entendre ; Aod lui dit alors : « J’ai à vous transmettre une parole de Dieu. » A ces mots le roi se leva de son trône par respect ; Aod profita de ce mouvement pour saisir sa dague de la main gauche et la lui enfonça dans le ventre avec tant de force, que la poignée même disparut dans la plaie et fut recouverte par la graisse, car Églon était fort obèse.

Cette action d’Aod, si blâmable qu’elle puisse paraître, ne saurait fournir un motif d’attaquer l'Écriture, qui se borne à rapporter le fait sans le louer ni le blâmer. En nous disant qu’Aod avait été suscité par le Seigneur pour délivrer les enfants d’Israël, elle indique bien qu’il avait reçu de Dieu sa mission ; mais lui soûl est responsable du moyen qu il a choisi pour l’inaugurer. C’est même une chose remarquable que la phrase : « L’Esprit de Dieu fut en lui, le remplit, etc., » ne se lit pas au sujet d’Aod, tandis que nous la trouvons appliquée à tous les autres juges, sauf Abimélech, que Dieu n’avait pas choisi, et

la mort d'Églon fût seulement un épisode de cette lutte et le prélude de la bataille sanglante qui devait la terminer. Il serait facile de montrer par de nombreux faits analogues, celui de Mutius Scœvola par exemple, combien les peuples de l’antiquité admiraient, loin de les blâmer, ces traits de bravoure, dans lesquels ils ne voyaient que l’audace intrépide au service d’un ardent patriotisme.

Aod, sans prendre le temps de retirer son arme, ferma à clef rapidement les portes de l’appartement, et s’enfuit « par la sortie de derrière ». Jud., iii, 24. Ces derniers mots, rapprochés de ce qui est dit au ꝟ. 20, que le roi « était assis seul dans sa chambre d'été », nous l’ont comprendre la facilité avec laquelle Aod put réussir dans une entreprise si hardie et s'échapper sans être vu de personne, parce qu’ils nous mettent en quelque sorte sous les yeux le plan du palais d'Églon. Les habitations offraient souvent, en Orient, une disposition particulière qu’on y retrouve encore fréquemment de nos jours. Elles se composaient de deux maisons : la principale, dar ou bayit, et, attenante à celle-là, une autre plus petite, mais ordinairement plus élevée d’un étage et qu’on appelle, aujourd’hui comme au temps des Juges, 'alhjâh. On y donne l’hospitalité aux étrangers ; le maître y trouve, en tout temps, un lieu tranquille pour s’occuper d’affaires ou s’y reposer et, en été, un séjour plus frais que la grande maison. Elle communique avec le bayit par une porte intérieure et avec le dehors par une autre porte donnant sur un escalier extérieur, qui conduit à l’entrée principale ou bien même directement à la rue. C’est par cet escalier qu’Aod se sauva, après avoir fermé par dedans la porte de communication et par dehors la porte extérieure du 'aliyâh, dans lequel gisait Églon.

Comme il l’avait prévu, les serviteurs du roi, pensant que leur maître avait lui-même fermé la porte, attendirent longtemps sans chercher à pénétrer chez lui ; et lorsque, honteux enfin de cette longue attente, ils ouvrirent, ils le trouvèrent étendu mort parterre. Aod était déjà loin ; le trouble dans lequel cet événement jeta les gens d'Églon servit à assurer encore mieux sa fuite. Il