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Aussi les Apôtres appelèrent-ils πνευματικός, spiritualis, ce qui est surnaturel et caché. Rom., i, 11 ; vii, 14 ; xv, 27 ; I Cor., ii, 15 ; iii, 1 ; ix, 11 ; x, 3, 4 ; xiv, 37 ; Gal., vi, 1 ; Eph., v, 19 ; Col., i, 9 ; iii, 16 ; I Petr., ii, 5. Par opposition, ils nommèrent ψυχικός, animalis, ce qui est conforme à la vie purement naturelle. Jac, iii, 5 ; I Cor., ii, 14 ; Jud., 19. C’est conformément à cette acception que saint Paul qualifie notre corps, tel qu’il est ici-bas, de psychique ou d'animal, et le corps ressuscité des élus de pneumatique ou de spirituel. I Cor., XV, 44, 46.

Aux mots ψυχή et πνεῦμα, les livres de la Bible, écrits en grec, en ajoutèrent un autre qui exprime aussi l’âme, mais n’a point son équivalent en hébreu : c’est le terme νοῦς (traduit dans la Vulgate par sensus, intellectus), qui désigne le principe pensant et s’applique aussi à l’objet pensé. Les Septante s’en étaient servis quelquefois pour traduire les termes lêb et rûaḥ. On le lit dans la Sagesse, iv, 12 ; ix, 15, dans le second livre des Machabées, xv, 8, dans saint Luc, xxiv, 45, dans l’Apocalypse, xiii, 18 ; xvii, 9, et saint Paul l’emploie une vingtaine de fois.

Il résulte de ce qui précède que les termes par lesquels l’Écriture désigne le principe de la vie et de la pensée avaient en même temps d’autres significations assez diverses, et qu’aucun d’eux ne répond exactement à notre mot français âme.

II. Nature de l’âme d’après la Bible.

Nous allons étudier les enseignements de la Bible : 1° sur la distinction de l’âme d’avec le corps ; 2° sur sa spiritualité ; 3° sur ses fonctions ; 4° sur son unité.

Distinction du corps et de l’âme, d’après la Bible.

On ne trouve nulle part dans l’Écriture un exposé didactique de la distinction du corps et de l’âme ; mais cette distinction est supposée ou affirmée, chaque fois que l’occasion s’en présente.

Nous venons de parcourir les termes qui désignent l'âme, dans la langue des Saints Livres, et de voir qu’ils signifient presque tous respiration, souffle ou vent, en même temps que principe de la vie et de la pensée. On en a conclu que les Hébreux regardaient l’âme comme corporelle ; mais cet argument est sans aucune valeur. Le langage humain est, en effet, dans la nécessité de recourir à des images sensibles pour désigner les êtres immatériels et les idées abstraites. Il n’est point de langue où le nom de l'âme n’ait été formé de cette manière. En grec, en sanscrit, les mêmes mots expriment l’âme et le vent, comme en hébreu. Nos termes français âme, esprit, ont pour racine et traduisent les mots latins anima, spiritus, qui ont ces deux acceptions. S’ensuit-il que les Grecs, les Latins et les Français considèrent l’âme comme un être corporel ? Assurément non.

La preuve que les Hébreux distinguaient l’âme du corps, c’est que, tout en admettant leurs rapports, ils les opposent l’un à l’autre comme deux principes nécessaires pour constituer l’homme vivant. Cette opposition est particulièrement marquée dans ce que la Bible nous dit de la création de l’homme, de la mort et de la résurrection des corps.

La Genèse contient deux récits parallèles de la création de l’homme. Le second, ii, 7, marque clairement la distinction de la matière et du principe vital dans l’homme. « Le Seigneur Dieu, dit-il, forma donc l’homme du limon de la terre (voilà la matière), et il souffla sur son visage un souffle (nišmaṭ) de vie (voilà le principe vital, l’âme), et l’homme devint une personne (néféš) vivante (voilà le composé de corps et d’âme). » On a prétendu que le souffle de vie mentionné ici n’était autre que le souffle respiratoire que Dieu communiqua aux narines de l’homme.

II est vrai que le terme hébreu nišmaṭ signifie respiration ; mais il signifie aussi l’âme, principe de vie. Or il ne faut pas oublier le génie particulièrement concret de la langue hébraïque, qui exprime les principes immatériels ou abstraits par leurs effets et leurs signes, et qui ici unit évidemment le principe de la vie donnée à Adam avec ce souffle respiratoire qui en est la condition indispensable et le signe. Le premier récit de la création de l’homme, Gen., i, 27, nous le montre fait à l’image de Dieu pour dominer sur les animaux et s’en servir. Il exprime aussi la supériorité du principe de vie qui est en Adam sur le principe de vie qui est dans les bêtes de la terre ; nous reviendrons tout à l’heure sur ce point.

Ce que les Saints Livres enseignent de la manière dont arrive la mort, établit plus nettement encore la distinction du corps et de l’âme. Ils présentent en effet la mort comme la séparation de ces deux principes, Gen., xxxv, 19 ; Ps. ciii, 29 : du corps qui retourne à la terre d’où il vient, et de l’âme qui retourne à Dieu qui l’a donnée. Eccl., xii, 7. Ils disent qu’au moment de la mort, l’âme est mise à nu, parce qu’elle est dépouillée du corps, son vêtement. Is., liii, 12 ; Job, iv, 19 ; II Cor., v, 3.

Enfin la même distinction s’affirme quand l’Écriture nous montre la résurrection des morts s’opérant par le retour de l’âme dans le corps. « Lorsque, dans sa célèbre vision des ossements arides, Ézéchiel, xxxvii, eut prophétisé sur eux une première fois, remarque M. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édition, t. iii, p. 113, les corps reprirent leur forme primitive. Rien n’y manquait, nerfs, chair, peau, excepté la vie, parce que l’âme (rûaḥ) n’était pas en eux. Par ordre de Dieu, il prophétisa une seconde fois. Alors l’âme vint animer ces corps, et ils vécurent de nouveau et ils reçurent le mouvement. Saint Luc racontant la résurrection de la fille de Jaïre dit en termes analogues : « À la voix de Jésus, son « âme (πνεῦμα) retourna en elle. » Luc, viii, 55. » D’ailleurs, le corps (bâšâr) est souvent opposé à l’âme dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nous y lisons, par exemple : « Le corps (bâšâr) souffre, et l’âme (néféš) s’afflige. » Job, xiv, 22. « Mon âme (lêb) se réjouit, mon corps (bâšâr) se repose en assurance. » Ps. xv, 9.

Spiritualité de l’âme suivant la Bible.

La spiritualité de l’âme n’est point la même chose que sa simplicité et sa distinction d’avec le corps. La spiritualité consiste en ce que l’âme peut exercer des opérations intellectuelles, se déterminer librement et vivre indépendamment d’un corps. Pour qu’une âme soit spirituelle, il faut qu’elle soit simple et distincte de la matière ; mais de ce qu’une âme est simple et distincte de la matière, il ne s’ensuit pas qu’elle soit spirituelle. En effet, les âmes des bêtes sont simples, suivant la doctrine de saint Thomas d’Aquin. Néanmoins elles ne sont point spirituelles, parce qu’elles sont incapables d’opérations à proprement parler intellectuelles, et qu’elles ne sont point immortelles.

La Bible enseigne-t-elle la spiritualité de l’âme ? Elle n’expose point cette spiritualité en termes philosophiques ; mais elle l’affirme de plusieurs manières. Nous verrons bientôt que la Bible attribue à l’homme l’intelligence, la liberté, la survivance après la mort, toutes choses qui équivalent à affirmer sa spiritualité. Nous avons vu même qu’elle met en opposition le néféš, qui est commun aux animaux et à l’homme, et le rûaḥ, qui est présenté en ces passages comme propre à l’homme, § I. Si le texte de l’Ecclésiaste, iii, 21, où le rûaḥ est affirmé des animaux fait difficulté, il est sur que ce mot, accompagné de déterminatifs qui expriment l’intelligence, ne s’applique jamais qu’à l’homme. Job, xx, 3 ; cf. xxxii, 8. Ce qui suffit pour notre démonstration.

Quoique l’Écriture accorde aux bêtes une âme capable de quelque connaissance (voir § i), elle représente l’homme comme ne trouvant parmi les bêtes aucun être qui lui ressemble, comme possédant en lui un principe de vie qui n’est point dans les animaux et en vertu duquel il est destiné à les dominer et à s’en servir. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les trois premiers chapitres de la Genèse. Or ce principe, qui est le privilège exclusif de l’homme, ne saurait être qu’une âme spirituelle.

Enfin la spiritualité de cette âme est mieux marquée encore, s’il se peut, par la ressemblance qui lui est attri-