Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/218

Cette page n’a pas encore été corrigée
307
308
AIGUILLE — AIGUILLON


piétons, mais où il était impossible on au moins très difficile aux chameaux de passer. Ces interprétations sont inadmissibles. Le proverbe est exprimé sans doute avec l’emphase de l’hyperbole orientale, mais l’exagération s’explique plus naturellement qu’ailleurs dans un proverbe. Ce qui confirme incontestablement la version ordinaire, c’est qu’on lit unesentence analogue dans le Talmud, Berach., 55 b, avec cette seule différence que le chameau est remplacé par un éléphant. Dans le Koran, ch. viii, 38, nous trouvons aussi le proverbe évangélique : « Ils n’entreront pas dans le paradis tant qu’un chameau ne passera pas par le trou d’une aiguille. » Cf. Matth., xxiii, 21, l’expression également hyperbolique : « avaler un chameau. » Notre-Seigneur indique par ces paroles la difficulté très grande qu'éprouvent les riches à se détacher des biens de ce monde. Cf. Matth., xix, 21-23.

L’aiguille n’est pas nommée expressément dans l’Ancien Testament ; mais, d’après plusieurs commentateurs, il en est question indirectement, parce que, d’après eux, le participe présent rôqêm, Exod., xxvi, 36 ; XXVii, 16 ; xxviii, 39 ; xxxvi, 37 ; xxxviii, 18, signifie un ouvrier qui brode à l’aiguille, et le substantif riqmâh, Jud., v, 30 ; Ps. xlv (Vulg. xliv), 15 ; Ezech., xvi, 10, 13, 18 ; xxvi, 16 ; xxvii, 16, une broderie faite à l’aiguille. Il est certain que la broderie à l’aiguille était connue des Égyptiens, et devait l'être aussi par conséquent des Hébreux. Les Septante ont ainsi compris les passages cités, car ils traduisent : tîj itoixiXta xoO pacpiSEVToû, Exod., xxvii, 16 ; xxxviii, 23. Cf.'Gesenius, Thésaurus linguse hebrmm, p. 1310. Cette explication paraît préférable à celle de Josèphe, qui dit que la variété des couleurs dans les rideaux du tabernacle était produite au moyen d’un métier à tisser. Ant. jud., III, vi, 4. Voir Broderie. L’Ancien Testament parle aussi de la couture, ce qui suppose également l’usage des aiguilles. Voir Couture.

F. Vigouroux.

AIGUILLON désigne : I. Le long et solide bâton muni d’une pointe à son extrémité, dont on se sert en certains pays, plutôt que du fouet, pour conduire et exciter les bœufs surtout en labourant. La Palestine était autrefois

[[File: [Image à insérer] |300px]]
61. — Aiguillon égyptien. D’après Wililnson.

et est encore aujourd’hui un de ces pays. Les voyageurs modernes l’ont d’autant plus facilement remarqué, qu’il y a disproportion étrange, d’une part, entre l’attelage de très petite taille, la charrue rudimentaire, et d’autre part, entre le grand aiguillon dont la main du laboureur est armée. En 1697, un voyageur attentif, sir H. Maundrell, Voyage cPAlep à Jérusalem, édit. fr., Utrecht, 1705, p. 186-187, notait ainsi l’observation qu’il avait faite, en allant de Jérusalem à Naplouse, dans sa première journée de marche (15 avril) : « La campagne étoit remplie de gens qui labouroient la terre pour semer du coton. Nous observâmes qu’en labourant ils se servoient d’aiguillons d’une grandeur extraordinaire. J’en mesurai plusieurs, qui avoient environ huit pieds de long et six pouces de tour au gros bout. Ils étoient armez au petit bout d’une pointe pour faire aller leurs bœufs, et à l’autre d’une petite bêche ou ratissoire de fer, forte et massive pour ôter de la chaîne la claye qui l’empêche de travailler. Ne pourroit-on pas conjecturer de cela que ce fut avec un instrument pareil que Samgar fit le prodigieux massacre dont il est fait mention au livre des Juges, chap. iii, y. 31 ? Au moins

je suis persuadé que ceux qui verroient ces sortes i’instruments, les jugeront plus propres à faire une exécution de cette nature qu’une épée. L’on s’en sert toujours en ce païs là aussi bien que dans la Syrie. Je crois que c’est parce qu’il n’y a qu’une personne à conduire les bœufs et à prendre soin de la charuë, de sorte qu’il est nécessaire qu’elle ait un instrument pareil pour servir à deux usages. »

Reste à savoir si l’usage de tels aiguillons est ancien en

[[File: [Image à insérer] |300px]]
62. — Aiguillon actuellement employé en Palestine.

Palestine, et s’il peut en effet expliquer le texte difficile des Juges. Pour résoudre la question, examinons d’abord les passages les plus clairs pour déterminer ensuite plus facilement le sens des passages obscurs. Or 1° que l’usage soit ancien en Palestine, c’est ce que montre Eccli., xxxviii, 25, qui déjà nous reporte au me siècle avant notre ère. La vue du fellah actuel, labourant, armé de son aiguillon, est le vivant commentaire de ce passage, si malmené dans nos traductions. Le Siracide explique que, pour acquérir la sagesse, il faut des loisirs que ne laissent pas les travaux manuels. Son énumération commence par le laboureur. « Comment pourra-t-il devenir sage celui qui tient la charrue et qui, fier de son bâton à pointe, excite les bœufs ? » u <ro91<r8TJ<reTai 6 xpatwv àporpov, xai xaux^Evo ; èv 86pati xévrpou, p6° c IXâuMiov (dans la Vulgate, ꝟ. 25 b -26, la coupure actuelle du verset rend la phrase inintelligible ; il faudrait lire avec interrogation : « Quâ sapientiâ replebitur qui tenet aratrum et qui gloriatur in jaculo stimulo boves agitât…? » Elle a suivi la leçon de quelques manuscrits grecs, tels que le Codex Alexandrinus : h SApceri xévTpu). Nous sommes ramenés au même usage par la phrase à tournure proverbiale : « Il t’est dur de regimber contie l’aiguillon, » npb ; xe’vtpa XaxtiÇeev. Act., xxvi, 14 (Act., ix, 5, ce même membre de phrase se lit dans le texle grée irdinaire et dans notre Vulgate ; mais il ne se trouve pas dans les anciens manuscrits, et peut n'être qu’une addition introduite pour conformer le texte au passage parallèle du chap. xxvi).

2° Les anciennes versions s’accordent à traduire par aiguillon l’hébreu dorbôn, dans Eccle., XII, 11, où les paroles des sages sont comparées à des aiguillons (pluriel, dorbônôt), sans doute parce qu’elles doivent s’enfoncer dans l’espri^ des hommes et les stimuler (Septante : tlç ti po’jxevTpot ; Vulgate : sicut stimuli ; l'étymologie de la racine drb, d’après l’arabe et l'éthiopien, confirme la signification de pointe, objet aigu). Dans I Sam., xlil, 21, le seul autre passage où se trouve l’expression dorbân (avec terminaison différente : an au lieu de on), nous devons donc traduire de même, comme l’a fait saint Jérôme. L’auteur peint la triste situation des Hébreux tellement asservis aux Philistins, qu’on ne leur permet aucun travail sur le fer ; ils doivent recourir à leurs oppresseurs pour réparer leurs instruments agricoles, même « pour appointer l’aiguillon » (avec l’article, haddorbân ; Vulgate : usque ad stimulum corrigendum. Les Septante, qui ont méconnu le sens général de toute la phrase, ont traduit par Splratvov, conduits sans doute par l’analogie de son : dorbân — 8pÉratv-ov).

3° Si les Philistins faisaient peser sur les Hébreux une telle contrainte, c’est qu’ils craignaient sans doute que l’aiguillon ne devînt une arme redoutable entre leurs mains. L’exploit de Samgar, arrivé quelque temps auparavant et brièvement raconté, Jud., iii, 31, expliquerait cette crainte. « Ensuite fut Samgar, fils d’Anath, et il frappa les Philistins, six cents hommes, avec un aiguillon à boeuf, be-malmad hab-bâqâr. » La Vulgate rend toute la locution par un seul mot : vomere, « avec un soc de charrue ; » l’expression hébraïque malmad ne se rencontrant pas ailleurs dans