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ADAM (PALÉONTOLOGIE)

scientifique que tint cette année à Blois l’Association française pour l’avancement des sciences.

Cette découverte, aujourd’hui presque universellement abandonnée, est de beaucoup la plus sérieuse de celles qui ont été produites en faveur de l’existence de l’homme ou de son ancêtre plus ou moins simien à l'époque tertiaire. M. de Mortillet, qui persiste à la considérer comme probante, en invoque cependant deux autres à l’appui de sa thèse, celles qu’ont faites MM. Rames et Bibeiro, le premier à Aurillac (fig. 29), le second à Otta, près de Lisbonne (fig. 30). Là encore il s’agit de silex qu’on soupçonne d'être travaillés ; mais cette fois le doute ne porte plus seulement sur la taille du silex, il porte aussi sur leur authenticité, ou même sur l'âge des terrains d’où ils sont censés provenir. Aussi les savants sérieux s’en désintéressent-ils de plus en plus.

On remarquera que pas un ossement de l'être intelligent, — homme ou animal, — qu’on dit avoir taillé ces silex, n’a jamais été rencontré. M. de Mortillet le reconnaît. Cela ne l’empêche pas d’affirmer sa foi à l’Anthropopithèque tertiaire ; car dans sa pensée il ne s’agit pas de l’homme proprement dit, mais d’un anthropoïde quelconque, qui fut son précurseur. Il va même jusqu’à admettre trois espèces d’Anthropopithèques, correspondant aux trois localités où l’on prétend avoir trouvé ses œuvres.

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29. — Silex tertiaires trouvés près d’Aurillac.

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30. — Silex tertiaires trouvés près de Lisbonne.

À ces espèces, hypothétiques au premier chef, il a donné les noms des trois inventeurs : de là les Anthropopithecus Bourgeoisii, Ramesii et Riberoii. Après quoi, fier de sa découverte, que personne assurément ne songera à lui contester, il se compare triomphalement à Leverrier, « découvrant sans instrument, rien que par le calcul, une planète ! »

Force nous est d’ajouter que M. de Quatrefages adopte en partie les vues de M. de Mortillet. Comme lui, il persiste à croire à la taille intentionnelle des silex de Thenay ; mais cette taille, il l’attribue à l’homme lui-même, non à son prétendu précurseur, dont il n’admet pas l’existence. Il se trouve ainsi entraîné à reporter l’apparition de notre espèce à une date excessivement reculée, qu’il est impossible de fixer même approximativement, mais qui est évidemment inconciliable avec les données bibliques.

Il faut dire que si l’autorité de M. de Quatrefages est grande en anthropologie proprement dite, elle est très faible en archéologie préhistorique. Le savant professeur n’a suivi que de loin le progrès des idées en cette matière. Il est de ceux qui se sont laissé influencer par l'éloquence et l’accent de conviction de l’abbé Bourgeois, et, une fois son opinion faite, il n’a pu se résigner à en changer. Son témoignage ne saurait infirmer l’opinion contraire des spécialistes, qui pour la plupart nient formellement aujourd’hui ce qu’ils affirmaient hier, à savoir, l’existence de l’homme ou de son précurseur à l'époque tertiaire, et proclament tout au moins l’insuffisance absolue des preuves apportées jusqu’ici à l’appui de cette thèse. (Pour plus de détails, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à ce que nous avons écrit sur cette question dans la Revue des questions scientifiques, t. v, p. 36 et 361 ; dans La controverse, novembre et décembre 1884, et aussi dans le Dictionnaire apologétique de la foi chrétienne, 1889, art. Anthropopithèque et lertiaire. — Voir aussi le récent travail de M. Adrien Arcelin sur le même sujet dans le Compte rendu du premier congrès scientifique international des catholiques [1888], et aussi dans la Revue des questions scientifiques, janvier 1889.)

L’homme tertiaire étant hors de cause, reste l’homme quaternaire. L’existence de ce dernier n’est pas contestable. Dire que l’homme a vécu à l'époque quaternaire, c’est tout simplement, en effet, reconnaître qu’il a été le contemporain de certaines espèces animales caractéristiques de cette époque, telles que le mammouth (Elephas primigenius) (fig. 31), le rhinocéros à narines cloisonnées (Rh. tichorrhinus) (fig. 32), l’ours des cavernes (Ursus spelæus), le cerf à bois gigantesques (Cervus megaceros) (fig. 33), et même le renne (Cervus tarandus), qu’on ne trouve plus aujourd’hui que dans les régions boréales, mais qui alors habitait nos régions tempérées. Or les restes de ces animaux ont été rencontrés si souvent, soit avec des ossements humains, soit avec les grossiers produits de l’industrie des premiers habitants de nos contrées, qu’on ne peut aujourd’hui émettre un doute sur la contemporanéité des uns et des autres. L’homme fossile, auquel les écrivains orthodoxes ont longtemps fait la guerre, est donc une réalité. L'époque quaternaire étant rangée à tort ou à raison parmi les temps géologiques, tous les débris organiques qui s’y rattachent méritent d'être qualifiés fossiles, et ceux de l’homme ne font point exception à cette loi.

Seulement, hâtons-nous de le dire, admettre que l’homme existe à l’état fossile, en d’autres termes, qu’il a vécu à l'époque quaternaire, ce n’est point, à nos yeux, sortir du cadre de la chronologie traditionnelle. Tout prouve, en effet, que les animaux qui caractérisent l'époque quaternaire ont vécu, au moins par endroits, jusqu'à une date toute récente, voisine de l'ère chrétienne. À défaut de l’histoire, absolument muette sur notre pays si l’on remonte seulement au delà de vingt siècles, l’archéologie sérieusement consultée suffirait pour nous en convaincre. Mais cet examen nous entraînerait trop loin.

Observons seulement en passant que les restes du mammouth ont été rencontrés en Angleterre aussi bien que chez nous dans des formations récentes, par exemple, dans des dépôts tourbeux, qu’il est d’usage de rattacher à l'époque actuelle ; qu’on a trouvé cet animal en Sibérie en un tel état de conservation, que des chiens ont pu se nourrir de sa chair ; que l'éléphant, mammouth ou autre, existait encore dans le nord de l’Afrique et dans la région de Ninive aux époques historiques, et qu’un de nos chroniqueurs, Parthenopex de Blois, dont l’autorité est contestable, il est vrai, va jusqu'à le signaler parmi les bêtes qui hantaient jadis nos forêts. L’ours des cavernes peut lui-même être confondu avec des ours d’une taille extraordinaire, que nous trouvons signalés à ce titre dans des documents du moyen âge. Il n’est pas contestable, en tout cas, qu’on ait rencontré parfois ses débris associés à ceux des espèces actuelles, sinon à ceux de nos animaux domestiques.

En ce qui concerne le renne, nous avons mieux que des données archéologiques ou des probabilités historiques. César nous décrit, en effet, cet animal comme ayant vécu, sans doute de son temps, dans la forêt Hercynienne, c’est-à-dire sur les bords du Rhin. « Il y a là, dit-il, un bœuf ressemblant à un cerf (Bos cervi figura), portant au milieu du front, entre les oreilles, une corne unique, plus