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ADAM (PALÉONTOLOGIE)

Darwin relatives à l’identité des maladies qui atteignent l’homme et l’animal, et à l’identité des remèdes qui les guérissent. Pour s'étonner de ces traits de ressemblance, il faudrait oublier que tous les êtres organisés ont été créés suivant un même plan général, et obéissent aux mêmes lois physiologiques.

2° L’argument puisé dans le développement embryonnaire nous touche peu. Il est vrai que l’homme débute par un ovule, comme tous les animaux ; si l’on en croyait Hæckel, l’embryon humain, en se développant, serait même tour à tour zoophyte, poisson, batracien, reptile et mammifère ; mais ces prétendus états successifs sont plus que contestables, et, s’ils étaient réels, ils seraient sans portée au point de vue de l’origine de l’homme.

D’abord ils sont contestables. Il ne suffit pas, en effet, que Hæckel les affirme pour que nous en soyons convaincu. Nous savons que la bonne foi n’est pas la qualité dominante du naturaliste d’outre-Rhin. Il est aujourd’hui avéré que, pour rendre plus frappante la ressemblance des embryons de l’homme et de l’animal, il a altéré gravement les dessins qui ont la prétention de les représenter dans l’un de ses livres. Il y a longtemps qu’on en a fait l’observation en Allemagne. À son tour, le docteur Jousset constate « une énorme différence » entre l’embryon humain figuré dans son livre et celui qui est représenté dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Il ajoute que l’embryon du poulet, qu’il rapproche du précédent, présente un développement et des « bourgeons rudimentaires » qu’il n’a point en réalité, mais qui ont pour résultat d’accentuer sa ressemblance avec l’embryon humain. » Évolution et darwinisme, p. 112. On voit si nous avons nos raisons pour ne pas croire sur parole le professeur d’Iéna !

Au jugement des naturalistes les plus compétents, les similitudes invoquées sont purement illusoires. Qu’il y ait certaines analogies entre les états successifs que revêt l’embryon et les divers groupes de la série animale, nous ne songeons point à le contester, et c’est chose toute naturelle, puisque dans l’un et l’autre cas il y a progrès du simple au composé ; mais de l’analogie à une complète ressemblance il y a loin. « À aucun moment de son existence, enseigne un célèbre anatomiste, Gratiolet, l’homme ne ressemble à une autre espèce… À toutes les époques de la vie fœtale, l’homme est homme en puissance, des caractères définis le distinguent. » Anatomie comparée du système nerveux, p. 251. « Les formes de l’embryon ont un rapport admirable avec les formes futures, dit le même anatomiste ; elles se compliquent, il est vrai, mais suivant un mode spécifique ; à toutes les époques, en un mot, l’homme futur se devine… Une différence fondamentale distingue notamment les formes primitives de l’encéphale de l’homme à l'état d’embryon de celles que présentent les animaux inférieurs arrivés à leur terme définitif ; elle consiste dans ces incurvations particulières à l’axe nerveux du capuchon céphalique de l’embryon… À aucune époque, le cerveau de fœtus humain n’est absolument semblable à celui d’aucun singe, loin de là ; il en diffère d’autant plus qu’on se rapproche davantage du moment où ses premiers plis apparaissent. » Ibid., p. 248, 253.

Bien que ce soient là des faits et non de pures impressions personnelles, on pourrait objecter que Gratiolet s'était laissé influencer par ses préjugés favorables à la fixité de l’espèce et à la supériorité de la nature humaine. On ne fera pas le même reproche à Cari Vogt, un des coryphées de l'évolutionnisme et de la libre pensée ; or Carl Vogt proteste plus énergiquement encore que Gratiolet contre les prétendues similitudes de l’embryon humain et des animaux inférieurs. « On a supposé, dit-il, que les embryons doivent parcourir en abrégé les mêmes phases qu’a parcourues la souche pendant son développement à travers les époques géologiques. Cette loi, que j’avais crue bien fondée pendant longtemps, est absolument fausse par sa base. Une étude attentive de l’embryogénie nous montre, en effet, que les embryons ont leurs harmonies relatives à eux, bien différentes de celles des adultes. » Comme exemple, le professeur de Genève cite la prétendue forme de poisson que revêt transitoirement l’embryon du mammifère, et il remarque qu' « un être pareil n’aurait pu vivre », attendu que l’embryon n’a dans cet état « ni intestins, ni organes locomoteurs, ni cerveau, ni organes des sens propres à exercer leurs fonctions ». Revue scientifique, 16 octobre 1886.

Ceux donc qui ont prétendu que l’embryon humain représente tour à tour les divers groupes de la série animale, en commençant par l’embranchement des zoophytes, ont été le jouet de leur imagination. Sans doute, il y a progrès dans la vie fœtale ; par suite, il y a passage par une série de phases qui ne sont pas sans rappeler l'échelle ascendante qu’on remarque dans la nature ; mais jamais l'être humain ne ressemble identiquement à un autre être. Du reste, si telle était la réalité, on se demande ce que cela prouverait au point de vue de l’origine de l’homme. Quel rapport nécessaire y a-t-il donc entre ces états transitoires et les prétendues phases par lesquelles notre espèce aurait passé antérieurement ? On serait d’autant moins autorisé à conclure des uns aux autres, que, de l’aveu d’un transformiste qui est en même temps un éminent géologue, M. Albert Gaudry, « la paléontologie, qui doit être interrogée tout d’abord en pareille matière, n’est pas loin d’avoir fait la preuve que le mammifère ne descend point du reptile, ni le reptile du poisson. »

3° Les organes rudimentaires nous retiendront moins longtemps. On peut dire de ces organes ce que nous avons dit des prétendues phases embryonnaires : ils n’ont ni l’importance ni la signification qu’on leur attribue. Leur présence chez l’homme s’explique par cette simple considération que tous les êtres organisés sont soumis aux mêmes lois physiologiques.

L’argument qu’on nous oppose a le défaut de trop prouver. Les organes rudimentaires sont si nombreux et de nature si diverse chez l’homme, ils se rapprochent à cet égard de tant d’animaux chez qui ils ont leur complet développement, que, s’ils supposaient une identité d’origine, il faudrait en conclure que l’homme a passé antérieurement par toutes les classes de l’embranchement des vertébrés. Or qui croira, par exemple, qu’il compte des oiseaux parmi ses ancêtres, parce qu’il possède à l'état embryonnaire leur membrane nictitante ? On aboutirait à des conséquences plus étranges encore, si l’on s’obstinait à voir dans ces rudiments un reste d’organes développés et utilisés dans un état antérieur. Les mamelles atrophiées que possèdent les mâles dans la classe des mammifères sont au premier chef des organes rudimentaires, et les plus saillants de tous. Faudra-t-il donc en conclure que les mâles ont jadis été des femelles ? Ces rudiments d’organes sont communs chez les animaux, et jusqu’ici l’idée n'était pas venue d’y voir des vestiges d’un état antérieur. C’est ainsi que l’embryon de la baleine possède des dents qui ne parviennent pas à percer les gencives. Il en est de même des incisives dont est muni le veau à l'état fœtal. Est-ce à dire que la baleine et le bœuf aient passé par des états antérieurs où ils avaient les dents qui leur manquent aujourd’hui ? Les transformistes eux-mêmes oseraient à peine l’affirmer.

La perforation olécranienne de l’humérus alléguée par Darwin n’a point, en tout cas, la signification que lui attribue le naturaliste anglais. De l’aveu d’un anthropologiste peu suspect, M. Georges Hervé, elle ne peut être considérée comme un caractère simien propre à certaines races inférieures. « On la rencontre aussi souvent parmi les races supérieures que parmi les inférieures, et son existence est tout aussi variable chez les animaux, » Dictionnaire des sciences anthropologiques, article Homme. Le même auteur observe ailleurs, Précis d’anthropologie, p. 290, que cette perforation est beaucoup plus rare dans