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ADAM (PALÉONTOLOGIE)

chez l’homme et chez les singes, et combien le système nerveux entier est similairement affecté. »

Deuxième objection. — « L’homme se développe d’un ovule qui ne diffère en rien de celui des autres animaux. L’embryon lui-même, à une période précoce, peut à peine être distingué de celui des autres membres du règne des vertébrés. » En preuve de ce qu’il avance, Darwin donne une double figure représentant l’embryon de l’homme et celui du chien, lesquels ne diffèrent guère que par le développement inégal de certaines parties.

Le naturaliste anglais ajoute, — et ses disciples ont insisté plus encore que lui sur cet argument, — que l’embryon humain présente des analogies successives des plus marquées, au fur et à mesure de son développement, avec diverses classes d’animaux, en commençant naturellement par les inférieures.

Troisième objection. — Les organes appelés rudimentaires, ou simplement rudiments, par Darwin sont des organes inutiles et généralement peu développés, dont la présence ne s’explique, d’après lui, que parce que l’homme en a hérité d’ancêtres chez qui, au contraire, ils étaient développés et avaient leur raison d'être. Plusieurs muscles seraient dans ce cas, entre autres ceux qui chez les animaux servent à mouvoir l’oreille externe, et qui chez les orangs et les chimpanzés sont déjà hors d’usage et atrophiés. La troisième paupière ou membrane nictitante, qui permet aux oiseaux de recouvrir rapidement le globe de l'œil, existe également à l'état rudimentaire chez l’homme, ainsi que chez les quadrumanes et la plupart des mammifères. On pourrait en dire autant de l’odorat, qui rend de si grands services à certains animaux, soit en les avertissant du danger (ruminants), soit en leur permettant de découvrir leur proie (carnivores), et qui chez l’homme est presque sans usage. Les poils éparpillés sur le corps de l’homme, le duvet laineux dont le fœtus humain est entièrement recouvert au sixième mois, seraient également un reste du tégument pileux des animaux dont nous dérivons. L’appendice vermiforme du cæcum, espèce de cul-de-sac aujourd’hui sans utilité, nuisible même, puisqu’il est la cause de quelques maladies, serait aussi un vestige et un témoin du même organe, très développé cette fois, qui existe chez certains mammifères herbivores, où il a sa fonction à remplir. Le squelette nous fournit des faits de même nature, soit dans l’os coccyx, qui représente chez nous la queue des mammifères, soit dans une perforation qu’on rencontre accidentellement dans l’humérus humain, surtout chez les races anciennes, et qui existe normalement chez le singe. Pour comprendre ces anomalies, « il suffit, dit Darwin, de supposer qu’un ancêtre reculé a possédé les organes en question à l'état parfait, et que, sous l’influence d’un changement dans les habitudes vitales, ils ont tendu à disparaître par défaut d’usage ou par suite de la sélection naturelle ». La descendance de l’homme, t. I, p. 32.

Réponse. — Nous avons résumé aussi fidèlement que possible, et sans rien leur ôter de leur force, les arguments que Darwin apporte à l’appui de la théorie transformiste appliquée à notre espèce ; nous n’avons point l’intention d’y répondre en détail. L’espace nous manque pour le faire, et ce serait chose assez inutile. Nos lecteurs ont dû se dire, en effet, en parcourant ce rapide exposé, qu’il n’y avait rien là de bien nouveau, que la ressemblance physique de l’homme avec l’animal était chose connue depuis longtemps, et de nature à faire ressortir encore davantage l’infinie supériorité de l'âme humaine, puisque, avec des organes presque semblables, notre espèce s’est élevée à une immense hauteur au-dessus de la bête. Un mot cependant sur chacun des groupes d’arguments invoqués par Darwin.

1° D’abord, le naturaliste exagère à dessein notre ressemblance extérieure avec l’animal. Anatomiquement, l’homme est un mammifère, et rien de plus ; il y a longtemps que nous le savions. « Encore que nous ayons quelque chose au-dessus de l’animal, avait dit Bossuet, nous sommes animaux. » Chaque os de notre squelette a son analogue dans le squelette du singe. Il n’en est pas moins vrai que tous ces os ont leur caractère propre, leur facies, qui permettra à un anatomiste expérimenté de les reconnaître à première vue. Et ce n’est là que le moindre des traits physiques qui nous distinguent. Seul parmi les mammifères, l’homme est organisé pour l’attitude verticale ; seul il est à la fois bimane et bipède. Sa dentition et la nudité de sa peau le distinguent encore du singe, dont les canines sont de véritables défenses, et dont la peau est remarquablement velue, surtout à la partie dorsale, qui chez nous est la plus dépourvue de poils. Comment expliquer, — pour le dire en passant, — le fait de la disparition de ce tégument pileux, qui, suivant les transformistes, eût protégé notre ancêtre contre l’intempérie des saisons ? La doctrine darwiniste prétend expliquer, il est vrai, l’acquisition des variations utiles ; mais on reconnaîtra que celle-ci n’est point du nombre. Cette nudité est si peu un progrès pour l’homme, que sous tous les climats il se croit obligé d’y suppléer par l’usage des vêtements. Logiquement, Darwin aurait dû faire descendre le singe de l’homme plutôt que l’homme du singe.

C’est bien à tort aussi qu’il cherche dans le cerveau un argument à l’appui de sa théorie. Le poids du cerveau, comparé à celui du corps, est trois lois plus considérable chez l’homme que chez le singe. Les circonvolutions sont également plus profondes, et, chose remarquable, les circonvolutions se développent dans un ordre inverse dans les deux cas. Chez nous, elles apparaissent d’abord sur le front, tandis que chez le singe celles du lobe moyen se dessinent en premier lieu. Les darwinistes n’ont pu encore expliquer cette anomalie, qui dénote une origine toute différente. « Il est évident, surtout d’après les principes les plus fondamentaux de la doctrine darwiniste, observe M. de Quatrefages, qu’un être organisé ne peut descendre d’un autre être dont le développement suit une marche inverse de la sienne propre. Par conséquent, l’homme ne peut, d’après ces mêmes principes, compter parmi ses ancêtres un type simien quelconque. » L’espèce humaine, p. 81.

Il est permis après cela de négliger les autres traits caractéristiques de notre espèce. Il faut croire néanmoins qu’ils sont bien accusés, puisque Cuvier et les autres naturalistes, qui dans le classement général des êtres n’ont tenu compte que des caractères extérieurs, ont été entraînés à faire de l’homme non seulement un genre, mais tout au moins une famille, même un ordre à part. Est-il dans la nature un seul autre être duquel on puisse en dire autant ?

Cette simple observation me semble constituer une réponse suffisante à ceux qui, dans notre camp comme dans le camp adverse, prétendent qu’on ne peut, sans manquer à la logique, appliquer le transformisme aux animaux sans l'étendre à l’homme lui-même. Tous les animaux sont reliés d’assez près les uns aux autres, surtout depuis que la paléontologie est venue, en associant les espèces fossiles aux espèces actuelles, combler un grand nombre de lacunes qui existaient jusque-là dans la série générale des êtres. Peu d’espèces constituent à elles seules autant de genres distincts, et celles qui sont dans ce cas s’associent à d’autres genres pour former des familles, et à des familles pour former des ordres. Seul l’homme fait exception à cette règle, et, nous le verrons, la paléontologie n’a fait que confirmer son isolement. Que serait-ce si nous prenions en considération ses facultés intellectuelles ! Alors ce ne serait plus seulement une famille ou un ordre isolé qu’il constituerait, mais bien un règne, puisque la raison, qui le distingue, ne l'élève pas moins au-dessus de l’animal que la sensibilité, qui distingue ce dernier, ne l'élève au-dessus de la plante.

Nous jugeons inutile de relever les considérations de