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ACTES APOCRYPHES DES APOTRES

Le patriarche Photius (ixe siècle) en avait encore un exemplaire, qu’il décrit dans son Myriobiblon, Cod. 114, t. ciii, col. 389, sous le titre de Αἰ τῶν Ἀποστόλων ; il appelle l’auteur Leucius Charinus ; ledit exemplaire contenait les Acta de Pierre, Jean, André, Thomas et Paul. C’étaient bien les nôtres, et dans leur intégrité. Photius les condamne fortement, comme une œuvre entachée de docétisme, de dualisme et d’encratisme. Cette même collection existait en latin, et une lettre de Turribius, évêque d’Astorga, écrite vers 447, nous signale ces mêmes Actes d’André, de Jacques et de Thomas, « specialiter illos qui appellantur sancti Joannis, quos sacrilego Leucius ore conscripsit, » comme très répandus parmi les Priscillianistes. S. Leonis epistolæ, xv bis, 5, t. liv, col. 694. Saint Augustin nous témoigne, en plusieurs occasions de ses polémiques contre les manichéens, que cette même collection des Actes de Pierre, Jean, André, Thomas et Paul, était en grande faveur dans la secte, et y circulait toujours sous le nom de Leucius, t. xlii, col. 539. Le décret dit du pape Gélase, et qui est du commencement du vie siècle, les condamne en ces termes : « Libri omnes quos fecit Leucius, discipulus diaboli, apocryphi. » Mansi, Concil., t. viii, p. 150. Il n’est pas prouvé que saint Épiphane ait connu la collection, encore qu’il cite tous ces Acta individuellement ; mais il connaissait le nom de Leucius, et il fait de ce personnage un disciple de l’apôtre saint Jean, lequel aurait avec l’apôtre combattu les ébionites. Hær. li, t. xli, col. 897. Fictif ou non, ce personnage est celui à qui sont attribués les Acta S. Johannis. Il ne paraît pas que les autres Acta aient à l’origine porté le nom de Leucius, ni non plus qu’ils soient sortis d’une même officine, encore que leur théologie appartienne à une même époque et à un même milieu asiatique.

V. Acta S. Pauli et S. Theclæ. — Ils ont été publiés en grec pour la première fois par Grabe, Spicilegium sanctorum Patrum, 1714, 1. 1, p. 95-144 ; puis par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 40-63. M. Wright en a publié une version syriaque, Apocryphal Acts of the Apostles, t. ii, p. 116-145. Ces Acta, soit grecs, soit syriaques, paraissent n’être qu’une édition catholique expurgée des Acta primitifs. Peu de personnages des premiers temps du christianisme ont eu dans l’ancienne Église une renommée comparable à celle de Thècle ; elle est tenue pour la première femme martyre, et mise sur le même rang que saint Etienne dès le iiie siècle (ainsi Cyprien d’Antioche, Méthodius, Eusèbe, saint Épiphane, saint Isidore de Péluse, etc.). Au ive siècle, on montrait son martyrium aux portes de Séleucie d’Isaurie, S. Silviæ aquitanæ peregrinatio, édit. Gammurrini, Rome, 1887, p. 73-74, au même titre que l’on montrait celui de saint Thomas à Édesse, ibid., p. 62. C’est ce personnage, dont l’historicité est surtout établie par le fait de l’existence de son tombeau à Séleucie, qui a servi de thème au développement romanesque des Acta Pauli et Theclæ. De ce roman saint Jérôme écrivait en 392, De viris M. 7, t. xxiii, col. 651 : « Igitur περίοδους Pauli et Theclæ et totam baptizati leonis fabulam inter apocryphas scripturas computamus… Sed et Tertullianus, De Baptismo, 17, vicinus eorum temporum, refert presbyterum quemdam in Asia σπουδαστὴν apostoli Pauli, convictum apud Joannem quod auctor esset libri, et confessum se hoc Pauli amore fecisse, loco excidisse. » Le témoignage de Tertullien atteste l’existence des Acta Pauli et Theclæ à la fin du IIe siècle, et si l’on se tient à la lettre même de l’affirmation de Tertullien, c’est à l’époque de Trajan (98-117) qu’il faudrait rapporter la composition desdits Acta (ainsi M. Zahn). Il est plus probable que nous avons là une œuvre encratite (plutôt que gnostique), voisine de l’origine du montanisme : du troisième quart du IIe siècle environ. — Voir Lipsius, ouvr. cit., t. i, 1, p. 424-467 ; C. Schlau, Die Acten des Paulus und der Thehla, Leipzig, 1877 ; A. Rey, Étude sur les Acta Pauli et Theclæ, Paris, 1890.

VI. Acta S. Matthæi. — Nous possédons en grec un Martyrium S. Matthæi in Ponto, publié pour la première fois par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 167-189. Il débute par une des plus gracieuses fictions de toute cette littérature : l’apparition devant saint Matthieu de l’enfant Jésus sous la figure d’un des saints Innocents, « qui chantent les psaumes dans le paradis. » On y a relevé des traces de gnosticisme. D’après M. Lipsius, ces Acta auraient été composés au commencement du iiie siècle, op. cit., t. ii, 2, p. 121.— Les Bollandistes (le P. Stilting) ont publié le texte latin d’une légende éthiopienne de saint Matthieu, qui est une légende monophysite de beaucoup de valeur pour l’histoire du christianisme en Abyssinie, mais qui est indépendante de nos Acta gnostiques. Voir Acta sanctorum septembris, t. vi (1757), p. 220-224.

VII. Acta S. Philippi. — Des quinze πράξεις ou chapitres dont se composaient anciennement ces Acta, deux (la quinzième et la seconde) ont été publiées par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 75-104 ; huit (la première, et de la troisième à la neuvième) par M. l’abbé Batiffol dans les Analecta Bollandiana de 1890. M. Wright a donné la version syriaque de ces mêmes Acta grecs dans ses Apocryphal Acts of the Apostles, t. ii. Ici encore nous avons affaire à une œuvre gnostique. D’après M. Lipsius, t. ii, 2, p. 15, elle daterait du commencement ou de la première moitié du me siècle. Mais, de plus, nous avons affaire à une légende en partie localisée à Hiérapolis (Phrygie), et dont les attaches archéologiques sont manifestes. Voyez Bulletin critique, t. xi, 1890, p. 478.

VIII. Acta S. Bartholomæi. — Nous en avons, sous le titre de Martyrium S. Bartholomæi, une πράξις, par le pseudo-Abdias, publiée en grec pour la première fois par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 243-260, en latin à peu près littéralement traduite dans les Bollandistes, Acta sanctorum augusti, t. v (1741), p. 34-38. Ce qui nous reste là est très sensiblement entaché de nestorianisme. D’après M. Lipsius, t. ii, 2, p. 71, ce Martyrium ne daterait que de la seconde moitié du Ve siècle, ou de la première moitié du vie ; mais il dépendrait d’un récit purement juif, d’une date fort ancienne.

IX. Acta S. Barnabæ. — Un texte grec en a été publié par le P. Papebroch, Bolland., Acta sanctorum junii, t. ii (1698), p. 431-435, et réédité par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 64-74. Ces Acta sont mis sous le nom de l’évangéliste saint Marc, comme les Acta S. Bartholomæi sont mis sous le nom de Craton, disciple des Apôtres, et ils sont un pastiche catholique des Actes canoniques des Apôtres. Cet apocryphe, sûrement antérieur à la fin du Ve siècle, puisqu’il est oublié déjà de l’auteur grec de l’Inventio reliquiarum S. Barnabæ, lequel est de la fin du Ve siècle ou du commencement du vie, Bolland., ouvr. cit., p. 436-452 ; cet apocryphe, dis-je, serait, d’après M. Lipsius, fondé sur des Acta vraisemblablement gnostiques de la seconde moitié du iiie siècle au plus tôt.

X. Doctrina Addai. — Elle représente ici tous les actes de Thaddée : c’est le récit de la mission de Thaddée ( = Addaï) et d’Aggée à Édesse. Elle a été publiée en syriaque, qui est l’original, par Cureton, Ancient Syriac documents, Londres, 1864, et étudiée par M. Lipsius dans une monographie à part, Die edessenische Abgar-Sage, Brunswick, 1880, et tout récemment par M. l’abbé Tixeront, Les origines de l’Église d’Édesse, Paris, 1888. Voyez l’article Abgar de ce dictionnaire, et aussi Bulletin critique, 1889, p. 41-48. La Doctrina Addai est une œuvre catholique de la fin du iii e siècle ou du commencement du iv e ; mais elle a eu pour source une légende écrite syriaque plus ancienne, connue de l'historien Eusèbe, remontant à la première moiitié du iii e siècle, et que l'on est convenu de désigner sous le nom d’Acta edessena. Des Acta Thaddæi grecs, datant de la première moitié du iv e siècle, mais tributaires de la Doctrina Addai, ont été publiés pour la première fois par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 261-265.