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ACHAZ

unique et suffisant défenseur ; il n’avait à craindre qu’une chose, l’infidélité envers Dieu ; car, « si vous n'êtes pas fidèles, lui dit Isaïe, vous périrez » (l’hébreu, avec allitération : ʾim lôʾ ṭaʾâminù kî lôʾ ṭêʾâmênû). Is., vii, 9. Mais Achaz est trop endurci dans son impiété ; ne croyant plus aux promesses divines, il a formé un autre projet qui lui paraît plus sûr : demander secours aux Assyriens. En vain le Seigneur insiste : puisque sa divine parole ne rassure point le roi, qu’il fasse l’expérience de sa puissance, qu’il demande un signe manifeste de la protection d’en haut, qu’il le choisisse où il voudra, dans le ciel ou dans le šeʾôl. Is., vii, 11. Achaz dissimule son embarras sous une excuse frivole : il ne demandera pas un signe, dit-il, pour ne pas paraître tenter le Seigneur. Cette réponse, si elle est loyale, suppose que le roi croyait à la possibilité du miracle et admettait la mission divine d’Isaïe. Autrement il aurait dû demander un signe qui, dans sa pensée, aurait tourné par son insuccès à la confusion du prophète. En disant qu’il ne voulait pas tenter Dieu, Is., vii, 12, le roi de Juda n'était pas sincère. En réalité, il refusait le secours divin pour n'être pas obligé de changer de conduite et d’abandonner l’idolâtrie. Il préférait se tirer d’embarras par des moyens humains : flagrant mépris de la théocratie, fondement de son royaume ; péché d’orgueil et d’hypocrisie. Achaz n’ignorait pas qu’en disant : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu, » Deut., vi, 16, Jéhovah avait seulement défendu à l’homme de le mettre en demeure de manifester sa puissance sans motif suffisant. Il méritait donc, et tout son peuple en sa personne, la véhémente apostrophe du prophète : « Vous lassez mon Dieu. » Is., vii, 13. Pourtant ce n’est pas sa résistance qui entravera les desseins de la miséricorde divine ; au contraire, « à cause de cela même, » v 14, à la place du signe que le roi refuse de demander, Dieu en produira lui-même un plus merveilleux : ce sera la naissance du fils de la Vierge (hébreu : ʿalmâh), dont le nom sera Emmanuel. Is., vii, 14. Or, ce signe, Achaz ne le verra pas : d’abord parce que cette ʿalmâh n’est point son épouse, et l’Emmanuel n’est point son fils Ézéchias, comme l’ont prétendu plusieurs rationalistes modernes, reproduisant un subterfuge déjà connu à l'époque de saint Justin, Dial. cum Tryph., 55, 67, 77, t. vi, col. 567-570 ; cf. S. Jérôme, In Is. vii, 14, t. xxiv, col. 109. Pour une autre raison encore, Achaz ne verra pas ce signe, car il ne s’accomplira que longtemps après lui ; mais la « maison de David » en sera témoin dans l’avenir au jour de la naissance du Messie, qui délivrera Israël d’ennemis plus redoutables que Rasin et Phacée. Le signe cependant touche aux événements contemporains par ce lien : avant le temps qui sera nécessaire à cet enfant miraculeux pour arriver au discernement du bien et du mal, ou, ce qui revient au même, pour être capable de supporter la nourriture du beurre et du miel, Achaz aura vu la ruine de ses ennemis. Is., vii, 15-16. Mais parce qu’il a résisté à Dieu, le roi impie attirera sur lui et sur son peuple la malédiction annoncée. Is., vii, 9. Elle sera exécutée par l’Assyrien que Jéhovah « amènera », Is., vii, 17, et sous ses coups l'état de Juda sera si misérable, qu’on n’aura pas vu « de jours semblables depuis la séparation d'Éphraïm », ibid., c’est-à-dire depuis le schisme d’Israël. Achaz a l’humiliation d’entendre même l’annonce de plus grands maux : l’oppression de Juda et sa ruine sous les piqûres des « moucherons d’Égypte » et des « abeilles d’Assur ». Is., vii, 18.

Le roi ne fut pas témoin de la réalisation de cette dernière prédiction, mais la première fut exécutée sous ses yeux ; car, se voyant attaqué de tous côtés, au nord par Rasin et Phacée, au midi par les Iduméens, qui venaient de lui prendre un immense butin, II Par., xxviii, 17, à l’ouest par les Philistins, aux mains desquels étaient tombées les villes de Bethsamès, Aïalon, Gadéroth, Socho, Thamna et Gamzo, II Par., xxviii, 18, Achaz s’abaissa jusqu'à mendier le secours d’un roi païen, celui d’Assyrie, Téglathphalasar, lui disant : « Je suis ton serviteur et ton fils ; viens me sauver des mains du roi de Syrie et du roi d’Israël, ligués contre moi. » IV Reg., xvi, 7. Pour se le rendre favorable, il vida ses trésors, à l’exemple de ses prédécesseurs, Asa, LU Reg., xv, 18, et Joas, IV Reg., xii, 18, et il dépouilla la maison du Seigneur, IV Reg., xvi, 8, précaution à peine utile, car l’ambitieux monarque assyrien ne cherchait qu’une occasion d'étendre sa domination. Achaz eut bientôt la joie de le voir envahir la Syrie, assiéger et ruiner Damas, mettre à mort Rasin et emmener ses sujets captifs, puis se jeter sur Israël et en transférer les habitants en Assyrie. IV Reg, , xv, 29-30 ; xvi, 9. D’après la liste des éponymes, on était en 733 ou 732 lorsque Téglathphalasar commença cette campagne, qu’il ne termina qu’après deux ans. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., t. iv, p. 117.

Elle venait de finir, et l’Assyrien victorieux se reposait à Damas, lorsque Achaz se rendit près de lui, selon toute vraisemblance pour figurer dans une sorte de réception générale, à laquelle tous les rois tributaires de Téglathphalasar avaient été convoqués. IV Reg., xvi, 10. D’après Josèphe, c’est alors qu’Achaz dépouilla ses trésors et le temple, pour payer ce qu’il avait seulement promis lors de sa demande de secours aux Assyriens. Ant. jud., IX, xiii. C’est ce voyage qui donna lieu à la construction d’un autel de modèle païen dans le temple de Jérusalem. Le texte porte : « l’autel qui était à Damas, » IV Reg., xvi, 10, ce qui signifie un autel syrien, soit qu’il fût propre aux Syriens, soit qu’il fût une imitation des autels assyriens. Cette seconde hypothèse est admissible, car c'était l’habitude des rois d’Assur de faire porter dans leurs expéditions militaires les autels de leurs dieux, et de les établir dans les pays conquis. G. Rawlinson, Ancient Monarchies, t. ii, p. 531. Elle devient même vraisemblable si l’on considère le penchant d' Achaz pour la religion des Assyriens, dont il pratiquait le culte astrologique sur les autels qu’il avait fait construire en l’honneur du soleil sur la terrasse de son palais. IV Reg., xxiii, 12, ; cf. Tacite, Annal. xii, 13. Son cadran solaire, plus tard l’occasion d’un grand miracle, Is., xxxviii, 8, était peut-être aussi une importation assyro-chaldéenne. Il entrait d’ailleurs dans le caractère d’Achaz de flatter ainsi son libérateur. En tout cas, comme les autels assyriens étaient très étroits et insuffisants pour y offrir des holocaustes, si celui que le roi de Juda fit construire leur ressemblait par la forme, il dut avoir de plus grandes proportions, puisque nous voyons qu’on y consuma des victimes. IV Reg., xvi, 12 ; Fillion, Atlas archéol., pl. xcviii, fig. 6 ; pl. cxvi, fig. 2. Au y. 15, cet autel est appelé, par rapport à l’ancien autel des holocaustes, « autel plus grand. » Achaz envoya donc par des exprès le dessin de cet autel au grand prêtre Urie, peut-être le même que celui qui est appelé de ce nom dans Is., viii, 2 ; et à son retour de Damas il le trouva construit et établi dans la cour du temple. Il y monta, y offrit des holocaustes et des sacrifices non sanglants (hébreu : minḥah), et y répandit le sang des victimes pacifiques. IV Reg., xvi, 12-13. Il est à croire, d’après le ꝟ. 15, que ces sacrifices étaient en l’honneur de Jéhovah, ce qui n’empêcha pas Achaz d’en offrir d’autres aux dieux de Damas. II Par., xxviii, 23. D’ailleurs le seul fait de sacrifier au Seigneur sur un autel d’un type païen était une profanation sacrilège du culte divin, d’autant plus que la forme de l’autel des holocaustes avait été déterminée dans les plus grands détails. Exod., xxv, 40 ; xxxviii, 1-7.

Achaz introduisit d’autres changements dans le culte. D’après le texte hébreu, plus clair que celui de la Vulgate, l’autel syrien avait été placé par Urie devant la partie antérieure de la maison de Dieu, au milieu de la cour des prêtres, de manière que l’ancien autel des holocaustes se trouvait entre lui et le temple. IV Reg., xvi, 14. Achaz, pour donner sans doute à l’autel de son choix une place plus honorable, et afin qu’il fût seul a devant le Seigneur », fit reculer vers le nord l’autel des holocaustes, se