Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II Reg., xiii, 1-20. Voir Amnon 1 et Thamar 2. L’infortunée jeune fille alla se réfugier chez son frère Absalom, son protecteur naturel. Cf. Gen., xxxiv, 31. Absalom sut maîtriser sa colère et dissimuler la haine que cet attentat lui inspira contre Amnon ; mais il résolut dès ce jour d’en tirer une terrible vengeance. II Reg., xiii, 32.

Deux ans après cet événement, quand tout le monde pouvait croire qu’il avait oublié l’outrage fait à Thamar, il invita David et tous les princes ses frères à une fête qu’il allait donner selon l’usage, cf. I Reg., xxv, 2-8, à l’occasion de la tonte de ses troupeaux. Le roi s’excusa, comme Absalom l’avait sans doute prévu ; il fit même des difficultés pour laisser aller à cette fête Amnon, dont Absalom réclamait instamment la présence. L’insistance de celui-ci, conforme, ainsi que le refus de David, à la politesse orientale, ne pouvait exciter les soupçons : il était naturel que, à défaut du roi, son fils aîné fût appelé à présider le banquet ; et d’ailleurs le politique Absalom dut parler de façon à n’exciter dans l’esprit de son père aucune méfiance sur le dessein qu’il méditait depuis si longtemps, et dont il avait préparé le succès avec une profonde habileté. C’est loin de Jérusalem qu’il avait résolu de l’exécuter, avec le concours de serviteurs venus probablement de Gessur, et qui, n’ayant rien à craindre ni à ménager en Israël, feraient ce que n’auraient pas osé faire des Israélites.

Les invités se rendirent donc à Baalhasor, au delà de Béthel, non loin d'Éphraïm ou Éphron. Absalom leur servit un festin royal, pendant lequel, à un signal donné par lui, ses serviteurs frappèrent Amnon sous les yeux de ses frères. Ceux-ci, épouvantés et tremblant pour eux-mêmes, se précipitèrent hors de la salle, montèrent sur leurs mules et s’enfuirent vers Jérusalem. Absalom prit la direction opposée, passa le Jourdain et alla se réfugier à la cour de son grand-père, au royaume de Gessur, pays correspondant en partie au Ledjah actuel.

David ne chercha pas à l’inquiéter dans sa retraite. Après avoir amèrement pleuré son fils Amnon, il sentit se réveiller peu à peu son ancienne affection pour Absalom. II Reg., xiv, 1. Le peuple, de son côté, commençait à trouver longue l’absence de celui que l’on considérait comme l’héritier du trône depuis la mort d’Amnon ; car on conclut avec raison du silence de l'Écriture au sujet de Daniel ou Chéléab, fils de David et d’Abigaïl, que ce prince, plus âgé qu’Absalom, était mort aussi. Les esprits se retournaient donc vers Absalom, qui avait toujours été chéri du peuple. On aimait à se rappeler qu’il n’y avait point d’homme dans tout Israël qui lui fut comparable par la bonne grâce et la beauté. II Reg., xiv, 25. Ces dons naturels, qu’il relevait encore par l’affabilité de ses manières et le talent de gagner les cœurs, II Reg., xv, 2-6, l’avaient rendu d’autant plus populaire, que l’orgueil des Israélites était flatté de trouver en lui un prince dont la mère était de race royale, avantage qui manquait aux autres fils de David.

Joab imagina un habile stratagème pour donner satisfaction au sentiment public, s’assurer les bonnes grâces du futur roi d’Israël, et offrir du même coup à David l’occasion d’agir selon le secret désir de son cœur en rappelant le coupable. Craignant de ne pas réussir s’il traitait lui-même cette affaire, il fit venir de Thécué, la moderne Tekûa, à deux heures de chemin au sud de Bethléhem, une femme inconnue de David, dont l’intelligence devait assurer le succès de son dessein. Après qu’il lui eut appris sa leçon, elle se présenta devant le roi en donnant toutes les marques de la plus vive douleur. Ses deux fils, disait-elle, s'étaient battus dans les champs, et l’un avait tué l’autre ; et maintenant les vengeurs du mort, cf. Num., xxxv, 19, demandaient le sang du meurtrier. Elle suppliait David de rappeler ce fils, sa seule consolation, et de le défendre contre tous. Le roi promit, et aussitôt elle fit l’application de son histoire à Absalom, dont l’exil, qui durait depuis trois ans, était regardé comme une calamité nationale. David, comprenant alors tout ce qui s'était passé, fit avouer à cette femme qu’elle avait obéi aux suggestions de Joab, dont il connaissait les sentiments envers le prince proscrit. Il se tourna ensuite vers le général, qui était présent ; car, comme le texte le donne à entendre, cette scène se passait dans une audience publique : « Me voilà apaisé, lui dit-il, et il sera fait selon votre désir ; allez donc et rappelez Absalom. » II Reg., xiv, 21. Joab se rendit en personne au pays de Gessur et ramena Absalom à Jérusalem.

David n’entendait pas toutefois accorder encore à son fils une grâce complète ; il ne voulut pas l’admettre en sa présence, et lui ordonna de rester enfermé dans son palais, croyant le tenir plus facilement par là dans le devoir, et lui faire mieux comprendre la gravité de sa faute. Deux ans s'écoulèrent ainsi. C'était plus que l’humeur bouillante du prince n’en pouvait supporter. Par deux fois il envoya prier Joab de venir le trouver, pour aller ensuite parler de sa part au roi, et par deux fois Joab, qui savait David peu disposé encore à accorder la grâce désirée, refusa. Absalom fit enfin mettre le feu par ses serviteurs à un champ d’orge de Joab, voisin du sien, et le contraignit ainsi de venir. « Pourquoi suis-je revenu ici ? lui dit-il alors. Il vaudrait mieux que je fusse encore à Gessur ; je demande à voir le roi. Qu’il me fasse plutôt mourir, s’il se souvient toujours de mon iniquité. » II Reg., xiv, 32. De telles paroles, après un procédé si violent, firent comprendre à Joab qu’il ne fallait pas comprimer plus longtemps cette nature impétueuse. Il alla trouver le roi, et David reçut son fils dans ses bras. II Reg., xiv.

Mais il était trop tard ; la réconciliation ne fut qu’apparente du côté d’Absalom, aigri et irrité contre son père par l'éloignement où il l’avait tenu à la suite d’une proscription de trois ans. L’ambition acheva l'œuvre de la colère. Le premier usage qu’il fit de la liberté que David venait de lui rendre, fut de travailler à le renverser du trône pour y prendre sa place. La crainte d'être supplanté comme héritier du royaume par Salomon, le jeune fils de Bethsabée, fut peut-être aussi un des motifs qui l’engagèrent dans ce dessein. À partir de ce moment, il n’agit plus qu’en ambitieux sans conscience et en fils dénaturé. Sa beauté physique, II Reg., xiv, 25-26, ses qualités naturelles, lui attiraient déjà l’affection du peuple. Ne voulant rien négliger pour accroître sa popularité, il affecta un train royal ; il eut des chars, un cortège de cavalerie, cinquante hommes qui couraient devant lui. De grand matin on le trouvait à la porte du palais ; il s’y faisait, par ses basses prévenances, le flatteur de tous les solliciteurs qui se présentaient, et déclarait toujours leur cause juste. Il ne rougissait pas de calomnier son père, en rejetant sur lui les négligences et les fautes des magistrats, et en gémissant de ce qu’il n’avait établi personne pour recevoir les plaintes de ses sujets, II Reg., xv, 1-6, comme si lui-même n’avait pas dû son pardon à la facilité avec laquelle David avait donné audience à la Thécuenne, et accordé à cette femme la grâce qu’elle sollicitait. Il est possible toutefois que David eût, en effet, apporté quelque négligence dans l’administration de la justice, ce premier des devoirs personnels des souverains orientaux, ou plutôt dans la surveillance de ses juges ; il fallait bien que les accusations d’Absalom eussent quelque fondement pour être ainsi écoutées. Cependant l’ambitieux ne parlait pas encore de régner, mais il disait bien haut que les choses n’iraient pas de la sorte, si on lui confiait le soin de rendre la justice à tous. Ainsi, comme le dit le texte hébreu, « il volait à son père les cœurs des hommes d’Israël. » II Reg., xv, 6. Quand il crut les avoir assez gagnés à son parti, il se mit en mesure de se faire proclamer roi. « Après quarante ans, » il demanda à David la permission d’aller à Hébron, sous prétexte d’y offrir un sacrifice dont il avait fait le vœu pendant qu’il était à Gessur. II Reg., xv, 7.

Ces « quarante ans » ont de tout temps embarrassé les commentateurs. Il y en a qui pensent qu’il faut lire, avec la version syriaque, Josèphe, Théodoret et certains ma-