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BOUC — BOUC ÉMISSAIRE


de ce nom le roi des Grecs. Au désert, Moïse dut prohiber sévèrement le culte que des Hébreux rendaient au ie’irîtn, c’est-à-dire d’après l’interprétation de plusieurs savants modernes, à des boucs idolâtriques, Lev., xvii, 7. (La Vulgate traduit il démons » au lieu de boucs.) Jéroboam renouvela ces représentations grossières pour les faire adorer. II Par., xi, 15. Isaïe range les se’irîm parmi les bêtes sauvages qui hantent le désert, xiii, 21 ; xxxiv, 14. Les traducteurs grecs ont vu là des esprits mauvais, Sair (iôvia, analogues aux divinités malfaisantes des païens. Saint Jérôme a traduit plus exactement le mot hébreu par pilosi, « bêtes à poils. »

Dans lo Nouveau Testament, en décrivant la scène du jugement dernier, Notre-Seigneur dit du souverain Juge : « Il séparera les uns d’avec les autres [les justes des pécheurs ], de même que le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs ; il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. » Matth., xxv, 32, 33. Le texte original et la Vulgate parlent ici de chevreaux (èptçia, kœdi) ; mais leur nom est mis pour celui de boucs. Ces boucs sont relégués à gauche, c’est-à-dire à la mauvaise place, celle qui présage la damnation. Ils représentent les méchants, à raison de leur stérilité, de leur impureté et de leur répugnante odeur. Cf. Knabenbauer, Comment, in Evang. sec. Matth., Paris, 1893, t. ii, p. 379. La scène décrite dans ce verset est rappelée par une strophe du Dies irm. : « Rangemoi parmi les brebis, et mets-moi à l’écart des . boucs, en m’assignant une place à droite. » Les anciens monuments chrétiens la reproduisent plusieurs fois.

H. Lesêtre.

2. BOUC ÉMISSAIRE (hébreu : ’àzâ’zêl, ; Septante : àiïoiïopwraîoç ; Vulgate ; caper emissarius). C’est un bouc (êâ’ir) dont il n’est parlé que dans le xvp chapitre du Lévitique, à propos de la fête de l’Expiation.

I. Le rite du bouc émissaire. — Le jour de la fête de l’Expiation, le grand prêtre présente deux boucs devant le tabernacle. « Àaron jette le sort sur les deux boucs, un sort pour Jéhovah et un sort pour’àzâ’zêl. » Lev., xvi, 8. « Le bouc sur lequel le sort est tombé pour’àzâ’zêl est présenté devant Jéhovah comme victime expiatoire, pourqu’on l’envoie en’àzâ’zêl dans le désert. » ꝟ. 10. Avec le sang du bouc immolé, le grand prêtre asperge l’autel et le tabernacle. Ensuite « il offre le bouc vivant, et, mettant les deux mains sur sa tête, il confesse toutes les iniquités des enfants d’Israël, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés ; il les place sur la tête du bouc et l’envoie dans le désert par un homme désigné pour cela. Le bouc emporte sur lui toutes leurs iniquités dans la terre déserte. C’est ainsi qu’on envoie le bouc dans le désert. » yꝟ. 21, 22. Enfin « celui qui a conduit le bouc en’àzâ’zêl doit laver dans l’eau ses vêtements et son corps, avant de rentrer dans le camp ». ꝟ. 26. La Sainte Écriture ne parle plus ensuite nulle part du bouc émissaire. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Elle garde le même silence sur beaucoup d’autres prescriptions du rituel mosaïque, qui cependant n’ont jamais cessé d’être fidèlement observées.

Dans la Mischna, la cinquième section de la seconde partie traite du jour annuel de l’Expiation, sous le titre de l’orna, « Jour. « Voici, d’après ce recueil, comment les Juifs célébraient à Jérusalem le rite du bouc émissaire. Les deux boucs, amenés dans la cour des prêtres, étaient présentés au grand prêtre au côté septentrional de l’autel des holocaustes, et placés l’un à droite, l’autre à gauche du pontife. On mettait dans une urne deux jetons de bois, d’argent ou d’or, toujours d’or sous le second temple. Sur l’un des jetons était écrit : « pour Jéhovah ; » sur l’autre : « pour’Azâ’zêl. » On agitait l’urne, le grand prêtre y plongeait les deux mains à la fois et retirait un jeton de chaque main. Le jeton de la main droite indiquait le sort du bouc de droite ; l’autre jeton, le sort du bouc de gauche. La cérémonie se continuait ensuite conformément aux prescriptions du Lévitique. Quand tout était terminé dans

le temple, des prêtres et des laïques accompagnaient le conducteur du bouc sur le chemin du désert. Ce chemin avait une longueur de douze milles romains, soit environ dix-huit kilomètres. Il était divisé en dix sections, terminées chacune par une tente dans laquelle avaient été apportés au préalable de l’eau et des aliments pour ceux qui conduisaient le bouc. Le chemin aboutissait à un affreux précipice, hérissé de rochers. On y précipitait le bouc émissaire, dont les membres étaient mis en pièces par les aspérités des rochers. Cependant le peuple resté dans le temple attendait avec inquiétude la_ nouvelle de ce qui se passait au désert. Des signaux, élevés de distance en distance, transmettaient cette nouvelle avec une grande promptitude. Les rabbins ajoutent qu’à cet instant le ruban écarlate, qu’on avait suspendu à la porte du temple, devenait blanc. Is., i, 18. C’était le signe que Dieu avait agréé le sacrifice et remis les péchés de son peuple. Cf. Hergenroether, Kirchenlexiam, 1882, t. i, col. 1774.

IL Signification symbolique du rite du bouc émissaire. — Le bouc émissaire ne doit pas être isolé du bouc immolé par le grand prêtre, si l’on veut saisir le sens du symbole. Le premier bouc était sacrifié « pour le péché du peuple », et par l’aspersion de son sang, le sanctuaire et le tabernacle se trouvaient purifiés de toutes les iniquités d’Israël, fꝟ. 15, 16. Ensuite, par l’imposition des mains, le grand prêtre chargeait le bouc émissaire de toutes les fautes de la nation, et l’envoyait dans le désert. Dans les deux cas, il s’agit donc toujours des péchés d’Israël. Avec l’immolation du premier bouc, ils sont expiés ; avec le bannissement du second, ils sont éloignés pour ne plus revenir. C’est la double idée qu’exprime David, quand il dit : « Heureux celui dont le crime est enlevé, dont le péché est couvert. » Ps. xxxi (hébreu, xxxii), 1. Le bouc immolé marque que le péché est couvert, qu’il disparait aux yeux de Dieu ; le bouc émissaire indique qu’il est enlevé, emporté sans retour. Le symbole est donc double, bien que la chose signifiée soit unique. Mais cette dualité du symbole a sa raison d’être au grand jour de l’Expiation. Les autres jours, l’immolation de la victime signifiait à elle seule que le péché était pardonné ; à la grande fête annuelle, Dieu tenait à donner un double gage de son pardon. Il voulait que son peuple comprit bien que « l’impiété de l’impie ne peut lui nuire, du jour où il se détourne de son impiété », Ezech., xxxiii, 12, et qu’  « autant l’orient est loin de l’occident, autant il éloigne de nous nos fautes ». Ps. cm (cil), 12. Le second symbole venait donc confirmer le sens du premier. Il montrait que non seulement Dieu pardonnait, mais encore qu’il ne tiendrait plus jamais compte des péchés pardonnes et symboliquement emportés par le bouc dans la région déserte. Du reste, cette dualité de symbole pour exprimer une même idée n’est point unique dans la législation mosaïque. Le lépreux qui doit être purifié offre deux passereaux : l’un est immolé ; l’autre, trempé dans le sang du premier, est ensuite relâché vivant. Lev., xiv, 4-7. De même, quand il s’agit de purifier une maison contaminée, on prend encore deux passereaux, dont l’un est immolé, et l’autre remis eh liberté. Lev., xiv, 49-53. Dans ces deux cas, le sens du symbole apparaît clairement. Le passereau immolé assure la purification par la vertu de son sacrifice figuratif. L’oiseau qui s’envole signifie que le mal est emporté au loin, dans les airs, et qu’il ne reviendra plus. Le second oiseau ne peut évidemment représenter le lépreux s’en allant libre de son mal, car le symbole ne pourrait plus s’appliquer sous cette forme à la maison purifiée. Le symbole des deux boucs doit être interprété dans le même sens. Le bouc immolé, c’est le péché frappé de mort dans la victime qui représente le pécheur ; le bouc émissaire, c’est le péché qui s’en va, chassé dans la région d’où l’on ne revient pas.

Les anciens Juifs avaient très bien compris cette unité du sens caché sous le double symbole. Ils interprétaient