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BEA

de les avoir bonnes avec ce défaut, mais il est certain qu’on ne peut les avoir belles tant que la contrariété de la personne & du personnage rompra, pour ainsi dire, l’unité de l’homme par leur opposition indécente.

☞ A l’égard des procédés, n’est-ce pas par cette règle d’unité que nous mesurons naturellement l’estime ou le mépris, l’amour ou la haine, la louange ou le blâme des diverses conduites que nous voyons tenir aux hommes dans la société. Si la justice est une si belle vertu, c’est qu’en jugeant tous les hommes sans acception de personnes, par l’équité de la même loi, elle nous fait souvenir que nous sommes tous égaux, tous un par nature. Un procédé injuste est révoltant, parce qu’il rompt ce nœud d’équité qui nous unissoit tous. Les humeurs intolérantes sont en horreur, parce qu’elles sont toujours prêtes à faire schisme avec l’Univers. Nous sommes charmés de la politesse des grands qui savent descendre jusqu’aux plus petits. Elle rend témoignage à l’unité de la nature. Nous sommes indignés de l’insolence d’un nouveau parvenu, qui à peine sorti de la roture se croit au rang des demi-dieux. Il semble renoncer à la communion de l’espèce. Nous regardons comme des monstres des frères ennemis, des enfans ingrats, des parens dénaturés, qui ne savent pas respecter l’union naturelle du sang. Nous détestons les Rois titans, les Ministres brouillons, les gens de cabale : ils déchirent un corps dont ils devroient maintenir l’intégrité. Au seul nom de la paix, nous voyons la joie par-tout répandue. Elle nous annonce l’union. La guerre au contraire nous paroît un fléau terrible. Elle rompt l’unité du genre humain.

☞ 4°. Le beau dans les ouvrages d’esprit. Nous en rassemblerons en peu de mots sous les traits. Que la base en soit toujours la vérité, l’ordre, l’honnête & le décent. Voyez ces mots. La vérité, parce que la parole n’est instituée que pour en être l’interprète, pour l’éclaircir, pour la faire passer d’un esprit à l’autre, comme une lumière qui doit être commune à tous les homes : l’ordre, parce qu’il y en a entre les vérités. D’où il s’en suit que l’ordre est absolument nécessaire dans un discours pour les mettre chacune dans son vrai point de vue, en sorte que les premières éclairent les suivantes, & que celles-ci à leur tour donnent aux premières, par leur suite naturelle une espèce de nouvel éclat. L’honnête, c’est-à-dire, le respect pour la religion & la pudeur, parce qu’il est certain que nous portons dans l’ame un sentiment d’honneur, composé de ces deux autres, qui s’offensent naturellement de tout ce qui les blesse. Les Payens même ont établi cette règle comme indispensable : enfin le décent qui suppose toujours l’honnête, mais qui embrasse un plus grand terrain. Comment en effet un homme qui parle au public pourroit-il réussir à plaire, s’il ignore les bienséances, les égards, ce qu’il doit aux temps, aux lieux, à la nature de son sujet, à son état ou à son caractére & à celui des personnes qui l’écoutent, à leur qualité ou à leur rang, sur-tout à leur raison, qui dans le moment va juger de son cœur par ses paroles ? Aussi Cicéron en faisoit la loi capitale de son art. Caput artis, decere.

☞ Que sur ce fond du beau essentiel on répande, selon l’exigence des matières, les images, les sentimens, les mouvemens convenables, toutes les grâces du beau moral. Voyez Image, Sentiment, Mouvement. Que l’expression, le tout, le style relevent encore à l’esprit & à l’oreille ces beautés fondamentales du discours, mais avec un art qui ressemble si bien à la nature qu’on le prenne pour elle-même, Voyez Expression, Tour, Style. Enfin que tout cela forme un corps d’ouvrage lié, suivi, animé, soutenu, & dans lequel il n’y ait aucun hors d’œuvre, qui en rompe l’unité. Car pour qu’un ouvrage d’éloquence ou de poësie soit véritablement beau, il ne suffit pas qu’il y ait de beaux traits ; il faut qu’on y découvre une espèce d’unité qui en fasse un tour bien assorti. Unité de rapport entre toutes les parties qui le composent, unité de proportion entre le style & la matière qu’on y traite : unité de bienséance entre la personne qui parle, les choses qu’elle dit, & le ton qu’elle prend pour les dire. C’est le fameux précepte d’Horace ou plutôt de la nature.

Denique sit quod vis simplex duntaxat, & unum.

☞ Passons maintenant aux différentes significations du mot beau. Nous avons déjà dit que ce mot fait beau & bel au masculin, & belle au féminin. Autrefois on disoit communément bel pour beau. Nous ne l’avons retenu que quand le substantif qui suit, & auquel il se rapporte, commence par une voyelle, comme un bel arbre, un bel enfant. Le surnom de Charles le Bel, & de Philippe le Bel, qui fut donné à ces deux Rois pour la beauté de leur visage, leur est demeuré. Hors ces deux cas, il faut toujours dire, beau & non pas bel. Par exemple, il faut dire, cet enfant est beau en tout temps, & non pas bel en tout temps ; parce que le mot de beau n’est pas là devant un substantif auquel il se rapporte. Mais on diroit un bel enfant, & non pas un beau enfant.

Beau, se dit de ce qui plaît aux yeux par la juste proportion de ses parties, & par le mélange agréable des couleurs. Dans ce sens on le dit des personnes, particulièrement du visage. Un bel homme. Une belle femme. Un beau visage. De beaux yeux. Une belle bouche. Ne soyez point si fiére de votre beauté ; on a peu de temps à être belle, & long-temps à ne l’être plus Desh. Il arrive souvent qu’une belle personne brille & charme les yeux sans aller plus loin ; tandis que la jolie forme des liens, & fait de véritables passions. Le teint, la taille, la proportion & la régularité des traits forment les belles personnes.

☞ Quelquefois le mot de beau ne désigne que les proportions, sans aucun rapport au mélange des couleurs. C’est ainsi qu’on dit, une belle taille, un beau bras, une belle jambe. Luculentus.

☞ Dans ce sens, on le dit des animaux bien proportionnés dans leur espèce. Un beau chien, un beau cheval. On le dit de même des choses inanimées pour en marquer les proportions, la régularité. Une belle statue.

☞ Quelquefois aussi il se dit principalement de la vivacité, de l’éclat, de la pureté & de l’agrément des couleurs. C’est ainsi qu’on dit un beau teint, une belle couleur, un beau coloris, une belle fleur.

☞ C’est dans cette acception qu’en parlant de quelque pays, on dit que le sang y est beau, pour dire, que les habitans y sont bien faits, & particulièrement qu’ils ont un beau teint.

Beau, se dit aussi des sons qui plaisent à l’oreille. Gratus. Un beau son, une belle musique, un bel accord. Une belle voix qui plaît à l’oreille par la douceur de ses sons, à l’esprit & au cœur par la force de l’expression.

Beau, se dit encore de l’agréable constitution de l’air & du Ciel. Un beau jour. Luculentus dies. Une belle nuit, un beau temps, un beau Ciel. Sudus, serenus.

☞ Comme l’idée de beau dit excellence, agrément, perfection, ce mot s’applique généralement à ce qui est agréable & excellent dans son genre. Egregius, eximius. On le dit en ce sens des productions de la nature, & des ouvrages de l’art. Un beau diamant. Une belle turquoise. De beaux habits. Une belle étoffe. Une belle maison. Un beau jardin. De belles eaux. Un beau gason.

Beau dans l’Ecriture, & dans tous les Auteurs grecs, se prend pour bon, convenable, utile. Gen. I. 4. Dieu vit que la lumière étoit bonne. Les interprètes Grecs ont traduit là, & dans les endroits suivans, que la lumière étoit belle.

Beau, se dit aussi pour heureux, glorieux. Felix, decorus. Voila un beau commencement. Pasc. Il est beau de mourir maître de l’Univers. Corn.

Beau, signifie quelquefois, certain. Certus quidam. Il arriva un beau jour, c’est-à-dire un certain jour. Il vint un beau matin me faire défi. Il n’est employé que par redondance.

Beau, se prend aussi dans la signification de bon, d’heureux, de favorable, d’adroit. Un beau raisonnement. Une belle raison. Une belle occasion. Dans les