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plaies, & pour plusieurs autres sortes de maux, étant appliquée sur la partie malade.

Arrien rapporte dans les navigations de Néarque, que la flotte d’Alexandre ayant trouvé dans la mer des Indes des baleines qui jetoient beaucoup d’eau en l’air, tout l’équipage fut extrêmement épouvante ; que Néarque ayant appris ce que c’étoit, ordonna qu’on allât droit à ces monstres en ordre de bataille, trompettes sonantes, criant beaucoup, frappant les armes pour faire un grand bruit ; & que cela les fit plonger dans la mer, & les chassa.

Il y a une espèce de baleines qui ont de petites dents plates dans la gueule sans fanon ; & de celles-là les Basques tirent la drogue qu’on nomme sperme de baleine, dont ils remplissent des tonneaux, le puisant dans la tête avec des poilons, ou grandes cuilliers. Les Droguistes l’étreignent, le lavent, & le préparent ensorte qu’ils le rendent blanc comme la neige ou fleur de sel, & sentant l’odeur de la violette. Ils l’ont nommé blanc de baleine, à cause que les femmes s’en servent pour faire un fard excellent. Cette matière blanche & écailleuse se fond comme de la cire. La plûpart de ceux qui tirent cette matière des baleines, assurent que c’est son cerveau, mais il n’y a pas d’apparence, puisque nul cerveau de poisson n’a les qualités du blanc de baleine. Ne pourroit-on pas croire plutôt que c’est une substance moelleuse qui se trouve logée entre les deux tables du crane de ce poisson ? Le blanc de baleine s’appelle sperme, ou la nature de baleine, sperma ceti, parce qu’on a long-temps douté si cette matière n’étoit pas le sperme même de l’animal. On la nomme encore ambre blanc, ambarum album, à cause qu’on en a trouvé des morceaux sur les bords de la mer. Le blanc de baleine sortant du poisson est presque tout en huile. Les Hollandois sont les seuls qui en séparent cette huile ; & on tire d’eux cette matière rafinée & blanchie ; & lorsque cette même matière redevient jaunâtre, il ne faut que changer le papier qui l’enveloppe, & la mettre dans des papiers non collés, qui s’abreuvent de cette partie huileuse, & font que la matière devient blanche.

Il y a une autre espèce de baleine qui a l’ouverture de l’oreille sur les épaules. La queue de la baleine lui sert à nager en frappant l’eau. Elle s’en sert aussi à renverser les barques des pêcheurs qui la poursuivent.

Les pêcheurs appellent bonnes baleines, celles dont ils tirent le plus d’huile. Elles n’ont qu’un seul évent sur le front, d’où sort assez lâchement une bruine d’eau, ressemblant à la fumée : ce qui les fait remarquer, lorsqu’elles viennent en haut pour respirer. Ces bonnes baleines sont femelles, & le plus souvent nourrices ; car c’est alors qu’elles sont les plus grasses. On en prend à la Chine qui rendent plus de 240 barriques d’huile, & dont la seule langue en donne quelquefois 60 barriques. Je ne sais si nos Hollandois en ont jamais tant tiré en leur pêche de Groenlande. Ambass. des Holl. à la Chine, part. II, p. 100.

Les baleines qui font réjaillir leur fumée en l’air, à la hauteur d’une lance, comme par une seringue, se nomment Physetères, ou Souffleurs. Pour celles qui fument & respirent par deux ouvertures posées sur le front, car c’est leur manière de respirer, qui comme on l’a dit, se fait à grand bruit ; pour celles-là, dis-je, je ne trouve pas qu’elles aient de nom particulier. Leurs nageoires sont nommées bras, ou leurs ailes, & sont couvertes de gros cuir noir, aussi-bien que la queue & tout le corps, à la réserve du ventre qui est blanc. Il y a une autre espèce de baleine qu’on appelle Jubartes.

Le passage vient en hiver depuis l’équinoxe de Septembre, & elles s’arrêtent en un lieu nommé la chambre d’amour, proche le mur de l’ancien château de Ferragus à une lieue de Bayonne. Elles s’y viennent engouffrer pour éviter les profondes ténèbres de la mer glaciale du nord, où elles séjournent pendant tout l’été, (car elles aiment la lumière & le soleil) afin de jouir d’un jour continuel de six mois. quand il se retire, elles courent en flotte vers le pôle du sud. Celles des îles de l’Amérique paroissent depuis le commencement de Mars jusqu’à la fin de Mai. Les Pêcheurs conjecturent que le reste du temps elles se retirent dans les antres herbus du golfe de la Floride, parce que l’on a observé que sur leurs ailes & sur leurs queues il y avoit quantité de viscosités gluantes, sur lesquelles il croissoit des rocailles, & qu’on y a même trouvé des coquilles plus grandes que celles des huitres. Elles sont alors en chaleur, & s’accouplent pendant ce temps-là. Quand deux mâles se rencontrent auprès d’une femelle, ils se livrent un dangereux combat, frappant si rudement des ailes & de la queue contre la mer, qu’il semble que ce soient deux navires aux prises à coups de canon.

La baleine suit continuellement son baleinon : ce qui a fait croire à quelques Naturalistes, comme à Ælan, que c’étoit un poisson différent, qu’ils ont nommé musculus, ayant présumé que la nature l’avoit produit exprès pour servir de guide à la baleine. Cardan l’appel Orca, & croit qu4il poursuit la baleine pour la blesser par le foible du ventre : mais au contraire cela n’arrive que quand le baleinon se dresse à la tetine pour prendre son aliment. Ces petits sont toujours sous les ailerons de la mere jusqu’à ce qu’ils soient sevrés. Les femelles n’ont point de pis, quoiqu’elles aient du lait en abondance, & qu’on en ait quelquefois tiré de leurs mamelles jusqu’à deux barriques. Ambass.des Holl. au Japon. P. II, p. 140.

C’est une fable que tout ce que les Anciens ont dit d’un poisson qui sert de guide aux baleines. Jean Cabri, Académicien de Florence, fait mention d’une baleine qui échoua sur les côtes d’Italie en 1624, qui avoit, dit-il, la gueule si large, qu’un homme à cheval y auroit pû entrer commodément. Pour la prise la pêche des baleines, voyez ci-après Harpon, & Harponneur. La manière dont Garcie décrit la pêche des baleines par les Sauvages de l’Amérique, paroît suspecte au P. Du Tertre.

Il y a des baleines si grasses, que vives & mortes elles surnagent. Leur huile sert pour engraisser le brai, pour enduire & espalmer les navires, pour brûler à la lampe ; aux Drapiers pour préparer les laines ; aux Corroyeurs pour les cuirs ; aux Peintres pour certaines couleurs ; Aux Foulons pour faire du savon ; aux Architectes & Sculpteurs, pour faire une laitance ou détrempe avec céruse ou chaux, qui durcit & fait croûte sur la pierre molle, qui en a été enduite, & la fait résister aux injures de l’air. Et les fanons avec le membre génital s’emploient à faire des parasols, des éventails, des baguettes aux Ecuyers & aux Huissiers, des corsets, paniers, buses aux Dames, & à plusieurs ouvrages de Tourneurs, Coutelier, &c. Un bourgeois de Ciboure, nommé François Soupite, a trouvé l’invention de cuire & de fondre les graisses à flot & en pleine mer, bâtissant un fourneau sur le second pont du navire. On se sert des grillons & du marc de la première cuite, au lieu de charbon pour la seconde.

Les baleines sont en si grande abondance au nord de l’Islande & vers le Spisberg, qu’en été ces monstres nagent & s’ébattent en grosses troupes comme des carpes dans un vivier, ou du poisson blanc dans une rivière. En Angleterre les baleines sont des poissons royaux qui appartiennent au Roi, aussi-bien que les éturgeons, ensorte que la tête de baleine appartient au Roi, & à la Reine la queue.

On lit dans la plupart des versions françoises du nouveau Testament au chap. 12 de S. Matth. v. 40, que Jonas fut trois jours & trois nuits dans le ventre de la baleine. M. Simon a cru que cette interprétation n’étoit pas exacte, parce que le mot qui est dans l’original grec, & celui de Ceti qui est dans l’ancienne édition latine, signifie en général un gros poisson. Et en effet, il n’y a point autrement dans le texte hébreu du Prophète Jonas. M. de Saci même, dans son Commentaire sur ce Prophète, dit qu’on croit communément que les baleines, quelques grandes qu’elles soient, ont le gosier trop serré & trop petit pour pouvoir avaler un homme tout entier.

Les ennemis de la baleine sont le Dauphin, le To-