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l’obsédait sans relâche, il retrouvait aussitôt sa jeune compagne avec le même sourire pour lui, avec les mêmes paroles pleines d’empressement, la même vivacité folâtre, le même amour et la même sollicitude qui, pénétrant profondément dans son esprit, semblaient l’avoir illuminé durant toute sa vie. Le cœur de Nelly était pour le vieillard le livre unique dont il se plaisait à relire la première page, sans songer à la triste histoire qu’il eût trouvée plus loin, s’il avait seulement tourné le feuillet ; et, dans cet aveuglement volontaire, il aimait à croire qu’au moins l’enfant était heureuse.

Heureuse ! … elle l’avait été autrefois. Elle avait couru en chantant à travers ces chambres obscures ; elle avait, d’un pas gai et léger, côtoyé leurs trésors couverts de poussière, les faisant paraître plus vieux par sa jeunesse, plus noirs et plus sinistres par sa figure brillante et ouverte. Mais maintenant les chambres étaient redevenues plus que jamais froides et ténébreuses ; et quand Nelly quittait son petit réduit, pour aller passer de longues et mortelles heures, assise dans l’une de ces tristes pièces, elle devenait elle-même silencieuse et immobile comme les objets inanimés qui l’entouraient, et elle n’avait plus le courage de réveiller avec sa voix les échos enroués par un long silence.

Dans l’une de ces chambres se trouvait une croisée donnant sur la rue. C’est là que l’enfant se tenait assise, seule et pensive, durant bien des soirées, souvent même assez avant dans la nuit. L’impatience n’est jamais plus grande que lorsqu’on veille pour attendre ; il n’est donc pas étonnant que, dans ces moments, les idées lugubres vinssent en foule assiéger l’esprit de Nelly.

Elle aimait à se placer en cet endroit à l’heure où tombe le crépuscule du soir, à suivre le mouvement de la foule passant et repassant dans la rue, à observer les gens qui se montraient aux fenêtres des maisons en face d’elle, se demandant si les êtres qu’elle voyait là se sentaient moins seuls à la regarder sur sa chaise, comme c’était pour elle une espèce de compagnie de les voir avancer et relever la tête par leurs croisées. Sur l’un des toits il y avait un amas confus de cheminées : souvent, en les considérant, il lui avait semblé que c’étaient autant de laides figures qui la menaçaient et qui essayaient de darder dans sa chambre leurs yeux curieux ; aussi se trouvait-elle satisfaite