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travers ses réflexions, comme de la vile prose, habitude qu’on lui connaît : si le cœur de l’homme est accablé de crainte, ce brouillard se dissipe quand miss Wackles apparaît : miss Wackles, cette délicieuse créature !… C’est la rose vermeille qui éclôt sous les rayons de juin. On ne peut nier qu’elle ne soit aussi, comme une douce mélodie jouée sur un instrument harmonieux. C’est réellement un peu subit. Assurément, il n’est pas urgent de rompre immédiatement avec elle, à cause de la petite sœur de Fred ; mais il vaut mieux ne pas aller trop loin. Si je dois lui battre froid, il sera bon de le faire tout de suite. Il y aurait lieu à une action judiciaire pour rupture de promesse, premier point. Sophie pourra trouver un autre mari, second point. Il est probable que… Non, cela n’est pas probable ; mais, en tout cas, il vaut mieux se tenir sur ses gardes. »

Cette chance, qu’il n’avait pas développée et sur laquelle il s’était arrêté tout court, c’était la possibilité, qu’il ne cherchait pas à se dissimuler à lui-même, qu’il ne fût pas encore parfaitement à l’épreuve des charmes de miss Wackles et la crainte que, s’il venait à lier son sort à celui de cette jeune fille dans un moment d’abandon, il ne s’enlevât à lui-même le moyen de poursuivre le beau plan d’avenir qu’il avait accueilli avec tant de chaleur de la bouche de son ami. Toutes ces raisons réunies le décidèrent à chercher querelle à miss Wackles sans perdre de temps et à la planter là sous un prétexte en l’air de jalousie mal fondée. Fixé sur ce point important, il fit passer plusieurs fois le verre de sa droite à sa gauche, et de sa gauche à sa droite, avec une assez notable dextérité, pour se mettre en état de remplir son rôle en homme prudent ; puis, après avoir donné quelques soins à sa toilette, il sortit et se dirigea vers le lien poétisé par le charmant objet de ses méditations.

C’était à Chelsea. Miss Sophie Wackles y demeurait avec sa mère, qui était veuve, et deux sœurs ; elles tenaient ensemble un modeste externat pour les petites filles : ce qu’indiquait aux passants un cadre ovale placé au-dessus d’une fenêtre du premier étage et où on lisait au milieu de magnifiques parafes : Pensionnat de jeunes demoiselles. Le fait prenait chaque matin plus de certitude encore lorsque, de neuf heures et demie à dix, on voyait arriver quelque enfant d’âge encore tendre, élève isolée et solitaire qui, se posant sur le décrottoir et se levant sur la pointe de ses pieds, faisait de pénibles efforts pour atteindre