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— Oui, à être si pensif, si abattu, à oublier la manière dont nous passions les longues soirées autrefois. J’avais l’habitude de lui faire la lecture au coin du feu ; il était assis et m’écoutait. Quand je m’arrêtais et que nous nous mettions à causer, il m’entretenait de ma mère et me disait que je parlais tout à fait comme elle, que j’avais la même figure qu’elle, lorsqu’elle était une enfant de mon âge. Ensuite il me prenait sur ses genoux, et il s’efforçait de me faire comprendre que ma mère n’était pas dans un tombeau, mais qu’elle était partie pour un beau pays au delà des nuages, un beau pays où la vieillesse et la mort sont inconnues… Oh ! nous étions bien heureux alors !

— Nelly ! Nelly ! s’écria la pauvre femme, je ne puis supporter de vous voir triste comme vous l’êtes à votre âge. De grâce, ne pleurez pas !…

— Cela m’arrive si rarement, dit Nelly ; mais j’ai retenu longtemps mes larmes, et je ne suis pas encore soulagée, car je sens ces larmes revenir dans mes yeux sans pouvoir les retenir encore. Je ne crains pas de vous confier ma peine ; je sais que vous n’en direz rien à personne. »

Mistress Quilp tourna la tête sans proférer un seul mot.

« Autrefois, reprit l’enfant, nous nous promenions souvent dans les champs et parmi les arbres verts ; et lorsque, le soir, nous rentrions au logis, la fatigue nous faisait mieux aimer encore notre maison et trouver qu’on y était bien. Elle était triste et sombre ; mais qu’importe ? disions-nous : cela ne nous rendait que plus agréable le souvenir de notre dernière promenade et le projet de notre promenade prochaine. Maintenant ces promenades sont finies ; et quoique notre maison soit la même, elle est plus triste et plus sombre qu’elle ne l’a jamais été. »

Nelly s’arrêta ; mais bien que la porte eût craqué plus fort que précédemment, mistress Quilp ne dit rien. Ce fut l’enfant qui ajouta avec chaleur :

« Ne supposez pas que mon grand-père m’aime moins qu’autrefois. Chaque jour il m’aime davantage et me témoigne plus de tendresse et de sollicitude que la veille. Vous ne pouvez vous imaginer combien il m’aime.

— Je suis bien sûre qu’il vous aime tendrement, dit mistress Quilp.

— Oui, s’écria Nelly, oh oui ! aussi tendrement que je l’aime : Mais je ne vous ai pas encore confié son plus grand changement,