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et tantôt sur la plume à la course rapide. Il était devenu stupide de perplexité ; se demandant comment il pouvait se trouver dans la compagnie d’un monstre si étrange, et si ce n’était pas un rêve dont il aurait bien voulu s’éveiller. Enfin il poussa un profond soupir, et commença lentement à retirer son habit.

M. Swiveller ayant ôté son habit, le plia avec le plus grand soin, sans quitter un instant des yeux miss Sally : alors il revêtit une jaquette bleue à double rang de boutons dorés qui, dans l’origine, lui avait servi pour des parties de plaisir aquatiques, mais que ce matin-là il avait apportée pour son travail de bureau ; et toujours contemplant miss Sally, il se laissa tomber en silence sur le siège de M. Brass. Mais là il éprouva une rechute de découragement et de faiblesse, et, appuyant son menton sur sa main, il ouvrit des yeux si grands, si grands, qu’il ne semblait pas possible qu’ils se refermassent jamais.

Quand il eut regardé si longtemps qu’il ne pouvait plus rien voir, Dick détacha ses yeux du bel objet de sa surprise, les porta sur les feuillets du brouillon qu’il avait à copier, plongea sa plume dans l’écritoire et se mit à écrire lentement. Mais il n’avait pas tracé une demi-douzaine de mots, qu’il se pencha sur l’encrier pour y tremper de nouveau sa plume, et leva les yeux… Devant lui se trouvait l’insupportable voile brun, la robe verte, en un mot miss Sally Brass, parée de tous ses charmes, plus effroyable enfin que jamais.

Agacé jusqu’à la folie, M Swiveller commença à ressentir d’étranges sensations, d’horribles désirs d’anéantir cette Sally Brass, de mystérieuses tentations de lui arracher sa coiffure et de voir quel air elle aurait sans cet ornement. Sur la table se trouvait une grande règle, noire et luisante. M. Swiveller la prit et se mit à s’en frotter le nez.

De s’en frotter le nez à l’agiter avec sa main et lui faire faire les évolutions d’un tomahawk, la transition était toute simple et toute naturelle. Dans le cours de ces évolutions il frôla l’écharpe dont les bouts déguenillés flottaient au gré du vent ; la règle avance d’un pouce plus prés, et voilà la grande écharpe brune par terre. Pendant ce temps, la belle innocente, bien éloignée de se douter du manège, continuait de travailler, sans lever les yeux.

Dick fut enchanté de ce succès. Eh bien ! au moins il pourrait maintenant écrire avec ardeur et persévérance jusqu’à ce