Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était pas plus émue que ne l’est une autre femme quand on l’appelle mon ange.

« Pourquoi me tourmentez-vous encore au sujet de ce clerc, après m’en avoir déjà parlé trois heures hier au soir ? répéta M. Brass grimaçant de nouveau, avec sa plume entre les dents, comme un chien qui ronge un os en grognant. Est-ce ma faute, à moi ?

— Tout ce que je sais, dit miss Sally avec un sourire sec (elle n’avait pas de plus grand plaisir que de mettre son frère, en colère), ce que je sais, c’est que si chaque client qui vous arrive nous force à prendre un clerc, que cela nous soit utile ou non, vous feriez mieux d’abandonner les affaires, de vous faire rayer du rôle, et de liquider le plus tôt possible.

— Est-ce que nous possédons un autre client tel que lui ? dit Brass. Avons-nous un autre client tel que lui, voyons ? Répondez à cela !

— Comment l’entendez-vous ? Est-ce pour la figure ?

— Pour la figure ! répéta Sampson Brass avec un ricanement amer, en se levant pour prendre le livre des assignations et frottant vivement ses manches. Voyez ceci : Daniel Quilp, esquire… Daniel Quilp, esquire… Daniel Quilp, esquire, … tout du long. Faut-il que je renonce à une pratique comme celle-là, ou bien que je prenne le clerc qu’il me recommande en me disant : « C’est l’homme qu’il vous faut. » Hein ? »

Miss Sally ne daigna point répliquer ; elle sourit de nouveau et continua sa besogne.

« Mais je sais ce qu’il en est, reprit M. Brass après quelques moments de silence. Vous craignez de ne plus avoir autant que par le passé la main aux affaires. Croyez-vous que je ne m’en aperçoive pas ?

— Vos affaires n’iraient pas loin sans moi, je pense, répondit la sœur d’un ton d’importance. Tenez, au lieu de me provoquer sottement comme cela, vous feriez mieux de songer à continuer votre besogne. »

Sampson Brass, qui au fond du cœur redoutait sa sœur, se remit à écrire en boudant, ce qui ne le dispensa pas de l’entendre.

« Si j’avais décidé, ajouta-t-elle, que le clerc ne viendrait pas, vous savez bien qu’il ne pourrait pas venir ; par conséquent, ne dites point de sottises. »