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comprendre comment, avec tant de qualités réunies, elle était restée miss Brass : mais soit qu’elle eût bronzé son cœur contre tous les hommes en général, soit que ceux qui eussent pu la rechercher et obtenir sa main fussent effrayés à l’idée que, grâce à sa connaissance des lois, elle possédait sur le bout du doigt les articles qui établissent ce qu’on appelle familièrement une action en rupture de mariage, toujours est-il certain qu’elle était encore demoiselle, et continuait d’occuper chaque jour son vieux tabouret célibataire en face de celui de son frère Sampson. Il est également certain qu’entre ces deux tabourets bien des gens étaient restés sur le carreau.

Un matin, M. Sampson Brass, assis sur son tabouret, copiait une pièce de procédure, plongeant avec ardeur sa plume dans le cœur du papier, comme si c’eût été le cœur même de la partie adverse ; de son côté, miss Sally Brass, assise sur son tabouret également, taillait une plume pour transcrire un petit exploit, ce qui était son occupation favorite. Depuis longtemps ils gardaient le silence. Ce fut miss Brass oui le rompit en ces termes :

« Aurez-vous bientôt fini, Sammy ? »

Car, sur ses lèvres douces et féminines, le nom de Sampson s’était transformé en Sammy ; c’est ainsi qu’elle donnait de la grâce à toute chose.

« Non, répondit le frère ; j’aurais fini si vous m’aviez aidé en temps utile.

— C’est cela ! s’écria miss Sally, vous avez besoin de moi, n’est-ce pas ? quand vous allez prendre un clerc !

— Est-ce pour mon plaisir, ou par ma propre volonté, que je vais prendre un clerc, coquine, querelleuse que vous êtes ! dit M. Brass en mettant sa plume dans sa bouche et faisant la grimace à sa sœur. Pourquoi me reprochez-vous de prendre un clerc ? »

Ici nous ferons observer, de peur qu’on ne s’étonne d’entendre M. Brass appeler coquine une dame comme il faut, qu’il était tellement habitué à la voir remplir auprès de lui des fonctions viriles, qu’il s’était peu à peu accoutumé à lui parler comme à un homme. Sentiment et usage réciproques, du reste ; car non-seulement il arrivait souvent à M. Brass d’appeler miss Brass une coquine, et même de placer une autre épithète devant celle de coquine ; mais miss Brass trouvait cela tout naturel, et n’en