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— Elle dit vrai, murmura le vieillard du même ton qu’auparavant. Il ne faut pas que cela change mes idées ; mais c’est la vérité, nul doute, c’est la vérité.

— Rappelez-vous seulement comment nous avons vécu depuis la belle matinée où nous avons quitté cette maison jusqu’à ce jour. Rappelez-vous seulement comment nous avons vécu depuis que nous nous sommes affranchis de toutes ces misères ; que de jours calmes, que de nuits paisibles nous avons goûtés ; que de douces heures nous avons connues ; de quel bonheur enfin nous avons joui. Étions-nous fatigués ? avions-nous faim ? bientôt nous étions reposés, et notre sommeil n’en était que plus profond. Songez à toutes les belles choses que nous avons vues et combien nous y avons trouvé de plaisir. Et d’où venait cet heureux changement ? … »

Il l’arrêta d’un signe de main et l’invita à ne plus continuer la conversation parce qu’il avait affaire. Au bout de quelque temps il l’embrassa sur la joue, en la priant encore de se taire, et continua de marcher, regardant au loin devant lui, et parfois s’arrêtant pour fixer sur le sol ses yeux assombris, comme s’il cherchait péniblement à réunir ses pensées en désordre. Une fois Nelly vit des larmes mouiller ses paupières. Après quelques moments de marche silencieuse, le vieillard prit la main de Nelly, comme il était habitué à le faire, sans que rien dans son air trahît la violence et l’exaltation dont il était récemment animé ; et puis petit à petit, par degrés insensibles, il retomba dans son état de docilité, se laissant conduire par Nelly où elle voulait.

Lorsqu’ils furent de retour au sein de la merveilleuse collection, ils trouvèrent, comme Nelly s’y était attendue, que Mme Jarley n’était pas encore levée, et, que tout en ayant éprouvé la veille quelque inquiétude à leur égard, ayant même veillé pour les attendre jusqu’à onze heures passées, elle s’était mise au lit avec la persuasion que, retenus par l’orage à quelque distance du logis, ils avaient cherché l’abri le plus proche et qu’ils ne pourraient revenir avant le lendemain matin. Aussitôt Nelly se mit avec la plus grande activité à décorer et disposer la salle, et elle eut la satisfaction d’avoir achevé sa tâche et même fait sa petite toilette avant que la favorite de la famille royale passât à table pour déjeuner.

« Nous n’avons eu encore, dit Mme Jarley lorsque le repas fut