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La maison était vaste, distribuée d’une manière irrégulière, avec des corridors sombres et de larges escaliers, que la faible clarté des chandelles semblait rendre encore plus obscurs. Nelly laissa son grand-père dans la chambre qui lui avait été assignée et suivit son guide jusqu’à l’autre, qui se trouvait à l’extrémité d’un corridor. On y montait par une demi-douzaine de marches délabrées. Cette chambre avait été préparée pour l’enfant. La servante s’établit quelques instants à causer et à conter ses peines. Sa place n’était pas bonne, dit-elle ; ses gages étaient minces et il y avait beaucoup de besogne ; elle devait s’en aller d’ici à quinze jours : la demoiselle ne pourrait-elle pas la recommander ailleurs ? Elle avait peur d’avoir bien du mal à trouver une autre place, au sortir d’une maison mal famée, hantée seulement par des joueurs de profession. Elle serait fort surprise que les habitués du lieu fussent la crème des honnêtes gens ; mais pour rien au monde elle ne voudrait que ses paroles fussent répétées. Puis elle fit par-ci par-là quelque allusion en passant à un amoureux qu’elle avait rebuté et qui avait menacé de s’engager comme soldat ; elle promit ensuite de frapper à la porte le lendemain au point du jour, et enfin… Bonne nuit !

Une fois seule, Nelly ne se trouva pas fort à l’aise. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à la figure qui s’était glissée le long du couloir ; et ce que la servante avait dit n’était pas de nature à la rassurer. Ces hommes avaient un air particulier. Peut-être gagnaient-ils leur vie à voler et assassiner les voyageurs. Qui sait ? …

Malgré ses efforts pour dompter ses craintes ou les oublier du moins un moment, l’anxiété que lui avaient inspirée les aventures de la nuit lui revenait toujours. La passion d’autrefois s’était réveillée dans le cœur du vieillard, et Dieu seul savait où elle pourrait l’entraîner encore. Quelle inquiétude leur absence n’avait-elle pas dû causer déjà chez Mme Jarley ! peut-être s’était-on mis à leur recherche. Le lendemain matin, leur pardonnerait-on, ou bien les mettrait-on à la porte, livrés de nouveau à l’abandon ? Oh ! pourquoi s’étaient-ils arrêtés dans cette fâcheuse maison ! combien il eût mieux valu, à tout risque, continuer leur route !

Enfin le sommeil appesantit par degrés ses paupières ; un sommeil brisé, agité, où, dans ses rêves, il lui semblait qu’elle tombait du haut de quelque tour et dont elle s’éveillait en sursaut