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— Entendez-vous ce qu’il dit ? murmura le vieillard. L’entendez-vous, Nell ? »

L’enfant vit avec surprise, ou plutôt avec effroi que le maintien de son grand-père avait subi un changement complet. Son visage était tout enflammé ; son teint animé, ses yeux brillants, ses dents serrées, sa respiration courte et haletante ; et sa main, qu’il avait appuyée sur le bras de sa petite-fille, tremblait si violemment, que Nelly en tremblait elle-même comme la feuille.

« Vous êtes témoin, murmura-t-il en portant son regard en avant, que c’est toujours là ce que j’ai dit ; que je le savais bien, que j’en rêvais, que j’en étais trop sûr, et que cela devait être ! … Combien d’argent avons-nous, Nell ? voyons ! je vous ai vu de l’argent hier. Combien avons-nous ? Donnez-le-moi !

— Non, non, mon grand-père, laissez-moi le garder, dit l’enfant effrayée. Éloignons-nous d’ici. Ne faites pas attention à la pluie, je vous en prie, éloignons-nous.

— Donnez-le-moi, je vous dis, répliqua brusquement le vieillard… Chut ! chut ! ne pleure pas, Nell. Si je t’ai parlé avec rudesse, ma chère, c’est sans le vouloir. C’était pour ton bien. Je t’ai fait du tort, Nell, mais je réparerai cela, je le réparerai… Où est l’argent ?

— Ne le prenez pas, dit l’enfant, je vous en prie, ne le prenez pas. Pour notre salut à tous deux laissez-moi le garder ou le jeter. Il vaut mieux le jeter que de vous le donner. Partons, partons !

— Donne-moi l’argent ; il faut que je l’aie. Là, là, ma chère Nell. C’est cela, va, je t’enrichirai un jour, mon enfant, je t’enrichirai ; ne crains rien. »

Elle tira de sa poche une petite bourse. Il la prit avec la même impatience fébrile qui respirait dans ses paroles, et sans perdre un instant il se dirigea vers l’autre côté du paravent. Il eût été impossible de l’arrêter ; l’enfant dut se résigner et le suivre de près.

L’aubergiste avait posé une lumière sur la table et était occupé à tirer le rideau de la fenêtre. Les individus que Nelly et le vieillard avaient entendus étaient deux hommes, qui avaient devant eux un jeu de cartes et quelques pièces d’argent. Ils marquaient à la craie leurs parties sur le paravent même. L’homme à la voix rauque était un gros compère d’âge moyen, avec d’épais favoris noirs, les joues pleines, une bouche mal faite, un cou