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CHAPITRE XXIX.


Mme Jarley avait sans contredit un génie inventif. Parmi les moyens variés qu’elle employait pour attirer des visiteurs à son exposition, la petite Nelly ne fut pas oubliée. Le léger tilbury dans lequel le brigand faisait habituellement ses excursions fut brillamment orné de drapeaux et de bannières ; le bandit y conserva sa place, toujours en contemplation du portrait de sa bien-aimée, mais Nelly fut installée sur un coussin à côté de lui ; on avait eu soin d’entourer l’enfant de fleurs artificielles, et dans cet équipage elle fut promenée lentement par la ville, distribuant des prospectus au son du tambour et de la trompette. La beauté de Nelly, jointe à sa grâce et à sa timidité, produisait une sensation profonde dans la petite ville de province. Le brigand, qui jusqu’alors avait été dans les rues l’objet de l’attention exclusive, descendit au numéro deux, et ne devint plus que l’accessoire d’un spectacle dont l’enfant était maintenant le principal personnage. De grands garçons commencèrent à s’intéresser aux beaux yeux de Nelly ; une vingtaine au moins de petits garçons en tombèrent passionnément amoureux, et vinrent parsemer le seuil de la porte de coquilles de noix et de trognons de pommes.

Cette heureuse impression n’échappa pas à Mme Jarley. De peur que Nelly ne diminuât de valeur, la dame ne tarda pas à envoyer le brigand faire de nouveau tout seul ses excursions, et elle garda l’enfant dans la salle de l’exposition pour y décrire les figures toutes les demi-heures, à la vive satisfaction de l’auditoire ébahi. Ces séances étaient d’un intérêt supérieur, par suite du grand nombre d’élèves de pensionnats qui s’y pressaient, Mme Jarley n’ayant rien négligé pour se concilier leur faveur en modifiant, par exemple, la physionomie et le costume de M. Grimaldi le clown, pour lui faire représenter M. Lindley Murray occupé à composer sa grammaire anglaise ; et en faisant d’une coquine célèbre par quelque assassinat, l’innocente Mme Hanna More. La ressemblance parfaite de ces deux person-