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que je juge convenable de m’en aller, à moins que vous n’appeliez main-forte pour me faire mettre dehors : mais vous n’en viendrez pas là, je le sais. Je vous répète que je veux voir ma sœur.

Votre sœur !… dit le vieillard avec amertume.

— Sans doute. Vous ne pouvez détruire les liens de parenté. Si cela était en votre pouvoir, il y a longtemps que vous l’eussiez fait. Je veux voir ma sœur, que vous tenez claquemurée ici, empoisonnant son cœur avec vos recettes mystérieuses et faisant parade de votre affection pour elle, afin de la tuer de travail, et de grappiller quelques schellings de plus que vous ajoutez chaque semaine à votre riche magot. Je veux la voir, et je la verrai.

— Voilà, s’écria le vieillard en se tournant vers moi, voilà un beau moraliste pour parler d’empoisonner les cœurs ! Voilà un esprit généreux pour se moquer des schellings grappillés ! Un misérable, monsieur, qui a perdu tous ses droits, non-seulement sur ceux qui ont le malheur d’être liés à lui par le sang, mais encore sur la société, qui ne le connaît que par ses méfaits. Un menteur, en outre ! ajouta-t-il en baissant la voix et se rapprochant de moi ; car il sait combien Nelly m’est chère, et il veut me blesser dans mon honneur et mon affection parce qu’il voit ici un étranger. »

Le jeune homme releva ce dernier mot.

« Les étrangers ne sont rien pour moi, grand-père, et je me flatte de n’être rien pour eux. Le meilleur parti qu’ils aient à prendre, c’est de s’occuper de leurs affaires et de me laisser le soin des miennes. Il y a là dehors un de mes amis qui m’attend ; et comme, selon toute apparence, j’aurai à rester ici quelque temps, je vais, avec votre permission, le faire entrer. »

En parlant ainsi, il fit un pas vers la porte, et, regardant dans la rue, il adressa de la main plusieurs signes à une personne qu’on ne voyait pas ; celle-ci, à en juger par les marques d’impatience qui accompagnaient les appels, ne paraissait pas très-disposée à se déterminer à venir. Enfin arriva, de l’autre côté de la rue, sous le prétexte assez gauche de passer là par hasard, un individu remarquable par son élégance malpropre ; après avoir fait de nombreuses difficultés et force mouvements de tête comme pour se défendre de l’invitation, il se décida à traverser la rue et entra dans la boutique.